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Boys don’t cry: un film-événement sur les écrans romands

Réalisé et co-écrit par Kimberley Peirce, ce film raconte la destinée tragique de Brandon Teena, l’histoire d’une fille qui se faisait passer pour un garçon dans un bled paumé de l’Amérique rurale. Le 31 décembre 1993, l’intolérance l’a assassiné(e).

Produit par la Twentieth Century Fox, «Boys don’t cry» ne constitue pas l’expression d’une sensibilité transsexuelle cinématographique. Ce n’est pas un film trans. Au contraire des films projetés dans le cadre de festivals transgenres ou transsexuels, comme ceux de Paris ou Londres, il n’offre pas de vision du monde transsexuelle à proprement parler. Film-témoignage réalisé et co-écrit par Kimberly Peirce, «Boys don’t cry» s’attache simplement à présenter la réalité brute d’une crise identitaire, en relatant l’histoire vraie de Brandon Teena, qui bouleversa l’Amérique entre 1993 et 1996.

Une histoire vraie
Dans un coin perdu du Nebraska, à Lincoln, vit Teena Brandon. Née en 1972, la jeune fille assume mal sa condition dans cet environnement fruste et macho. Se présentant comme victime d’une «crise d’identité sexuelle», elle se considère comme un garçon et semble vouloir changer de sexe. Fin 1990, pour affirmer et vivre sa nature profonde, elle se coupe les cheveux, entrave ses seins avec une bande élastique et s’habille comme un mec. Un joli petit cow-boy. Brandon a des allures de mignon teenager comme les aime l’Amérique des James Dean ou DiCaprio.

Il part alors s’installer dans un autre bled, plus paumé encore, Falls City, une petite ville de près de 4’800 âmes. C’est dans ce décor désertique et poisseux, où le quotidien de la jeunesse est rythmé par l’alcool et les sorties en voitures le long de routes de poussière, qu’il rencontre la bande qui l’adoptera immédiatement.

Coqueluche de l’équipe, Brandon est apprécié des garçons et chéris par les filles. Un incroyable pouvoir de séduction s’en dégage, qui entraîne ce petit monde dans son sillage et permet à Brandon d’exister, là où Teena était continuellement persécutée. C’est au sein de cette bande que Brandon rencontre Lana. Une jolie blonde dont il tombe fou amoureux. Début décembre 1993, ils commencent à sortir ensemble.

Une naissance qui entraîne la mort
Le 15 décembre, alors qu’il se présente au poste de police pour une infraction au code la route, Brandon est pourtant rattrapé par Teena. Teena ayant volé des cartes de crédit et de l’argent, son dossier judiciaire révèle sa véritable identité. Brandon reste six jours en prison jusqu’à ce que Lana le fasse libérer sur caution. Lana aime toujours Brandon, mais le rêve va vite tourner au cauchemar.

Apprenant son secret, les deux garçons de la bande, Tom Nissen et John Lotter, débarquent chez Lana où ils forcent Brandon à se déshabiller pour découvrir qu’il est une fille, avant de l’enlever, de la passer à tabac et de la violer.

Teena est ensuite interrogée par le chef de la police qui décide de mener une enquête approfondie, sans procéder à aucune arrestation. Réfugié chez une amie, Brandon décide de quitter Falls City avec Lana et de s’installer ailleurs ensemble dans les jours qui viennent. Las, ses deux tortionnaires le rattraperont avant leur départ. Le 31 décembre 1993, Brandon/Teena est retrouvée morte, exécutée au pistolet. Aujourd’hui, John Lotter attend dans le couloir de la mort du pénitencier de l’état du Nebraska. Thomas Nissen est condamné à vie et espère une révision de son procès.

Du Nebraska à Genève
Au mauvais endroit au mauvais moment, Brandon Teena/Teena Brandon? Pas si simple. S’il est vrai que l’on peut rêver environnement plus favorable pour vivre et affirmer telle identité, les réactions des transsexuels que nous avons invités à une projection privée dans les locaux de Titra Films en banlieue genevoise, montrent qu’entre Falls City et les grandes agglomérations européennes les différences sont parfois ténues.

Passés les larmes de certains et le silence prostré des autres, la mémoire se réactive et les cris du cœur jaillissent: «C’est un film violent, mais magnifique», «C’est vrai, c’est ça», «La réalité est là»… La réalité d’une violence sociale s’abattant de façon insidieuse, quand ce n’est pas de manière frontale, et systématique sur la différence. Similitudes de contexte et de parcours: le corps-menteur pour celui qui y est enfermé et ceux qui lui font face, l’impossibilité d’être totalement sans avoir recours à la chirurgie, la difficulté d’aimer, et aussi la peur, du présent, du futur. L’impossibilité à être dans le fondement primaire de la géographie, le corps, et dans la limite du temps. L’individu tente d’exister entre l’hypothèque de son passé (physiologique, éducative) et l’anticipation nécessaire de son devenir (angoisse d’être démasqué, opérations), dans un présent imparfait, bâtard.

Un film utile
Malgré ses longueurs, le formalisme contrit de sa mise en scène et la linéarité anecdotique de son scénario, «Boys don’t cry» s’impose comme un film-événement. D’abord parce qu’il traite d’un sujet marginal d’un point de vue cinématographique. Le transsexualisme n’avait jusqu’à présent été traité qu’au travers de documentaires ou talk-shows n’abordant que partiellement l’aspect individuel et social. En ne faisant qu’évoquer la chirurgie, «Boys don’t cry» se concentre sur l’histoire intérieure, évitant par là-même le raccourci réducteur qui tend à résumer le transsexualisme à un changement de sexe, à de froides techniques médicales.

De plus, le film de Kimberly Peirce s’adresse à un large public. Il pose ainsi le transsexualisme au cœur de la cité. Sans fioritures, l’histoire de Teena/Brandon est livrée telle quelle, et le spectateur ne peut sortir indemne de la projection. «Boys don’t cry» est un film que l’on prend en pleine gueule. Comme ces vérités refoulées qui quittent l’inconscient pour ressurgir quand on s’y attend le moins.

«Boys don’t cry», de Kimberly Peirce, avec Hilary Swank, Chloe Sevigny, Peter Sargaard et Brendan Sexton III. Twentieth Century Fox, 1 h 54.