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Coming out: la galère des ados

Depuis que la visibilité a gagné la rue et que la tolérance vis-à-vis des homos a grimpé dans les sondages, une croyance tenace a aussi envahi les esprits: celle qui consiste à penser qu’il est beaucoup plus facile pour les jeunes, aujourd’hui, de faire leur coming out. Il n’en est rien. Si l’on découvre effectivement son identité sexuelle de plus en plus tôt, il n’est pas forcément évident, quand on a 15 ou 16 ans, de le dire et de l’assumer. D’autant qu’à l’école et même au sein du milieu gay et lesbien, bien peu de structures sont mises en place pour les aider à trouver leurs repères. On ne sait pas où rencontrer ses semblables, ni même s’ils existent. Souvent, on ne peut même pas encore mettre un nom sur ce que l’on ressent. Aux clichés véhiculés sur une «jeunesse gay libérée et démonstrative» dans une «société sans tabous», la réalité quotidienne montre un tout autre visage. 360° a rencontré des jeunes qui en témoignent en Suisse romande. Parmi eux, des courageux ont raconté leur parcours dans un livre à paraître fin septembre et qui fera sans aucun doute œuvre d’utilité publique.

Des chewing-gum qui lui pleuvaient à la figure en classe, des ballons qu’on lui tirait dessus à la gym, des injures perpétuelles, tristement classiques. Durant un an et demi, Sylvain, le «sale pédé» comme on le surnommait dans son collège lausannois (cycle d’orientation), a vécu l’enfer. Seul, sans pouvoir en parler à personne, il a souffert de la bêtise de la classe et du manque de connaissance de ses «camarades». C’était il y a un an et demi, Sylvain avait alors 14 ans.

Aujourd’hui, à 16 ans, il se sent bien et «fier d’être gay». Mais il en a fait du chemin, depuis ce jour où, dans une cour de récré, il a commencé à apprendre ce que l’intolérance voulait dire: «Je me souviens, on parlait d’Elton John avec un copain. On a évoqué le fait qu’il était gay, et je lui ai laissé entendre que moi aussi je pourrais l’être. J’ai juste dit ça comme ça, en passant. En somme, c’était une sorte de coming out auquel je n’étais pas préparé. Le fait que j’étais gay a vite fait de se propager. Très rapidement, je suis devenu la cible de tous les garçons du collège.» En classe, Sylvain a demandé à ce qu’on le place tout derrière, pour limiter les dégâts: «Tout le monde me lançait des trucs dessus, tout le temps.» Les profs? «Ils savaient bien ce qui se passait. Certains ont réagi, tenté de parler à la classe. Mais d’autres préféraient faire semblant de ne rien voir.»

Sylvain évoque sans sourciller la longue liste de brimades dont il a été victime, sa solitude, ses résultats scolaires toujours plus catastrophiques, son sentiment horrible de ne pouvoir parler à personne de ce qu’il ressentait. Et de sa tentative de suicide: «Je voulais attirer l’attention. Je rêvais que quelqu’un vienne vers moi et me dise: je te comprends. Mais personne n’est venu.» Même pas ceux qui lui ressemblaient: «Je savais que d’autres jeunes de mon école se sentaient homos, mais en voyant ce qu’on m’infligeait, cela ne les encourageait pas à en parler.»

«Les garçons avaient peur de moi»
L’aide d’une prof plus perspicace que les autres, un psy qui l’amènera à faire son coming out auprès de sa mère, puis le soutien formidable de sa famille le tireront peu à peu de ce calvaire. Aujourd’hui, Sylvain dit sobrement qu’il a «grandi plus vite que les autres» et jette un regard lucide sur ces terribles mois passés: «Les garçons de la classe avaient littéralement peur de moi; certains croyaient vraiment qu’ils allaient devenir homos rien qu’en me parlant! On ne se rend pas compte, mais beaucoup d’ados ne savent pas ce que c’est que l’homosexualité. Finalement, ce n’est pas tellement de leur faute s’ils sont cons.»

Tous les jeunes à la recherche de leur identité sexuelle ne suivent pas un parcours aussi difficile. L’environnement familial, l’âge auquel on se découvre, sa personnalité sont évidemment autant d’éléments qui rendent l’identification, puis le moment crucial du coming out, plus ou moins bien vécus. Pour Aline, 19 ans, ce fut plutôt facile et elle en analyse aujourd’hui très bien les raisons: «J’ai grandi en communauté et mes parents, en tant qu’éducateurs, s’occupaient de toxicomanes. Ma mère avait le bagage pour comprendre, elle l’a très bien pris», dit-elle.

D’autres ont moins de chance. Quittent la maison à seize ans parce que leur père – à qui «l’aveu» est très souvent le plus difficile – refuse d’admettre. Ou préfèrent mentir, et se mentir, pour éviter de blesser leur famille: «J’adore mes parents, mais ils ne sont pas au courant. Je fais même tout pour jouer les gros machos: c’est pas difficile, je suis d’origine sicilienne et j’adore le foot!», dit Lucas, 18 ans (prénom fictif). «Disons que j’ai deux vies séparées: l’une avec mes parents et mes potes hétéros, l’autre dans les endroits gays, le week end.»

Les ombres de la fête
Ceux qui ont déjà fait leur coming out témoignent pour la plupart d’un immense soulagement, surtout quand ils s’aperçoivent que leurs parents n’en font pas forcément le drame qu’ils avaient imaginé. Mais le processus est long, notamment lorsqu’il y a des «conditions un peu particulières», comme dit Stéphane, 17 ans, dont le frère est aussi homo. Stéphane vit une véritable angoisse à l’idée que ses parents le sachent aussi à son sujet: «Je sais vraiment pas quoi faire. Deux pédés dans la même famille, c’est un peu too much! Cet été, je suis allé à Berne pour la Gay Pride, mais j’avais tellement peur de me retrouver en gros plan au Téléjournal que ça m’a gâché toute la fête!»

La Gay Pride, précisément, véhicule l’image d’une communauté homo désormais libérée, festive et revendicatrice. Les discours rappellent leur existence, mais les photos colorées des médias ont peut-être aussi tendance à faire oublier tous ceux qui restent dans l’ombre. «La majorité des jeunes homos de moins de 25 ans vivent encore dans le placard, avec d’immenses angoisses à surmonter», dit Stéphane Riethauser, coordinateur de la Commission Jeunesse et Ecole de Pink Cross. Il l’a constaté lorsqu’il s’est mis à rechercher voici deux ans des témoignages de jeunes Romands pour son projet de livre «A visage découvert»(1). Cet ouvrage paraîtra fin septembre et sera, en matière d’info pour les moins de 25 ans, un apport précieux dans le désert actuel. Avec leurs propres mots, trente jeunes – dont Sylvain et Aline – y font le récit de leur coming out. A visages découverts. «Mais pour 95% des jeunes que j’ai contactés, l’idée leur paraissait totalement impensable. Les jeunes homos bien dans leur peau restent vraiment l’exception», constate Stéphane Riethauser.

Le revers de la précocité
Pourtant, la visibilité accrue de la communauté gay et lesbienne, les réformes législatives en cours, une société qui se montre, du moins dans les sondages, plus tolérante à l’égard des préférences sexuelles: tout cela ne devrait-il pas faciliter l’affirmation de la jeune génération? N’est-il pas plus aisé qu’il y a dix ou même cinq ans, pour un jeune, de sortir du placard? «Il y a sans doute beaucoup plus d’articles dans les journaux ou de films qui permettent de s’identifier en tant qu’homosexuel(le)s. En revanche, l’éducation que les jeunes reçoivent, elle, n’a pas beaucoup changé. Les parents, l’école, véhiculent toujours des modèles strictement hétérosexuels. Les jeunes de 13, 14 ou 15 ans qui se découvrent une orientation sexuelle différente n’ont pas les armes pour affronter cette situation», dit encore Stéphane Riethauser.

Des études le montrent: on se découvre homo de plus en plus tôt. Aux Etats-Unis, cette identification se faisait entre 19 et 21 ans dans les années 70-80, elle se situe aujourd’hui dans le même pays, entre 14,5 et 15,5 ans. Les observations réalisées en Suisse correspondent à ces chiffres. La récente enquête du Service de psychiatrie du CHUV à Lausanne sur les jeunes gays(2) montre que la première attirance sexuelle se situe en moyenne à 13 ans, la première identification homo à 16 ans et demi et le premier rapport à 17 ans.

La visibilité homo, qui ne cesse de s’accentuer, donne donc des clefs pour découvrir ses préférences sexuelles de plus en plus jeune. Paradoxalement, ces découvertes précoces ne sont pas toujours un cadeau dans un environnement scolaire ou familial encore largement hostile. Pas facile, comme pour Sylvain, d’affronter à 14 ans les quolibets d’ados en plein âge bête. «C’est le rôle de l’école de transmettre l’idée qu’être homosexuel n’a rien d’anormal. Il ne suffit pas de réagir – et encore – seulement quand un élève crie au secours. Des efforts ont été faits ces dernières années en Suisse au niveau de l’éducation sexuelle, mais ce n’est pas suffisant. Les directions sont encore complètement bloquées sur le sujet, surtout lorsqu’elles se rendent compte qu’il concerne aussi les moins de seize ans. Là, c’est encore totalement tabou.»

Or il y a urgence, quand on sait qu’un gay sur quatre selon les chercheurs du CHUV (un sur cinq en Allemagne selon une enquête réalisée l’an dernier), tente de mettre fin à ses jours durant l’adolescence. Un chiffre huit fois fois supérieur à celui des tentatives de suicide enregistrées chez les jeunes ados en général. Des études(3) montrent que le sentiment de non conformité éprouvé en relation avec leur identité sexuelle serait le facteur privilégié des tentatives chez les jeunes. Cenpendant, les études généralistes portant sur le suicide n’en font quasiment jamais état!

Associations aux mains vides
La communauté homo elle-même, celle qui s’assume, devrait avoir un rôle important à jouer. L’enquête du CHUV le montre aussi, les associations constituent toujours le relais clef (70% des jeunes disent les fréquenter au moins une fois par mois dans l’enquête du CHUV) pour entrer en contact avec d’autres homos du même âge. Or, bien trop peu de structures spécifiquement destinées aux jeunes existent. Par manque de forces, par manque de moyens. Symptomatique de ce vide: la FELS, une association basée à Berne et qui s’adresse normalement aux parents d’homosexuels, voit de plus en plus de jeunes gens la contacter, ceux-ci ne sachant où s’adresser.

Ce n’est pas un hasard si le groupe le plus dynamique en Suisse romande, celui de Vogay à Lausanne (voir nos adresses), est aussi celui qui bénéficie du soutien d’un animateur professionnel, rémunéré. Le groupe fonctionne grâce aux subventions de l’ASS, du Service de la santé publique vaudois, de l’Office fédéral de la santé publique et de Profa. Ceux qui fréquentent ces structures témoignent de leur utilité.

Phénomène relativement nouveau, on apprécie aussi l’existence d’Internet, moyen de contacts virtuels avant de franchir la porte des locaux d’une association. «En fait, mon malaise actuel vient surtout du fait de ne connaître personne, et non plus tellement de l’homosexualité elle-même», témoigne Raymond sur le site de Vogay, dans un message où il raconte comment un soir il est passé tout droit devant l’association, sans oser pousser la porte. En consultant la ligne de Dr Gay, un site où l’on peut poser des questions en lien avec l’homosexualité, il est frappant de constater à quel point les ados utilisent ce service: les questions relatives à l’identité et au «comment faire son coming out» abondent. Dans les associations comme sur ces sites, les garçons sont bien plus nombreux à oser se manifester. L’invisibilité des filles se remarque déjà fortement à l’adolescence.

L’angoisse du milieu
Le milieu homo adulte est souvent ressenti par les plus jeunes comme un univers pas très engageant, ce qui ne facilite pas le coming out. Chez les lesbiennes, à 18 ou 20 ans, on ne veut plus forcément s’identifier au féminisme radical de militantes plus âgées (celui qui exclut le sexe masculin). Nombre de garçons disent aussi leur peur de débarquer dans un milieu superficiel, quasiment considéré comme celui des «prédateurs» pour reprendre l’expression utilisée par le site de présentation du Groupe Jeunes de Vogay. Révélateur, ce récit anonyme, lui aussi recueilli sur le site de l’association vaudoise: «(…) Dans ce milieu, il faut satisfaire sur tous les points de vue. De plus, je n’ai pas l’impression que les mecs du milieu apprécient un être pour ce qu’il est. Ou alors je ne suis tombé que sur des imbéciles. Car tous étaient attirés par la chair.»

Ces témoignages, ces angoisses et expressions de solitude, témoignent de la longueur du processus nécessaire pour s’adapter à son orientation homosexuelle: ces adolescents doivent à la fois détruire les mythes véhiculés par la société, établir des relations amicales et amoureuses avec d’autres homos pour renforcer leur estime de soi, et apprendre à interagir avec leur cadre de vie familial, professionnel, etc. Tout un chemin qui, selon les propos de Bill Ryan et Jean-Yves Frappier, deux chercheurs canadiens, doit les «conduire d’une phase de négation ou de rejet de leur homosexualité à une phase d’analyse critique de l’attitude de la société.» Parmi bien d’autres, Sylvain sait combien ce parcours est difficile, mais aussi, comme il dit, «tellement valorisant. Aujourd’hui, je me sens libre de pouvoir tout dire».

(1) «A visage découvert», photographies et textes réunis par Stéphane Riethauser. Editions Slatkine.
(2) «Incidence du développement de l’identité sexuelle sur les risques de contamination par le VIH chez les hommes homosexuels et bisexuels de 25 ans et moins en Suisse romande», par Pierre Cochand, Pascal Moret et Pascal Singy, printemps 2000.
(3) Voir le résumé de ces études sur le site canadien de Gai-écoute