«La Gay pride a déjà gagné son pari»
Coordinatrice de la Pride de Sion, Marianne Bruchez revient sur les réactions passionnées que suscite l’événement. A ses yeux, elles font partie d’un débat nécessaire pour tout le Valais.
Des intégristes qui font campagne contre la Gay pride, un évêque qui diabolise l’homosexualité, une municipalité qui n’osait pas s’engager… Est-ce que vous vous attendiez à de telles réactions quand vous avez commencé à mettre en place le projet?
Honnêtement, non. On ne pensait pas que cela irait si loin. Bien sûr, on s’imaginait bien que faire une Gay pride en Valais, ça allait susciter des débats et des réactions dans le canton. Car parler d’homosexualité en Valais n’est pas chose facile. Le sujet est encore largement tabou. Ce qui nous a surtout surpris, au comité, c’est l’extrême violence des propos. Et le fait que la polémique a très vite pris une dimension nationale. Tous les médias s’y sont intéressés.
Comment analysez-vous cela?
La prise de position des milieux intégristes contre la Gay pride, avec cette page de pub intolérable publiée par le Nouvelliste, a incontestablement mis de l’huile sur le feu. A partir de là, les opposants à la Gay pride avaient un visage. Les intégristes contre les homos, et tout cela en Valais, les ingrédients étaient là pour que l’incendie prenne!
Le mouvement Romandit a annoncé qu’il ferait tout pour empêcher la tenue de la Gay pride. Cela vous fait-il peur?
Non. Je ne crois pas que le mouvement soit prêt à commettre des actes hors de la légalité. Ses affiches anti-féministes lui ont déjà valu une condamnation pénale et je ne crois pas qu’il prendrait ce risque une nouvelle fois. Jusqu’ici nous n’avons pas reçu de menace. Et franchement leur campagne anti-gay pride, depuis leur fameuse page de pub, on ne la voit pas en Valais.
En somme, Romandit vous a plutôt rendu service…
Je ne sais pas si on peut dire les choses comme ça, car c’est toujours désolant et inquiétant de voir que l’intolérance puisse prendre une forme aussi violente. Mais c’est vrai que ces propos extrémistes en ont fait réfléchir beaucoup. Des hétéros, qui jusqu’ici n’étaient pas spécialement intéressés par l’événement, nous ont écrit pour nous dire qu’ils avaient finalement saisi l’importance de faire une Gay pride à Sion. La municipalité a compris qu’elle avait commis une erreur en refusant de nous soutenir politiquement; maintenant le dialogue est rétabli et c’est tant mieux. Le Nouvelliste également a fait son mea culpa. M. Dayer, son rédacteur en chef, m’a appelé pour me dire qu’il était désolé d’avoir laissé passé cette page de pub, que c’était une erreur et qu’il ne s’était pas rendu compte de l’impact que cela aurait. C’est révélateur de la méconnaissance qui existe encore sur la condition des homos dans notre canton. Ce qui est intéressant, c’est que maintenant, après tout ce tohu-bohu, cet événement est devenu un miroir qui fait réfléchir le Valais sur sa manière de voir le monde.
Dans quel sens fait-il réfléchir exactement?
Le Valais a toujours tendance à jouer sur son côté terre d’exception, et cela c’est très agaçant. On entend toujours la formule «oui, mais on est en Valais» pour excuser le fait que l’on ne peut pas faire certaines choses, comme une Gay pride, ou qu’au contraire on peut les faire, comme laisser des extrémistes affirmer que l’homosexualité conduit à la criminalité. C’est une logique qui tourne en rond, elle ne mène nulle part. Maintenant, il y a une prise de conscience que cette Gay pride est nécessaire car elle crée un vrai débat de société. Sur la condition des homos dans le canton, sur la tolérance en général à l’égard de tout ce qui est «étranger» à un certain mode de vie, sur l’image fermée du Valais. En cela, la Gay pride de Sion a déjà commencé et gagné son pari. Peu importe si elle suscite des critiques; grâce à elle, l’homosexualité est déjà devenue un sujet un peu moins tabou dans le canton.
En quoi est-il plus difficile d’être gay en Valais? Cette idée ne relève-t-elle pas d’une forme de cliché?
Non. Il y a quantité de gays et de lesbiennes qui aujourd’hui encore n’osent pas faire leur coming out, et il faut que les gens sachent ce que cela veut dire de vivre caché. Si au mieux ils l’ont dit à leur famille, ils subissent de fortes pressions pour que cela ne se disent pas «plus loin». Cette peur villageoise des «on dit», qui d’ailleurs ne concerne pas seulement les homos, est encore très présente dans les relations sociales en Valais. Les homos ont peur des représailles surtout au niveau professionnel. Pour eux, il est totalement impensable que cela se sache au boulot. Et puis, ce n’est pas un hasard si le canton ne compte aucun lieu public – bistrot, bar ou boîte – homo. Ceux qui les fréquenteraient auraient le sentiment de prendre de gros risques. Ils préfèrent sortir à Lausanne ou à Genève où il y a aussi plus de moyens de tisser des liens. D’ailleurs à Sion, le 7 juillet, il est certain qu’il n’y aura pas beaucoup de Valaisans au défilé. Beaucoup seront sûrement là, mais anonymes, dans la foule qui regardera passer la parade.
Dans les milieux homos, à Genève ou Lausanne, on a parfois reproché à la Pride de Sion sa timidité, le comité ayant donné des assurances à la municipalité quant au fait que la manif sera très sage. Certains parlent de Shame Pride…
Je regrette que l’on puisse voir les choses ainsi. Je pense que nous sommes en partie responsables de cette perception, car on a mal communiqué sur notre projet. Ce que nous avons envie de faire, c’est une Gay pride rassembleuse, montrant que les gays et les lesbiennes sont des gens comme tout le monde. Délivrer ce message en Valais, cela me semble très important au vu des clichés qui subsistent encore sur les homos. Je crois que les événements de ces dernières semaines l’ont bien démontré: il y a encore beaucoup de chemin à faire dans notre canton et ce n’est pas un hasard si nous avons pris des pincettes pour obtenir les autorisations nécessaires. Mais je crois que ces critiques se sont maintenant bien apaisées. Les homos qui résident en ville, pour qui tout est plus facile, ont compris qu’il y a des gens qui vivent une toute autre réalité en milieu rural. Je trouve d’ailleurs stimulant que la Gay pride de Sion suscite aussi ce genre de réflexion à l’intérieur de notre communauté.
Que souhaitez-vous qu’il reste du 7 juillet?
Je ne vois pas la Gay pride comme un événement d’un jour. D’abord, formellement, il faut rappeler que le programme des festivités s’étale sur plusieurs rendez-vous. Il y a des débats sur l’éducation qui ont déjà commencé, un festival de film qui débutera une semaine avant, des expos, etc. Mais surtout, comme je l’ai dit, la Gay pride a non seulement déjà commencé, mais elle se poursuivra après le 7 juillet. C’est un processus d’apprentissage pour tout le canton. Ce que je souhaite, c’est qu’à terme, chaque famille valaisanne n’ait plus honte de compter un homo dans ses rangs. Que l’on puisse se dire: « Tiens, le cousin Alfred est homo», et que cela sonne comme une phrase tout à fait banale.