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La nouvelle théorie du complot

Le temps des homos branchés et sympas est-il révolu? Des voix s’élèvent pour dénoncer l’hétérophobie et la soi-disant hégémonie homosexuelle. Analyse de cette théorie du complot et des raisons de son émergence.

Les mots demandent qu’on les utilise avec mesure. Le mot hétérophobie dont l’écrivain Albert Memmi donne une juste définition – «Le refus d’autrui au nom de n’importe quelle différence» – prend aujourd’hui un sens nouveau. Car il s’emploie comme un terme construit sur le modèle d’homophobie pour signifier son contraire. A savoir: «La répulsion à l’égard des fantasmes, des désirs et des conduites hétérosexuels», comme l’indique Erik Rémès, auteur sulfureux et parangon de l’hétérophobie.
La salle d’attente d’un dentiste est le lieu rêvé pour s’adonner à la lecture de magazines qu’on ne lirait jamais autrement. L’un d’eux, Profil femme, destiné à la classe socioprofessionnelle supérieure romande, sous la plume de Sandrine Fabbri, s’emporte contre les hétérophobes: «Lorsqu’on est une minorité, quelle qu’elle soit, on a peur de disparaître, alors on affirme sa différence, avec véhémence, avec violence aussi parfois. Les opprimés deviennent les oppresseurs. Une autre forme de racisme voit le jour. Elle s’appelle l’hétérophobie.» En résumé, certains membres de la communauté LGBT seraient des fascistes en puissance et en étirant le discours tous ses membres porteraient en eux le germe de la révolution. Fini le temps où l’on considérait les homos comme des gens branchés et sympas? A l’instar de cet article, la tendance à voir désormais les homos comme des preneurs de pouvoir, capables même de mettre en danger la survie de la population, est tangible dans les médias. «Osons dire stop», écrivait récemment Le Matin au sujet des débats sur l’homoparentalité, craignant que les enfants d’homos ne viennent grossir les rangs de la gay pride. Pas de doute, on nage en plein fantasme.
Sur le Net, d’autres signes ne trompent pas. On y dénonce notamment la dérive des téléfilms tout public et le renversement de valeurs: «La caricature c’est l’homme, la femme et la famille traditionnelle. Les scénaristes étaient trop sûrs qu’on ne protesterait pas contre cette hétérophobie primaire tant les téléspectateurs, conditionnés par la propagande incessante des médias, n’osent plus élever la voix devant le scandale», peut-on lire dans un forum. Et les exemples, à l’instar du média néo-conservateur «action-liberale.org», affluent plus particulièrement depuis que le débat d’un mariage homosexuel s’est engagé aux USA. Au-delà de ces élucubrations les faits demeurent. Pour mémoire, la minorité LGBT n’a jamais cassé de l’hétéro ou tenté de guérir les «déviances» sexuelles de la majorité omnipotente. Elle n’a d’ailleurs statistiquement pas les moyens ni le désir d’être l’oppresseur. Inutile encore de démontrer à quel point le petit écran, faisant de plus en plus souvent office de poubelle, sert de relais à l’hétéronormativité et au populisme réactionnaire généralisé. En réalité, la communauté LGBT fait valoir son droit légitime à l’expression sous toutes ses formes.

Fantasme inusable
La thèse du complot hétérophobe dans le paysage sociomédiatique prend une telle ampleur que des étudiants français ont lancé en début d’année un vaste sondage via Internet «sur le thème de la marginalisation critique, donc volontaire, de la part de certains homosexuels» auquel les LGBT peuvent participer (http://sondageheterophobie.free.fr). L’étude n’est pour l’heure pas achevée. Mais indirectement elle met le doigt sur cette crainte du sectarisme et par extension du fantasme inusable de la menace du complot homosexuel. Dans ses écrits, le philosophe et historien Didier Eribon explique laconiquement ce syndrome: «C’est simple, à chaque fois que les gays et les lesbiennes décident de parler d’eux-mêmes et pour eux-mêmes, on leur dit qu’ils représentent une menace pour la société.» Remarque avérée. En effet la dénonciation de l’hétérophobie est assimilable à une «injure euphémisée», donc à une discrimination pernicieuse. Rappelons ici quelques grands «hérétiques»: Foucault, Genet et Pasolini. A méditer.
Qu’est-ce que le discours hétérophobe? Erik Rémès nous livre son point de vue. «L’hétérophobie est un phénomène minime, car elle est elle-même une minorité au sein de la communauté. La majorité des gays la trouvent dangereuse car contre-productive si nous désirons solliciter les hétéros pour l’acquisition de nos droits. Cette ligne politique radicale est une réaction hypertrophiée face à l’homophobie ambiante, en ce point elle est assimilable aux Black Panthers (ndlr. mouvement radical d’émancipation des noirs aux USA). Mais l’hétérophobie est de deux sortes. La première est un simple cynisme, une réponse humoristique. La seconde est une action politique de contestation qui est un juste retour des choses. Je décris l’hétérobeauf avec humour parce qu’il caractérise la dictature culturelle.» En deçà de la contestation pure, quelle solution l’hétérophobe prône-t-il comme modèle de société? «Je défends paradoxalement les libertés individuelles par un discours de haine. Haine comme moteur positif pour faire avancer notre cause. En fait, il s’agit des mêmes revendications d’acquis sociaux que l’ensemble de la communauté LGBT, mais je suis un extrémiste.» Dans les années 70, le mouvement FHAR militait déjà selon une ligne similaire à l’hétérophobie d’aujourd’hui. Avons-nous pour autant constaté le triomphe du «gay pouvoir»? L’homophobie et l’hétérophobie, nous le savons, ne sont pas de la même nature et n’ont pas les mêmes conséquences en matière de répression véritable. Deux poids, deux mesures, donc. Une réalité qui révèle que la communauté LGBT est encore l’unique victime du racisme et de l’endoctrinement dogmatique de la majorité.