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mar 25 mars, 20:15

Face au masculinisme, l’essentiel c’est la convergence des luttes

Face au masculinisme, l’essentiel c’est la convergence des luttes
Pauline Ferrari ©Marie Rouge

À l’occasion de l'ouverture de la Semaine de l’Égalité 2025, Pauline Ferrari, autrice du livre Formés à la haine des femmes, sera à Genève le 4 mars. On a discuté avec elle de la montée du masculinisme sur les réseaux sociaux, de l’antiféminisme et des moyens d’y résister.

Le Baromètre national de l’égalité 2024 met en lumière un fossé grandissant entre jeunes femmes et jeunes hommes sur les questions de genre. Tandis que certain·e·x·s dénoncent encore des inégalités bien réelles, d’autres estiment que l’égalité est déjà acquise. Ce clivage reflète une tendance plus large: la montée des idées masculinistes, la diffusion massive de discours antiféministes en ligne et le lien étroit entre misogynie et LGBTIQphobie.

Pour mieux comprendre ces dynamiques, nous avons échangé avec Pauline Ferrari, journaliste et autrice de Formés à la haine des femmes, qui participera à l’ouverture de la Semaine de l’Égalité le 4 mars à Genève. Dans cette interview, elle décrypte les mécanismes d’embrigadement masculiniste, l’impact des réseaux sociaux et les pistes d’action pour résister à ces récits réactionnaires.

À lire aussi: Égalité des genres : quand les jeunes ne voient plus la même réalité – notre article qui explore les chiffres du Baromètre et l’évolution des perceptions en Suisse.

Le Baromètre national de l’égalité 2024 révèle un fossé: les jeunes hommes pensent l’égalité atteinte, tandis que les jeunes femmes dénoncent encore des discriminations. Comment l’expliquer?

Malheureusement, ces résultats concordent avec ce que l’on peut voir en France mais aussi dans le reste de l’Europe et du monde occidental. C’est très représentatif de la portée des questions de genre, qui se font plus présentes dans l’agenda politique et médiatique, mais aussi du backlash, du retour de bâton antiféministe. Affirmer que l’égalité femmes-hommes est atteinte, c’est nier les violences de genre systémiques.

La jeunesse se divise entre engagement pour l’égalité et radicalisation masculiniste. Qu’est-ce qui alimente cette fracture?

C’est une fracture qui a été accentuée par les discours présents au moment de #MeToo en 2017, et qui a continué notamment sur les réseaux sociaux pendant les confinements de 2020. A mesure que les discours féministes avancent, les discours masculinistes proposent une contre-idéologie visant à attirer les jeunes hommes qui peuvent se sentir bousculés ou “attaqués” dans leurs privilèges masculins. Il est plus facile de croire à un complot féministe plutôt que d’entamer un processus de remise en question de ses privilèges.

Certains jeunes hommes adoptent un discours victimaire, se voyant désavantagés par l’égalité. Comment ces idées se diffusent-elles en ligne?

Cela fait longtemps que ce discours de “crise de la masculinité” existe. Le chercheur Francis Dupuis-Déri le fait remonter à la Grèce Antique! Il n’existe pas de crise de la masculinité, mais des discours de crise, qui en appellent à l’émotionnel. Et à ce titre, les réseaux sociaux se sont construits sur nos affects, notre capacité à s’émouvoir ou à s’indigner. Les discours victimaires permettent beaucoup d’engagement en ligne, et sont facilement partageables en quelques clics.

Dans Formés à la haine des femmes, tu décortiques le recrutement masculiniste en ligne. Quels sont leurs outils les plus efficaces pour propager ces idées?

Tout d’abord, il y a la désinformation, qui va jouer sur des points sensibles comme le sentiment d’injustice ou d’insécurité. Ensuite, ces mouvements proposent de s’occuper des problèmes des hommes: en leur donnant des espaces de soutien, en valorisant une vision hégémonique de la masculinité, en proposant des solutions “clés en main”. Tout cela peut donner beaucoup d’espoir et de réponses à des questions assez complexes sur le rapport au genre, l’amour ou la confiance en soi.

Il est toujours plus facile de taper sur les minorités, et les masculinistes jouent sur l’homophobie et la transphobie ambiante pour préciser leur vision du genre.

Pauline Ferrari

Tu montres que la misogynie en ligne va au-delà du rejet du féminisme et alimente aussi la LGBTIQphobie. Pourquoi ces idéologies sont-elles si souvent liées?

Il est toujours plus facile de taper sur les minorités, et les masculinistes jouent sur l’homophobie et la transphobie ambiante pour préciser leur vision du genre. Par exemple, les lesbiennes sont vues comme des féministes hystériques; tandis que les gays, ne correspondant pas à leur vision de la masculinité, sont dévalués. Mais l’offensive particulièrement violente envers les personnes trans et intersexes cristallise cette vision binaire et stéréotypée des rôles de genre: en clair, chacun·e devrait rester “à sa place”, sous peine d’une crise civilisationnelle. Ce n’est pas un hasard que ce soit aussi des sujets récupérés par l’extrême-droite et les mouvements réactionnaires: les questions de genre permettent de recruter dans ces mouvements.

Selon toi, la convergence des luttes est-elle plus cruciale que jamais?

Je pense qu’en effet, la convergence des luttes est essentielle: queer, féministe, antifasciste, écologiste. Les mouvements d’extrême-droite et masculinistes avancent main dans la main, et il nous faut les combattre ensemble. Pour nos droits, d’abord, mais aussi pour que nos frères, amis, pères, copains, ne tombent pas dans cette idéologie mortifère.

Tu parles de “rendre le féminisme attractif” pour les jeunes dans un monde où le masculinisme sait séduire avec des stratégies marketing agressives. Quels leviers pourraient être activés pour lutter contre cette désinformation?

C’est une question complexe, particulièrement au vu du système médiatique et informationnel actuel. On constate que débunker les théories conspirationnistes ne fait pas changer d’avis les convaincus. Je pense qu’il faut aussi que nous déployions nos théories, notre créativité, pour rendre nos idées attractives, et montrer le monde qu’on a envie de construire. Cela passe par investir des espaces informationnels comme Twitch ou Tik Tok, et continuer à produire nos narratifs, partager nos histoires et nos idées.

Face à la montée des idées antiféministes chez les jeunes hommes, que peuvent faire les parents, les enseignant·e·x·s et les institutions éducatives pour contrer ces discours?

Je pense qu’il est essentiel de se renseigner sur ces discours masculinistes, mais surtout d’être dans une posture de dialogue. Cela passe par une sensibilisation sur les questions numériques, d’éducation sur les relations affectives et sexuelles, et tout simplement de curiosité. Qu’y a-t-il sur les fils d’actualités de nos ados? Qu’est-ce qu’ils aiment? Pourquoi ces vidéos les intéressent? Il ne s’agit pas de culpabiliser les pratiques, mais au contraire d’enclencher une discussion sur ces contenus.

Selon toi, quelles pistes d’action pourraient être mises en place en Suisse pour réduire cette fracture genrée et recréer du dialogue entre les jeunes?

Je pense que l’éducation au numérique, mais aussi l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, est essentielle pour aborder ces questions et se comprendre. Aborder les inégalités, dialoguer sur ces questions, dans le temps scolaire mais aussi en dehors: à la maison, sur internet… Mais aussi que cela devienne une question politique!

Au fil de tes recherches sur le masculinisme et les idéologies réactionnaires, une question s’impose: comment tu tiens, psychologiquement? Avec Trump, Musk, la montée de l’extrême-droite partout… c’est épuisant pour nous touxtes. Comment fais-tu pour ne pas te laisser submerger par la fatigue mentale et garder une forme d’optimisme?

Honnêtement, j’ai parfois du mal à rester optimiste au vu du contexte technofasciste. Je sais que ce travail est important, politiquement, et vu que je suis déjà plongée dans le masculinisme jusqu’au cou, autant continuer. La difficulté, c’est que ce sujet du masculinisme en ligne est encore peu traité par les médias, les universitaires: on est peu, et donc il est difficile de passer le relais. C’est ça qui est essentiel, le collectif, la convergence des luttes. Et concernant internet, on reste encore sur quelque chose d’assez individuel.

Le livre de Pauline Ferrari, Formés à la haine des femmes sera disponible en format poche dès le 6 mars et déjà en précommande ici!

Mais ce n’est pas tout pour la Semaine de l’égalité! Des événements viendront explorer chaque jours ces questions sous différents angles:

  • Mercredi 5 mars – 18h30 à la Bibliothèque de la Cité, un atelier de création de mèmes pour faire face aux discours de haine sur les réseaux.
  • Dimanche 9 mars – 14h30-17h30 à L’ESPACE tiers-lieu d’APRES, un atelier d’empouvoirement pour les 18 – 30 ans adressé à toutes les personnes se reconnaissant dans les identités femmes, transgenres, non-binaires et intersexes.
  • Mardi 11 mars – 19h00 à la Salle GamMAH, une rencontre littéraire avec Gabrielle Richard, qui nous invite à interroger le regard des adultes sur les enfants et les jeunes.
  • Vendredi 14 mars – 19h00 à la Haute école de travail social, soirée de clôture et rencontre avec Salomé Saqué, autrice d’un livre-enquête sur le sujet intitulé Sois jeune et tais-toi.

    L’intégralité du programme est à découvrir ici!