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Je est un autre

Il y a des moments comme ça où l’on se dit: décidément, c’est tous les jours Noël! L’Université de Genève vient de jouer les Saint-Nicolas avec les homos en produisant une étude qui traite des processus de construction identitaire des gays. «De l’injure à la gay pride», de Caroline Dayer, nous invite au voyage dans le monde merveilleux de la psychologie sociale.

La vie, c’est un peu comme les fêtes de fin d’année, à la fois trop court et trop long. Au début tout le monde est beau, ça brille, ça pétille, on attend les cadeaux, on déballe le Père Noël et puis c’est le crash, c’est Shakespeare. Sans prévenir, elles vous tombent dessus, ces questions existentielles des fins de soirées difficiles. Etre ou ne pas être? Où suis-je? Qui suis-je? Où vais-je? La réponse la plus immédiate est invariablement «aux toilettes», mais au-delà c’est l’interrogation sur soi, sur son identité, sur sa vie qui s’exprime.
«De l’injure à la gay pride» pose en introduction un postulat salutaire: naître gay ou lesbienne c’est naître libre. Parce que cela présuppose qu’il va falloir se construire soi-même, construire son identité sans schéma de comparaison, avec ses propres règles du jeu, ses propres envies et ses propres limites. Cela implique aussi de suivre un parcours de vie proche du parcours du combattant. Il faut se battre contre la «normalité», la norme – non pas naturelle – mais socialement acquise, qui sous des aspects de vérité révélée cache une utilité sociale, celle de la cohésion, celle du nous contre eux. Mais c’est également une lutte contre soi, malgré soi, pour soi, car la communauté homo ne donne pas des référentiels culturels, religieux ou historiques qui mènent à la prise de conscience de son identité. Cet «aveu à soi-même» est donc le premier pas de «l’invention identitaire», la première brique de sa petite maison dans la prairie.

Codes d’appartenance
Mais dans toute maison qui se respecte, il y a un placard. Qu’est-ce qu’un placard? [(plakar) n.m. (1792) Enfoncement, recoin de mur, cloison fermé par une porte et contenant une armoire de rangement des cadavres, des amants et des enfants pas sages – fig. Mettre au placard: mettre (qqn) à l’écart.] L’étude démontre que l’expérience du placard est universelle, elle est une étape obligée dans la construction identitaire. L’endroit est secret et sombre, un lieu de dissimulation et d’expression où l’on va apprendre à se nommer, c’est là que se déroule une nouvelle gestation jusqu’à l’accouchement, la libération de la parole, le coming out.
Selon Caroline Dayer, il faudrait plutôt parler des coming out, car il s’agit d’une opération répétée à l’infinie au cours d’une vie. Cette répétition est constitutive d’une identité qu’il convient à chaque fois de réaffirmer. Il faut le dire à ses parents («Papa, maman, je me suis marié. Non je plaisante, je suis gay», à ses amis («David je trouve que ce t-shirt XS t’irait divinement mieux»), à son voisin («Hello you»), etc…
Si la reconnaissance de soi est le début d’une nouvelle vie, la connaissance et la reconnaissance des autres est également un passage primordial du processus identitaire. «De l’injure à la gay pride» insiste, et c’est assez rare dans la bibliographie homo pour le souligner, sur le rôle du milieu en tant que groupe d’appartenance central dans la socialisation homosexuelle. Malgré l’image de légèreté, de futilité que certains ont donnée au milieu gay, il demeure l’incarnation vivante de l’existence identitaire homo, il comble l’absence de références dans la vie quotidienne, à l’école, dans les médias… Le milieu propose des codes établis, des codes d’apparence, gestuels, vestimentaires. Les bars homo, les boîtes, les associations, les magazines vont tisser les liens d’une reconnaissance commune, mais il faut faire la démarche d’aller vers ce milieu, ce contact afin de partager les expériences et les vécus. Si l’identité individuelle se construit sur une définition et un acceptation personnelles de son homosexualité, l’identité collective homo se fonde sur une visibilité et une pratique communes.
Pourtant il serait faux de voir la construction identitaire comme le fruit d’une génération spontanée, elle est influencée par un environnement, une base plus large qu’est la société hétéro-normée. Et la communauté homo n’échappe pas à la règle. Il s’y est installé une mauvaise copie de l’homophobie à travers une discrimination dans la discrimination, celle des éléments trop féminins ou trop masculins, des stéréotypes de la folle ou de la butch. Ce phénomène est particulièrement saillant chez les lesbiennes car la figure de la folle a tendance à disparaître à mesure que la composante gay gagne en légitimité et visibilité. Sa principale fonction était la reconnaissance de l’homosexualité dans la vie quotidienne: qui n’a jamais acheté un paquet de capotes fraise pour s’exclamer devant le seul caissier mâle de la grande surface: c’est pour l’haleine!
Caroline Dayer souligne que la figure de la butch, de la camionneuse, relève d’une mécanique plus complexe, «d’une stratégie de réponse aux exigences normatives et à la désignation sociale». Cette attitude reflète les deux processus de la construction identitaire: la différenciation et la catégorisation. Elles rejettent non pas le groupe des femmes, mais les aspects assignés au féminin par la société. En accentuant le masculin et en rejetant le féminin, elles affirment une identité nouvelle, une catégorie d’appartenance.
«De l’injure à la gay pride» aborde les thèmes essentiels de la communauté homo (construction de soi, relation gay-lesbienne, discriminations, symboles identitaires, etc…) avec la prouesse de faire cohabiter théories psycho-sociologiques modernes et analyses subjectives des personnes interviewées.
En définitive, trouver qui l’on est, surtout quand la société s’en mêle, c’est compliqué comme une journée à la montagne: oui, le chemin est long, oui le soleil tape fort, oui le sommet est difficile d’accès, oui, mais tout là-haut, qu’est-ce que les fleurs sont belles.