Coup de maître
C’était un tableau banal. Enfin presque. Un paysage de la douce campagne anglaise, à la différence qu’un ruban multicolore, celui que la police utilise pour délimiter le lieu d’un crime et éloigner les badauds, entourait la peinture.
«L’œuvre montre comment notre nation a été vandalisée par notre obsession à l’encontre du crime et de la pédophilie. (…) Lors de chaque visite dans un coin reculé, il faudrait désormais s’attendre à se faire attaquer ou à trouver un cadavre découpé en morceaux», pouvait-on lire sur le petit carton explicatif suspendu juste à côté.
Il aura fallu que le tableau, mal punaisé, s’écrase au sol dans un grand fracas pour que les gardiens de la célèbre Tate Gallery de Londres s’aperçoivent que l’œuvre en question avait été placée là en toute clandestinité! L’auteur de cette grandiose plaisanterie? Bansky, l’artiste de rue le plus recherché de Grande-Bretagne, connu pour ses graffitis engagés et signés la nuit jusque sur les postes de police… Le Guardian, qui a réussi à le rencontrer, vient d’ailleurs de lui consacrer un portrait. Courtisé par de grandes marques telles que Nike, prêtes à le payer très cher pour qu’il déploie son talent dans leurs campagnes publicitaires, Bansky préfère continuer à «peindre ses graffitis dans des lieux interdits» tout simplement parce que «rien n’est plus excitant». Et surtout parce que cela lui déplaît de savoir qu’à l’ombre des grandes marques, «des enfants se tuent au travail pour des clopinettes», confie-t-il au journaliste du Guardian.
La Grande-Bretagne de Tony Blair, à l’instar d’autres pays européens, dépense sans compter dans l’obsession sécuritaire. Préférant se barricader derrière ses peurs plutôt que d’investir dans le social afin de soigner ses maux, elle vient de lancer un vaste programme destiné à lutter contre les incivilités, dont les graffitis de Bansky font partie. A la lumière de cette politique, le tableau que l’artiste a réussi à suspendre quelques heures durant dans les couloirs de la culture officielle n’a finalement rien d’une farce. Il s’agit d’un acte de résistance des plus forts et des plus subtils. Dans la Suisse que l’UDC nous prépare, qui ne rêve pas d’actions du même type ?