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Vieille comme la rue? La prostitution hier et aujourd’hui

ven 19 avril, 17:30

Paroles de mômes

Sujet à la mode dans les médias, analysée sous tous les angles par les psys, voire enjeu politique, l’homoparentalité est aujourd’hui l’objet d’un discours totalement biaisé. Rarement les principaux intéressés, les enfants qui, de fait, vivent dans des modèles différents, ne sont entendus sur ces questions. 360° a voulu leur donner la parole.

«Adoption: les homos font déjà des bébés tout seuls.» «Homos et parents: le droit de l’enfant d’abord.» Voilà comment le journal Le Matin, début décembre, traitait dans ses colonnes la nouvelle de l’adoption du pacs par le Conseil National. Dans des articles truffés de non-sens et de stéréotypes, voilà que l’homoparentalité, loin de toute réalité sociale, servait d’épouvantail des plus primaires pour aborder l’actualité brûlante! Il faut savoir «dire stop», écrivait le journal orange dans l’un de ses commentaires, comme si l’homoparentalité en soi était une revendication et non une réalité sociale.
Cultivant également le fantasme stipulant que «les homos font des enfants tout seuls» (que l’on nous donne la recette, ça nous intéresse!), ce type d’approche relève non seulement de l’absurde, mais d’une totale mauvaise foi tant on évacue ici la réalité vécue de l’homoparentalité: d’abord, qui dit qu’un enfant élevé dans une famille homoparentale n’a pas un père et une mère? Dans la majorité des familles concernées, c’est pourtant bien le cas. Et puis, on oublie les questions essentielles: pourquoi une femme célibataire, en Suisse, peut-elle adopter un enfant alors qu’une femme lesbienne, vivant en couple, ne le peut pas? Pourquoi la question des origines, dans nombre de pays européens, ne soulève aucune interrogation éthique lorsqu’un couple hétéro ayant des problèmes de fertilité recourt à un donneur anonyme? Toutes ces questions mériteraient pourtant de bons articles qui dépassent la question de l’orientation sexuelle des parents. Mais pour le journal le plus lu de Suisse romande – et bien d’autres – il est sans doute plus facile de séduire son lectorat en tirant sur les familles homoparentales…
Frappant aussi: dans ces articles alarmistes, le bien-être de l’enfant est toujours brandi comme un dogme. Mais cela sans que personne n’essaie de définir ce bien-être, ni ne mette une fois sérieusement le nez dans les études existantes – essentiellement américaines – réalisées auprès d’enfants d’homosexuels.
360° a voulu donner la parole aux enfants, ces premiers concernés à qui l’on ne demande jamais leur avis. Comment vivent-ils la différence? Qu’est-ce qui est difficile, ou facile, dans leur vie de tous les jours? Avec l’aide de Magali Bandelier, éducatrice et responsable du groupe «homoparents» de Espace 360, qui a mené les entretiens, des ados et des préados, ainsi que des adultes ayant grandi dans un contexte d’homoparentalité, ont livré leur témoignage.

La révélation
Pour les enfants qui ne sont pas nés au sein d’une famille homoparentale et n’y grandissent pas, la première prise de conscience d’une réalité familiale un peu différente s’est le plus souvent faite à travers le coming out d’un de leurs parents. Elodie, 14 ans – elle en avait 7 à l’époque – ne s’y attendait pas, puisqu’elle vivait encore avec ses deux parents. «C’était un peu un choc: je ne comprenais pas trop ce que ça allait changer pour moi, et même ce que ça voulait dire…» Christophe, âgé de 11 ans, a vécu la situation inverse, puisque le coming out paternel lui a avant tout permis de comprendre la cause du divorce de son père et de sa mère: «J’ai dû réclamer, ça m’énervait! Quand je demandais à mon père pourquoi ils s’étaient séparés, il me répondait: Je te dirai quand tu seras plus grand. Mais moi, je pensais que ce serait plus difficile de le savoir à 13 ans: je l’aurais moins bien pris, j’aurais été fâché.» Pour Christophe, l’âge auquel on l’apprend est particulièrement important: «Il faut le dire tôt, pas trop tôt, mais pas trop tard non plus…»
Son frère David, 9 ans aujourd’hui mais qui n’avait que 5 ans à l’époque, n’avait pas eu de réaction particulière: «Ce n’était pas très important à mes yeux: il nous avait juste dit qu’il ne fallait pas trop en parler aux autres à l’école. Et en plus, le copain de papa était très gentil. Donc c’était plus facile à accepter que le divorce, la séparation.» Avant le coming out de leur père, les deux frères avaient certes déjà entendu certaines personnes dire «que c’était dans un cadre très rare, et que ces gens étaient complètement fous. Mais on nous avait déjà bien expliqué ce que ça voulait dire et on avait la vraie version des choses.»
Pour d’autres enfants, qui soupçonnaient l’homosexualité de leurs parents, le coming out vient souvent comme un soulagement. Comme pour Patrick, 29 ans, qui, avec ses deux frères et sa sœur, s’en doutait, mais l’a appris après le divorce des parents, sur le tard, il y a sept ans: «C’était un véritable soulagement de le savoir de sa propre bouche: c’était enfin clair!»
Les quatre enfants – tous hétéros – n’ont eu de problème ni avec l’homosexualité de leur père, ni avec celle, présumée, de leur mère, qui vit en couple avec une amie depuis des années. Pour Radha et Vidya, deux sœurs de 16 et 14 ans, l’homosexualité de leur père, révélée à la suite du divorce, ne constitue de toute manière pas un problème dans la mesure où, mis à part le fait qu’elles l’adorent, elles ne vivent de toute manière plus avec lui. «On le sait, il sait qu’on sait… on s’en fout un peu…»

L’école du silence
Pour les enfants ayant grandi au sein d’un couple homoparental, pas de coming out: l’homosexualité des parents est un vécu de tous les jours avant d’être un mot ou un concept. L’événement qui joue le rôle de révélateur, c’est la prise de conscience que leur réalité, leur quotidien, semble anormal aux yeux des autres. C’est tout particulièrement vrai à l’école, espace de socialisation par excellence.
Sylvie, 35 ans, avait sept ans lorsque, un an après son divorce, sa mère s’est mise en ménage avec une autre femme: «Ma deuxième maman, même si je l’appelais par son prénom, avait une vraie fonction parentale – ni celle du père ou de la mère – j’en avais déjà une, ni celle de belle-mère… J’avais sous les yeux un couple qui s’aimait, et qui m’aimait, dans un environnement riche, drôle et vivant, avec en plus une tolérance de la différence des autres. C’est à l’extérieur que la différence était vraiment tabou. Dans mon milieu scolaire, on n’abordait l’homosexualité qu’au travers d’insultes!»
Même constat pour Caroline, 25 ans, qui a vécu avec sa mère jusqu’à la préadolescence: «C’était le bonheur, sans cliché, ni standard, la fête! A l’époque on était à Lausanne. Ensuite on a déménagé dans un petit bled – on a vite été repérées. C’est à ce moment là – j’avais 11, 12 ans – qu’est venu le regard des autres. J’ai un peu compris ce qui se passait à la maison… et ça a été plus difficile avec le corps enseignant, des relations un peu conflictuelles à l’école où il fallait “faire attention à Caroline”. J’avais de la difficulté à assumer une maman pas comme les autres, à ramener des amis ou des amies, à la maison. Je me disais: “Ca va être difficilement accepté.”»
Pour presque tous les enfants d’homos, c’est cette loi du silence qui est la plus pesante. Christophe également avoue avoir peur de le dire à ses amis: «J’ai peur qu’après cette révélation, ils ne m’aiment plus parce que mon père n’est pas comme tout le monde… Enfin il est comme tout le monde mais c’est ce qu’ils diraient! C’est pour ça que j’attends. C’est pas un poids, mais juste un peu gênant, mais je peux vivre: ça ne va pas m’empêcher de dormir, comme pour la séparation de mes parents.» Son frère David y pense un peu moins et finit par avouer que quand on lui demande «est-ce que ton père est homosexuel ou pas?», il répond non. «C’est mieux, on sait jamais ce qui peut arriver.» La majorité des enfants semblent, sinon terrorisés, du moins effrayés à l’idée que l’homosexualité de leur père ou mère puisse être divulguée à l’école. Mais malgré la pression, certains enfants choisissent d’en parler plus ou moins ouvertement. C’est le cas de Venel, 9 ans, adopté et vivant depuis sa naissance dans un couple de femmes. De nature très optimiste, et ne voyant tout simplement pas le problème, il en a parlé à l’école, et ses camarades, contrairement à toute attente «s’en fichent complètement: ils le savent et trouvent ça normal». Dans cette petite ville de Suisse romande, il est vrai que l’essentiel, c’est de jouer «franc jeu» et être sincère. Pour Elodie, qui va à l’école dans un village vaudois, mentir à ses meilleures amies aurait également été impossible: «Mes amis doivent tout savoir sur ma vie, c’est important. Je n’ai pas de mal du tout à en parler. J’ai besoin de communiquer. Pour eux, je reste la même. Je ne me suis jamais fait rejeter, même si au début ils font “quoi?”… après ils s’habituent.»
Pour Elodie, peut-être parce qu’elle ne craint plus que ses amies apprenne l’homosexualité de son père, l’école serait le lieu idéal pour parler homosexualité… David également, malgré sa méfiance par rapport aux autres élèves, verrait plutôt d’un bon œil que l’homosexualité puisse être discutée à l’école: «Du moment que la maîtresse le prend bien! Comme ça s’il y a un copain qui dit “Ça veut dire quoi…” la maîtresse pourra expliquer ce que ça veut dire qu’être homosexuel ou séparé.»
Mais pour la majorité des enfants, à l’école, tout le monde est un homophobe en puissance. Même les profs. On préfère ne pas parler avec eux, de peur de «propager des rumeurs». Ou de peur d’être discriminé, comme le dit Christophe: «Imaginons que le prof n’accepte pas – sans te le dire – et qu’il soit hyper sévère avec toi, qu’il t’engueule et ne t’aide pas, soi-disant parce que tu n’es pas normal. Je préfère que ça reste dans la famille…»
Alors que la majorité des enfants vivent relativement bien l’homosexualité de leurs parents, ils ont en général un peu plus de peine avec l’homoparentalité en général. Surtout les enfants issus de couples divorcés, qui ont du mal à s’imaginer avec deux pères ou deux mères, comme Elodie, qui pense qu’il est difficile pour un enfant vivant cette réalité de se faire accepter… Même si elle relativise: «A 14 ans c’est moins un problème. Mais si j’étais élevée par deux pères, je trouverais ça assez bizarre: ne pas être comme les autres, qui ont un père et une mère. Mon père ne vit pas avec son copain, et je ne sais pas si ça changerait quelque chose. J’aurais moins de facilité à parler avec lui, ça changerait un peu ma vie…»
En général, les enfants interviewés ont des schémas relativement traditionalistes quant aux rôles hommes/femmes, même si tous reconnaissent également qu’il est normal de vouloir un enfant, qu’on soit gay ou lesbien ou pas, et qu’idéalement le fait d’être homo ne devrait pas être une barrière en soi. Mais beaucoup soulignent qu’il est préférable pour l’enfant d’avoir aussi un parent ou un représentant de l’autre sexe, en tout cas quand il est petit, même s’il doit s’agir d’un frère ou d’une sœur d’un des membres du couple homoparental. Christophe pense qu’il faut «avoir dans son entourage quelqu’un de féminin ou de masculin – ça dépend des cas – je pense que ça doit être important pour voir ce que les hommes sont, et pas seulement les femmes – avoir des contacts, faire des sorties pour voir comment sont les pères homosexuels ou juste les hommes hétéros…»
Christophe est fermement persuadé que les garçons qui n’ont plus de contact avec leur père – ce qui est, d’après lui, bien plus dur que d’avoir un père homo – seraient enclins à devenir «irresponsables». Dans le cas d’une adoption, il faut vraiment que les parents s’entendent bien, et soient «sûrs que c’est pour un bon moment, et accepter le fait qu’il y aura peut-être quand même des petits problèmes, quand l’enfant grandira, quand il aura 8-10 ans».
Pour Radha, c’est l’insémination avec donneur anonyme qu’elle trouve «le plus glauque»: «C’est bizarre de ne pas savoir qui est ton père ou ta mère, tes parents, tes origines. C’est pareil pour tout le monde: les enfants adoptés ou nés sous X veulent tous savoir d’où ils viennent.»
Caroline, en tant que lesbienne, s’est posée, pour elle-même, la question, et voudrait, pour élever un enfant, qu’il y ait «une touche d’image masculine». Elle regrette ne pas avoir eu, plus jeune, la complicité d’un homme autour d’elle: «Si mon envie est d’avoir mon enfant à moi, plutôt qu’un enfant adopté, ce qui est important c’est que je mette de l’amour dans mon cœur et que je le fasse de manière “traditionnelle”. Un enfant ça se fabrique d’une manière magnifique. Sinon, c’est un peu comme si on le commandait dans un catalogue!»
Les seuls à être favorables à tous les types d’homoparentalités sont Venel et Patrick – les deux garçons parmi les plus visiblement masculins, et les seuls dont les deux parents sont homosexuels: Venel pense qu’il serait «vraiment injuste» que les homos ne puissent pas avoir d’enfant, puisqu’ils sont finalement «comme les autres». Patrick le rejoint: «Je suis tout à fait pour, j’ai aussi des copains qui sont gays ou des amies lesbiennes, et ce sont des gens normaux, totalement capables d’avoir et d’éduquer des enfants. Nous les hétéros, on a le droit, je ne vois pas pourquoi les couples homos ne le feraient pas… tout le monde le même tarif!»