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Corée du Nord, musée du kitsch

Dans «Le Dernier Paradis», le photographe genevois Nicolas Righetti expose une Corée du Nord telle qu’elle se donne au monde, en cultivant ses décors kitsch et sa dévotion au socialisme. Un regard ironique qui dit bien davantage que tous les discours sur les mensonges du régime de Pyongyang.

Peu nombreux sont les voyageurs qui peuvent entrer en Corée du Nord. Et parmi les gens des médias qui ont bénéficié d’une invitation officielle, beaucoup ont rêvé, bien sûr, d’échapper à la vigilance de leur «guide» officiel. Pour y révéler les dessous d’un régime totalitaire, pour dénoncer la maltraitance organisée envers tout un peuple ou encore pour dénicher la preuve de la course aux armements… Nicolas Righetti n’a pas cultivé longtemps ce type de fantasme, presque vain dans un pays où tout est mis en œuvre pour transformer tout observateur en acteur de la propagande.

Se laissant entraîner volontairement dans son propre rôle, celui du visiteur étranger que le régime promène de fiertés nationales en cérémonies officielles, Nicolas Righetti a préféré photographier et filmer ce qu’on voulait bien lui donner à voir lors de ses quatre visites entreprises depuis 1998. Pas d’images de l’envers du décor ici, mais au contraire celles du «paradis socialiste» que le gouvernement nord-coréen se donne tant de mal à mettre en scène. N’y voyez aucune complaisance. A l’arrivée de cette extraordinaire visite guidée dans cet Hollywood communiste, si kitsch qu’il en devient totalement ironique, le regard du photographe en dit plus long que n’importe quel discours analytique sur le régime de Pyongyang.

Ce livre, qui mêle images et slogans officiels, commence par nous rappeler que les Nord-Coréens vivent au rythme du calendrier calqué sur la vie de Kim Il Sung, le père de la nation mort en 1994 mais toujours omniprésent (en 2003, les Nord- Coréens vivent ainsi en l’an 92, âge qu’aurait le dictateur s’il était encore vivant). Righetti nous entraîne ainsi hors du temps, dans un univers coloré où résonne l’hymne nationaliste d’un bonheur trop bien orchestré. Un monde dont les murs sourient en permanence, mais sur lequel plane l’œil du pouvoir. Tel ce portrait kitsch de Kim Jong Il, trônant devant une peinture rendant hommage aux usines fumantes de la mère-patrie. La culture officielle, soit autant de spectacles grandiloquents dont sont servis les visiteurs des «délégations officielles», est sans doute plus caricaturale encore. Comme cette salle de spectacle où des danseurs en tenue militaire s’égaient devant un singulier décor; en toile de fond, une peinture montrant une Pyongyang flamboyante et bien gardée par une batterie de missiles dressés vers le ciel…

«La grande force de l’univers visuel nord-coréen est d’être uniforme, homogène et répétitif», écrit Righetti dans son livre. Mais à force de se répéter, cet univers n’en devient pas moins absurde. Du moins sous le regard du photographe genevois, à l’image de ce couloir – probablement celui d’une administration quelconque – où sont alignés des fauteuils des années 70, vert pomme et tous parfaitement identiques. Ou encore de ces peintures aux paysages trop kitsch qui ornent les restaurants au mobilier désuet.

Dans ce décor en trompe-l’œil, où les places de la capitale se vident aussi vite qu’elle se remplissent – le temps d’une chorégraphie de majorettes à la gloire des pères de la nation –, tout, bien sûr, paraît faux, ou du moins bien orchestré. Mais suffit-il de dire qu’un décor est factice quand tout un peuple, certes manipulé, y joue sa partition? Nicolas Righietti pousse plus loin la réflexion. Il raconte notamment que son guide officiel, celui qui était chargé de le trimbaler du «Magasin Numéro 1» au Musée de l’Amitié Internationale en passant par une exposition sur les impérissables exploits du camarade Kim Il Sung, avait toujours réponse à tout et croyait en son eden. «Il m’a fallu retourner plusieurs fois au paradis pour réaliser que tout cela est vrai. Que ce qui est faux est aussi vrai», écrit le photographe en conclusion de sa visite guidée. Sous le vernis de sa joyeuse propagande, le «dernier paradis» paraît plus terrifiant encore qu’on ne l’imaginait.

Nicolas Righetti, «Le Dernier Paradis», Editions Olizane