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Emilia Perez, thriller musical et bombe queer!

Emilia Perez, thriller musical et bombe queer!
Photo: Shanna Besson

Jacques Audiard, prix du jury à Cannes, propose une comédie humaniste tirée d’une tragédie où tout est en constante mutation. Emilia Perez est notamment porté par la magnifique actrice trans Karla Sofia Gascón, elle aussi primée en mai. Une révélation. Interviews.

Chef de cartel mexicain enfermé dans un corps d’homme, Manitas va devenir Emilia, avec lʹaide d’une avocate. Cette dernière, surexploitée par un cabinet très occupé à blanchir des criminels, voit là une porte de sortie inespérée. Quant à Emilia, passée pour morte, elle resurgit quatre ans après en bienfaitrice d’une ONG au service de familles mexicaines victimes de la violence des barons de la drogue. Elle renoue alors des liens avec sa femme et ses deux enfants, qui ignorent ce qui lui est arrivé.

De ce scénario improbable, Jacques Audiard, lauréat du prix du jury à Cannes en mai dernier après avoir, rappelons-le, décroché la Palme d’or pour Dheepan en 2015, tire un thriller musical trans explosif parlé en espagnol. Les musiques et paroles de Clément Ducol et Camille sont sublimées par les chorégraphies de Damien Jalet. L’opus est porté de bout en bout par la magnifique actrice trans Karla Sofia Gascón, aux côtés de Zoe Saldaña, Selena Gomez et Adriana Paz, couronnées ensemble d’un prix d’interprétation sur la Croisette.

Emilia Perez, qui à l’origine devait être un opéra, a nécessité une écriture très longue et un énorme travail d’élaboration. Provoquant des doutes chez le réalisateur qui, anxieux de livrer sa vision du monde, a même tourné un autre film avant, Les Olympiades. Il propose finalement une comédie humaniste jubilatoire née d’une tragédie, où se mêlent les thèmes sociétaux actuels, et où tout est «trans», en constante mutation physique et morale.

Jacques Audiard, un opportuniste assumé

Jacques Audiard sur le tournage d’Emilia Perez. Photo: Shanna Besson

Il dit être un solitaire qui fait du cinéma pour… ne pas être seul. Pour parler à un scénariste, à une équipe, à des acteurs, puis à un public. À l’occasion d’une rencontre à Lausanne, Jacques Audiard nous en dévoile plus sur lui et son dernier film.

Comédie dramatique, policier, romance, western, aujourd’hui thriller musical. D’où vous vient ce besoin de vous réinventer sans cesse?
Je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose de différent. J’avance et je propose des choses qui m’intéressent. Je suis toujours en mouvement. Il n’y a pas de rupture. Emilia Perez n’est pas un ovni. Il a la même épaisseur dramatique que mes autres films, avec des thèmes qui se croisent, se décroisent.

Il cumule également les styles, film noir. Soap opera, mélo.
Cela faisait partie du projet. Je reste à la recherche de forme. Il y a un sujet, Manitas et là-dedans une notion de transition. Le film devait donc aussi être trans. Ce que je souhaitais, c’était qu’il change de genre tout le temps. Qu’on passe par la telenovela, le film de narcos, la comédie musicale.

Quelle en est la genèse?
Un chapitre au milieu d’un roman de Boris Razon où un narcotrafiquant veut transitionner pour échapper à la concurrence. Dans mon film, il a toujours voulu devenir une femme. Il est né au mauvais endroit dans le mauvais corps. Il a fait le mal toute sa vie. par conformisme social en somme, et veut changer de sexe.

Est-ce une œuvre militante?
Cela me mettrait dans une drôle de position. Mon film est une réponse. Je suis militant parce que je défile. Je suis militant parce que je fais des films.

Vous vous saisissez de tous les thèmes actuels, #MeToo, violences, questions de genre, d’identité. On vous traite d’opportuniste. Que répondez-vous?
Que je le suis. Quand les choses m’intéressent je fais un film

Karla Sofia Gascón est une vraie femme trans. Pour vous c’était une condition sine qua non…
En effet, c’était absolument inenvisageable autrement. On a ouvert tous les radars. On était en plein casting, tout à coup je vois une photo d’elle. Le coup de foudre. Si je ne l’avais pas croisée, j’y serais encore. Peut-être, sûrement même, que je n’aurais pas fait le film. Karla est très attachée au problème de la transition. Mais surtout elle a ce truc fondamental. Elle me touche. Elle est drôle, forte, intelligente, douce, libre. Avant elle était Karl, un acteur. Après sa transition elle a simplement repris son métier.

La révélation Karla Sofia Gascón

Photo: Shanna Besson

Visage connu du petit écran espagnol grâce aux telenovelas, elle se hisse d’un coup au rang de star. Belle, intense, impressionnante dans son rôle de personnage pluriel, elle a un sacré tempérament, Karla Sofia Gascón. Pas étonnant qu’elle ait conquis Jacques Audiard au premier regard. Mais qu’a-t-elle pensé en découvrant le scénario? «Une folie pure. Un narcotrafiquant mexicain qui veut devenir une femme dans une comédie musicale baroque tournée en espagnol, c’est juste dément! Et surtout extrêmement compliqué. Mais bon, il fallait se lancer pour faire exister cette femme prisonnière d’une vie qui n’est pas la sienne et qui, à un moment donné, a la chance de la laisser derrière elle. Mais aussi la douleur de renoncer aux personnes qu’elle aime.»

Cela vous a demandé de gros efforts?
Oui, c’était long, dur, mais j’ai adoré. J’ai été bien guidée dans la préparation par Stéphanie, ma prof. Emilia est un diamant brut que j’ai pris un grand plaisir à raffiner.

Le plus difficile pour vous dans ce rôle?
Les chansons, avec deux voix différentes dont ni l’une ni l’autre n’est la mienne. Et puis il y a eu un énorme travail de mouvement. Je suis nulle en danse. Mais il y avait surtout le plus amusant, consistant à jouer une personne à l’opposé de moi comme Manitas.

Vous souhaitez mettre en lumière des gens qui vous ressemblent. Montrer que vous êtres des personnes normales. Pensez-vous que le film va aider?
Je suis sûre qu’il va y avoir des répercussions sur la société. À travers Emilia, on dépasse le cinéma. C’est une très belle chose. J’aimerais qu’on arrête de nous enfermer, de nous ranger dans une catégorie, que cessent les moqueries, les insultes, la haine.

À cet égard, le prix d’interprétation féminine, que vous êtes la première actrice transgenre à avoir décroché, a provoqué ce genre d’offense. Notamment de la part de Marion Maréchal. Vous avez déposé une plainte contre elle. Où en est l’affaire?
En fait, la plainte ne vient pas vraiment de moi. Je me suis unie à celle déposée par six ONG. Sur un plan personnel, j’adore la confrontation, mais c’est une autre étape. Pour l’instant l’affaire suit son cours. Il est vrai qu’un jugement favorable pourrait avoir un gros impact.

Que pensez-vous de la représentation des femmes trans au cinéma?
Elle est très pauvre actuellement. Il s’agit toujours du même type de personnage. Quoi qu’il en soit, à mon avis, les acteurs ou actrices doivent être choisi·e·s pour leur talent, pas pour leur sexualité.

Avant vous étiez comédien, maintenant comédienne. Abordez-vous votre travail différemment?
Pas tellement. Mais la transition n’est pas en cause. C’est mon âge qui m’influence. J’ai acquis une plus grande liberté. Grâce au prix, j’ai une immense marge de manœuvre. Ce qui m’oblige, car je crains que mon prochain rôle ne soit pas au niveau. D’autant qu’il sera plus complexe. Mais je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant.


Emilia Perez, de Jacques Audiard, avec Karla Sofía Gascón, Selena Gomez, Zoe Saldaña, Edgar Ramírez (France/Mexique, 2h10). Sortie le mercredi 21 août dans les salles de Suisse romande.