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L’héritage révolutionnaire de Magnus Hirschfeld

L’héritage révolutionnaire de Magnus Hirschfeld

Gay, juif, social-démocrate sous le nazisme et activiste de la première heure: le sexologue allemand Magnus Hirschfeld (1868-1935) est un des pionniers du mouvement LGBTIQ+. 90 ans après sa mort, ses travaux sur l'homosexualité et la transidentité, malgré quelques zones d'ombres, restent révolutionnaires.

Le 14 mai, à Berlin, on célèbre depuis peu (2024) la journée Magnus Hirschfeld, en souvenir de ce précurseur de l’activisme queer. Comme par une sorte d’ironie du sort, Magnus Hirschfeld est né un 14 mai, en 1868, et il est mort également un 14 mai, 67 ans plus tard, en 1935. C’est à Berlin que le médecin et sexologue juif allemand passa la plus grande partie de sa vie. C’est dans la capitale allemande qu’il ouvrit, en 1919, son fameux Institut de sexologie.

Il s’agissait d’un centre d’accueil des personnes LGBTIQ+ avant la lettre : les personnes queer pouvaient s’y rendre pour obtenir conseils et aide médicale. Magnus Hirschfeld, gay lui-même, ne s’intéresse pas qu’à l’homosexualité. Très vite, il avance l’idée, dans ses publications, d’un « troisième sexe », concept révolutionnaire pour l’époque, qui préfigure les notions de transidentité, de non-binarité, d’intersexuation et de queerness.

L’Institut de sexologie a d’ailleurs mené des opérations de réassignation sexuelle. Les personnes trans* étaient alors nommées « travesti·e·s ». L’Allemande Dora Richter (1891-1966) devint ainsi la toute première femme trans à bénéficier d’une vaginoplastie, en 1931, tandis que la même année, la peintre danoise intersexe Lili Elbe, à qui un chirurgien collaborant avec l’institut d’Hirschfeld avait tenté d’implanter un utérus, décéda des suites de l’opération.

Une danse avec la censure

Durant sa carrière de médecin et d’activiste, Magnus Hirschfeld a connu trois régimes politiques qui se sont succédé à une vitesse folle : l’Empire allemand, la République de Weimar, le Troisième Reich. Aucun ne lui sera favorable. Il sera sans cesse confronté à la censure. Plutôt que de se décourager, il danse avec elle. Comme en 1904 lorsqu’il est condamné pour insulte pour avoir mené un sondage sur l’orientation sexuelle auprès d’un échantillon d’étudiants – certains d’entre eux avaient porté plainte contre lui. Ou en 1908 lorsqu’il lance une revue de sexologie, qu’il sera obligé de stopper à peine quelques mois plus tard.

En 1919, la sortie du film muet Anders als die Andern marque à nouveau un jalon dans l’histoire du mouvement LGBTIQ+ : c’est le tout premier film à parler ouvertement d’homosexualité. Magnus Hirschfeld fait partie de l’équipe du film, et il joue même son propre rôle à l’écran. Dans une séquence légendaire, il tient un discours fervent qui prône la tolérance à l’égard des homosexuels. Si ce film a pu voir le jour, c’est qu’il a été tourné et distribué durant une très courte période de moins de deux ans durant laquelle la censure d’État avait été suspendue. L’année suivante, en 1920, le film est interdit et la plupart des copies détruites.

Zones d’ombre

Malgré son caractère visionnaire, le legs scientifique d’Hirschfeld comporte des zones d’ombres, notamment son adhésion à l’eugénisme, cette dangereuse croyance selon laquelle il serait possible d’« améliorer » la population humaine par un processus de sélection. Très en vogue de la fin du 19ème siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les nazis la poussèrent à son paroxysme. Ainsi Hirschfeld croyait-il qu’il était possible, en régulant les naissances, de créer une population « supérieure ». Les écrits du sexologue seront mâtinés de cette approche jusqu’à la fin de sa vie, comme ceux de la plupart de ses confrères de l’époque.

Au-delà de ses recherches sur la biologie et la sexualité, Hirschfeld a été un activiste de la première heure pour tenter de dépénaliser l’homosexualité masculine – le lesbianisme ne figurait pas dans le code pénal allemand, n’étant pas considéré comme une sexualité en tant que telle par ceux qui le rédigèrent. Dès 1897, Hirschfeld lança une pétition demandant l’abrogation du fameux paragraphe 175, qui condamnait les relations sexuelles entre hommes. Sans succès. Ce paragraphe ne fut supprimé qu’en… 1994.

Toute la bibliothèque de l’institut brûlée en place publique

Gay, juif, social-démocrate : autant dire qu’Hirschfeld cumulait tout ce dont les nazis avaient horreur. En 1931, soit deux ans avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il profite d’une invitation à l’étranger pour ne plus jamais revenir en Allemagne, sachant qu’il courait un trop grand danger en restant à Berlin. En 1933, son institut sera saccagé par les nazis, toute sa bibliothèque, brûlée en autodafé en place publique, juste à côté de l’opéra national de Berlin.

L’activiste trouvera d’abord refuge en Suisse, à Zurich et à Ascona, puis à Paris, où il tentera sans succès de recréer un institut de sexologie. Infatigable, malgré les échecs et le danger, Magnus Hirschfeld ne s’arrête jamais. Il n’est pas seul dans son exil, formant un ménage à trois avec son compagnon de longue date Karl Giese et son jeune amant Li Shiu Tong, un étudiant en médecine chinois, qui soutiendra Hirschfeld financièrement jusqu’à la fin de sa vie. Le trio s’installe à Nice en 1934, où le sexologue meurt l’année suivante. Il est enterré au cimetière niçois de La Caucade.

L’héritage scientifique, intellectuel et militant de Magnus Hirschfeld est aujourd’hui conservé par l’association éponyme Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft. Une fondation porte aussi son nom, la Bundestiftung Magnus Hirschfeld. Elle a pour but de financer des projets queer. Ça lui aurait plu, c’est sûr.