Jurapride: p’tite mais costaude
Delémont et ses 12’000 habitants s’apprêtent à organiser la prochaine pride romande. Fidèles à leur réputation, les Jurassiens feront fort et pas tout à fait comme les autres...
Nicole Béguin commence à avoir l’habitude. Chaque fois qu’elle va au bistrot ou au magasin du coin, les gens lui lancent: «Alors cette pride, ça avance?». C’est qu’à Delémont, 12’000 âmes, la ville est bien petite pour qu’on ne sache pas qu’elle accueillera, les 5 et 6 juillet, la fameuse gay pride romande et que Nicole, avec une bande de jeunes, s’en occupe. «Beaucoup de gens confondent gay pride et street parade; ils ne savent pas toujours de quoi il s’agit exactement – «un truc techno avec des gays?» – Mais les gens sont contents à l’idée de recevoir pareil événement», raconte-t-elle. A carnaval, les gens de Delémont ont d’ailleurs allégrement utilisé la thématique, sans arrière-pensée. Rien à voir avec les remous qui avaient agité la ville de Sion, il y a deux ans. Ici, la mairie est entre les mains de Pierre-Alain Gentil, député socialiste à Berne, et on a l’esprit ouvert. Les autorisations sont tombées sans difficulté et la population semble ravie. Dans le Quotidien jurassien, le test, d’ailleurs, a déjà commencé: le journal demande régulièrement à une personnalité ou un citoyen de se prononcer sur le fameux événement. «A une ou deux rares exceptions près, les gens se montrent totalement enthousiastes», affirme Nicole.
Et même mieux que cela. Les bistrotiers, qui ont été invités à verser un montant de 500.– en guise de participation financière, ont quasiment tous joué le jeu. La bibliothèque municipale monte une exposition intitulée «Homosexualité à travers les siècles – les paradoxes de l’Histoire» (du 28 mai au 19 juillet), le Musée jurassien organise une conférence sur le thème «intégration et exclusion» (3 juillet) tandis que le lendemain le cinéma La Grange diffuse «Remue-ménage» de Fernand Melgar et organise un débat autour du transformisme (4 juillet).
Le comité d’organisation de la pride a aussi eu l’idée de mettre au concours l’affiche de la fête auprès d’étudiants de deux écoles d’art, celle de La Chaux-de-Fonds et de Bienne. Au total, une trentaine d’affiches feront l’objet d’une exposition à L’Hôtel de Ville dès le 20 juin. Le samedi soir, les rues du vieux Delémont, transformées en village festif comme ce fut finalement le cas à Sion et à Neuchâtel, seront propices à la rencontre entre les 5000 manifestants espérés et la population locale.
Pride, tout court
Articulée autour du thème «simplement, faiRE CONNAISSANCE», la pride jurassienne se veut toutefois un peu différente des autres éditions. «On n’a pas voulu parler de lesbian and gay pride and friends, mais seulement de pride, l’idée étant d’élargir les notions de fierté et de reconnaissance. On aimerait que les Jurassiens apprennent à reconnaître les homos et tous ceux qui vivent différemment dans le canton, les problèmes de visibilité étant encore très marqués malgré tout; mais on souhaite aussi que tous les gens d’autres cantons qui viendront à cette fête apprennent à mieux connaître le Jura, une région qui souffre aussi de son isolement. C’est donc une démarche à double sens», explique encore Nicole Béguin. En matière d’activités, la rencontre avec les Jurassiens sera donc aussi favorisée. Le dimanche matin, les visiteurs, dont tous ces citadins invétérés, seront invités par des familles paysannes à bruncher chez elles. Et ceux qui veulent découvrir un peu plus le canton pourront partir en randonnée ou le parcourir à vélo ou à moto.
Champêtre, la pride 2003? Que les noctambules se rassurent, les organisateurs n’ont pas négligé les attentes habituelles des fêtards. Outre le bouillonnant village, trois événements les attendent le samedi soir: une soirée techno, une soirée disco et surtout la venue de Michael von der Heide dont le cachet n’est pas négligeable. Pari risqué? «Cela m’angoisse un peu, avoue Nicole, mais les plus jeunes du comité sont très confiants». Le comité d’organisation travaille avec un budget de 130’000.– et espère même pouvoir dégager du bénéfice pour soutenir les organisateurs de la pride 2004 (au Tessin ou à Genève?, la question reste ouverte). Pour cela, une seule façon de les aider: se rendre en masse dans le Jura les 5 et 6 juillet pour un événement historique: Delémont, en effet, devrait être la plus petite ville d’Europe à avoir jamais organisé une pride. Les organisateurs n’ont d’ailleurs pas manqué d’en faire un argument promotionnel.