Des logos plein la pride
La présence de grosses entreprises dans la marche des fiertés fait des vagues à Genève. Le sujet est tout aussi chaud à travers le monde.
Cinquante après Stonewall, la polémique sur la place prise par les entreprises dans les défilés LGBTQ+ ne cesse de grandir. À Genève le 6 juillet prochain, on verra au moins douze groupes (sur la soixantaine prévu) marcher derrière des bannières corporate. Du jamais-vu en Suisse romande. La participation de plusieurs firmes pharmaceutiques, d’un géant du tabac et de banques internationales, entre autres, est annoncée. Leur présence est justifiée par leurs efforts de promotion de la diversité et de la non-discrimination sur le lieu de travail. Une explication qui suscite le scepticisme parmi les associations et auprès du parti de gauche SolidaritéS, qui prévoit d’adresser une lettre aux organisateurs, comme le rapporte «Le Courrier».
Dans son éditorial, Rachad Armanios s’inquiète de voir la manifestation «polluée par des messages contradictoires d’entreprises qui cherchent à se donner un coup de peinture rose. Ainsi de ces grandes banques qui s’affichent gayfriendly, tout en faisant des affaires en Arabie saoudite, où l’on passe les «sodomites» au sabre. L’un des sponsors, une entreprise pharma commercialisant des traitements contre le VIH, a été accusée d’empêcher l’accès à des médicaments à prix modérés dans des pays en développement.»
Complaisance
L’accusation selon laquelle les entreprises poursuivraient une stratégie d’image sur le dos des prides peut aussi provenir des rangs du personnel LGBTQ+. Dernièrement, des employés de Google ont dénoncé le sponsoring de la Pride de San Francisco par leur propre entreprise, rapporte «L’Obs». Le géant du Net est peut-être exemplaire en termes d’inclusivité, mais il est complaisant face aux discours de haine, estiment-ils.
À New York, les 4 millions de personnes attendues dimanche à la World Pride risquent d’être confrontés à une overdose de logos rainbow lors de la marche officielle (une marche «off» non marchande est organisée parallèlement). «C’est un événement que les entreprises voient comme une occasion de branding positif et de visibilité», reconnaît Todd Sears, fondateur de Out Leadership, réseau de dirigeants LGBT+ américains, sur le site de «Forbes». «Imaginez un char de société lors de la parade. Que voyez vous? Une pub sur roues? Regardez bien, pensez aux personnes LGBT+ et leurs alliés au sein de la compagnie. Imaginez les heures et les heures de meeting et de préparation, les e-mails pour recruter des marcheurs et convaincre les managers intermédiaires. Prenez aussi en considération tout ce que l’engagement d’une entreprise pour l’égalité LGBT+ peut réaliser. Ces dix dernières années, des centaines de PDG ont adopté des plateformes pour les droits LGBT+, pas seulement aux États-Unis mais dans le monde entier.» Et de vanter l’impact des grands employeurs faisant pression sur le Brunei, Hongkong ou Singapour pour abroger les lois homophobes ou transphobes.
«Capitalisme teinté de rose»
Pas de quoi émouvoir un vétéran de la cause LGBTQ+ comme le Britannique Peter Tatchell. Celui-ci exprime son amertume sur l’évolution des prides actuelles, devenues selon lui des symboles d’un «capitalisme teinté de rose». Dans une tribune publiée par «The Guardian», le militant de 67 ans se remémore l’origine du mouvement, au lendemain de Stonewall, qui cherchait à réunir des gens venus des marges pour combattre les injustices et transformer la société. Il écrit: «Nos organisations communautaires sont de plus en plus exploitées par les entreprises, avec des Pride dominées par les gros sponsors sur leurs chars, par des politiciens en quête de vote et des agents d’État, comme la police, qui se vantent de leur inclusivité LGBT+, mais n’ont ni demandé pardon ni offert de réparations aux victimes de décennies d’oppression.»