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En Chine, les gays ne sont plus des ombres

Dépénalisée puis retirée de la liste des maladies mentales, l’homosexualité n’est plus tout à fait un sujet tabou en Chine. Même si les homosexuels peinent à trouver leur place entre une tradition millénaire, un gouvernement qui souffle le chaud et le froid et les idées importées d’Occident via Internet.

Le concept d’homosexualité exclusive ou «tongxinglian» n’a jamais existé en Chine ancienne. Il sera inventé vers 1920 par la psychiatrie chinoise sur le modèle occidental. Auparavant – et encore jusqu’à aujourd’hui – on utilisait des expressions poétiques comme «la passion de la Manche Coupée» ou «l’amour de la pêche partagée», souvent en référence à des anecdotes célèbres sur un empereur et son favori. Le plus célèbre épisode, celui de la «manche coupée», fait référence à un empereur qui, au début de notre ère, s’était réveillé de sa sieste pour voir son favori étendu sur sa manche. Au lieu de le réveiller, l’empereur coupe sa manche avec son sabre pour pouvoir se lever. La «Pêche partagée» est celle que Mizi Xia, favori du roi de Wei, lui tend comme preuve de son amour après l’avoir goûtée et trouvée particulièrement savoureuse.

C’est par le biais de cette littérature que Hua, Chinois basé à Genève depuis 15 ans, découvre l’homosexualité: «Dans les grands classiques, j’ai lu des descriptions très romantiques de l’amour entre hommes. On ne parlait pas de sodomie, mais d’amour de “la fleur du jardin de derrière”. D’autres livres de psychologie du XIXe parlaient de l’homosexualité comme d’une perversion.»

En effet, c’est au XIXe que la bigamie est interdite. Le mariage est plus que jamais obligatoire pour tout homme afin d’avoir des enfants pour maintenir le culte des ancêtres et perpétuer une lignée qui, sinon, s’éteindrait. Même s’il n’est pas rare pour ces hommes mariés d’avoir de jeunes employés ou domestiques complaisants.

Mao Tsé Toung ou la sexualité interdite
A partir de 1949, la Chine, désormais République populaire, va entrer dans une période de répression sexuelle et culturelle qui durera plus de 20 ans. Le plaisir individuel – et donc la sexualité – est considéré comme antirévolutionnaire, et les pratiques sexuelles non standard comme «crime crapuleux»: durant la Révolution Culturelle, de 1966 à 1976 – année de la mort de Mao –, les homosexuels sont livrés à l’opprobre populaires ou internés comme délinquants.

Après Mao, Deng Xiaoping associe encore l’homosexualité à la toxicomanie, au vol et à la perversion, mais il est aussi l’artisan de l’ouverture à l’Occident jusqu’à la fin de son règne en 1997. Selon le magazine «A votre bonne santé», l’homosexualité – contrairement à l’opinion populaire qui l’associe aux bas-fonds – est, en 1985, présente dans toutes les classes sociales, d’où la nécessité d’accepter des homos. A cette période, scientifiques, sociologues, psychologues et sexologues sont de plus en plus nombreux à parler d’homosexualité comme d’«une alternative de vie normale et acceptable, concernant une minorité d’individus».

A l’époque, à part les rares bars ou clubs gays de Hong Kong, les lieux de rencontre se résument aux parcs, aux bains et aux toilettes publiques. Georgio, journaliste habitant Genève, travaillait à Beijing en 1986: «L’amosphère était assez sordide: dès que j’entrais dans une toilette publique, tous se précipitaient pour me voir uriner…. Ce n’était pas mon truc, mais un de mes amis, garde dans une ambassade, y allait tous les soirs, jusqu’au jour où il a disparu, probablement arrêté par la police chinoise et renvoyé dans son pays».

Les années sida
En 1989, avec le premier cas officiel de sida, le gouvernement semble fait preuve d’un peu d’ouverture: 30 à 50 millions d’homosexuels sont potentiellement concernés. La première enquête nationale sur le comportement sexuel des Chinois révèle que 2,54% des étudiants et des citadins mariés ont des relations homosexuelles. Un tabou est en train de tomber. Quelques mois plus tard, Hong Kong devient la première région d’Asie à décriminaliser l’homosexualité.

Date importante, 1992 voit la parution de «Leur Monde», radioscopie de l’homosexualité masculine chinoise et, sous couvert de prévention sida, la création du premier groupe de soutien gay, le salon du «Monde des Hommes». Une ligne d’écoute et d’information est lancée avec la bénédiction du gouvernement et des médias contrôlés par l’Etat… pour être fermées six mois plus tard: l’initiateur du projet militait un peu trop en faveur des droits des gays.

Coming out et militantisme: mission impossible
Dans les années 90, presque toutes les grandes villes disposent d’une petite communauté et d’un bar gay au moins, mais il est encore quasiment impossible de faire son coming out: seuls 1% des homosexuels se considèrent comme normaux, selon une statistique de 1992. Parmi eux, ceux qui révèlent leur homosexualité sont rapidement rappelés à l’ordre et, s’ils travaillent pour l’Etat, systématiquement licenciés.

La situation s’améliore à partir de 1995, date à laquelle 50 activistes se réunissent à Pékin. En 1996, ils sont plus de 200 à se réunir à Hong Kong dans le cadre de la première conférence de tongzhi ou «camarades» – c’est le nom que les gays et lesbiennes se sont donnés en Chine pour revendiquer leurs droits. En 1998, un professeur n’hésite pas à prendre la parole en tant qu’homosexuel lors d’un débat sur la sexualité. Mais il est vrai qu’en 6 ans, le 1% d’homos se considérant comme normaux s’est transformé en une majorité de 78,9%, en tout cas dans la population estudiantine.

Il faut dire qu’entre ces deux dates, deux éléments se sont produits: le boom d’Internet, qui permet aux «camarades» de se mettre en contact avec leurs semblables en Chine et à l’étranger, et, avec l’arrivée au pouvoir de Jiang Zemin, la légalisation de homosexualité.

Le temps de la légalité
En 1997, année de l’arrivée au pouvoir de Jiang Zemin, le nouveau Code pénal cesse de pénaliser l’homosexualité, même s’il continue d’interdire la «débauche en réunion» (rapports sexuels à plus de deux personnes). Avec pour conséquences directes, sous couvert de prévention sida, la création d’un numéro d’appel, le 99575, pour inciter les gays à «vivre de manière heureuse et saine» et faire en sorte que «la société comprenne mieux la communauté des camarades», suivis en 1998 de la création de la première revue gaie gratuite «Le Courrier des amis» avec l’appui du ministère de la Santé. De leur côté, les médias, contrôlés par l’Etat, s’intéressent de plus en plus au sujet. Les bars, saunas et clubs se multiplient.

Selon Hua, ces années voient l’apparition d’une nouvelle génération de gays chinois: «La nouvelle génération m’étonne: un jeune Chinois rencontré récemment à Genève trouvait que les gays en Suisse étaient trop timides!». En Chine aussi, il est de plus en plus facile de vivre son homosexualité dans les bars, maisons saunas, clubs ou bains publics de grandes villes comme Beijing, Shanghai ou Shenzhen. Dans cette dernière, ville-dortoir créée vers 1980 pour accueillir les voyageurs et commerciaux, la présence de célibataires n’étonne pas. C’est le «paradis des gays chinois» et, grâce à une mobilité accrue – en Chine et à l’extérieur – de nombreux jeunes viennent se prostituer auprès d’hommes d’affaires de Hong Kong ou Taiwan pour gagner leur indépendance financière, seule chose qui semble compter aujourd’hui en Chine. Selon une statistique, plus de 10% des gays feraient appel à la prostitution, du moins dans les villes.»

Le boom de l’internet gay
La deuxième moitié des années 90 verra un autre boom, celui de la fréquentation de l’internet, moyen idéal – parce qu’anonyme – de s’informer ou de se rencontrer par les chats. Les sites gays chinois, incontrôlables – et la plupart commerciaux, comme gaychina.com, créé en 1996 – se multiplient: c’est d’ailleurs également sur le Net que paraît l’histoire de Lan Yu, un jeune étudiant chinois qui se fait entretenir par un businessman de Beijing. Cette nouvelle érotique anonyme sera vite connue de tous les surfeurs gays chinois, au point de servir de trame au nouveau film de Stanley Kwan’s «Lan Yu», sorti en France il y a trois mois.

Car, à côté des études, traités, compte-rendus de colloques, reportages ou articles sur l’homosexualité qui se multiplient en Chine, les années 90 ont aussi été caractérisées par les nombreux films tournés par des cinéastes chinois sur le thème de l’homosexualité: «Garçon d’honneur» (1993), «Adieu ma concubine» (1993), «East Palace West Palace» (1997), «Happy Together» (1997), «Hold you tight» (1999), «Le Protégé de Mme Qing» (1999), etc. Seul ce dernier parle du quotidien des homosexuels en Chine. Mais, selon Hua, ce n’est pas le signe d’une quelconque ouverture: «Tous ces films, assez connus ici en Europe, sont quasiment inconnus voire carrément interdits en Chine, mis à part “Adieu ma concubine”, dont la trame principale d’ailleurs ne concerne pas l’homosexualité».

L’homosexualité n’est plus une maladie
Le 20 avril 2001, l’homosexualité est rayée de la liste des maladies mentales, même si elle continue d’être classée comme détresse mentale pour ceux qui n’assument pas leur sexualité. En décembre de la même année, un talk-show de la TV de la province de Hunan invite un couple gay pour parler de son vécu. Le premier festival du film gay et lesbien est organisé le même mois par l’association du film de l’Université de Beijing. Début 2002, le premier manuel chinois d’éducation sexuelle pour les jeunes mentionne, selon Radio Chine International, le fait que «60% des étudiants se disent tolérants vis-à-vis de l’homosexualité». A nouveau, les chiffres sont ahurissants: dix ans auparavant, seuls 9,6% des étudiants considéraient l’homosexualité comme normale! Témoin de cette évolution, même le très officiel Quotidien du Peuple titrait, online: «L’homosexualité en Chine: Plus de tolérance, moins de préjudice [préjugés]». Même si l’article se termine en mentionnant aussi le fait que «la Chine se bat contre les activités illégales qui se trouvent liées avec la communauté homosexuelle» et que «la police a démantelé un réseau de pornographie en ligne illégale qui s’est fait répertorier sous le mot “homosexualité” dans les moteurs de recherche«. En juin dernier, sous prétexte d’incendie, le gouvernement chinois a fermé les quelque 2400 cybercafés de Pékin (dont 2200 illégaux), et étendait sa campagne à d’autres villes, comme Shanghai et ses 2000 cybercafés (dont la moitié illégaux).

Comme le dit Ning, un Chinois qui a quitté Beijing en 2000, «les changements positifs ne concernent que l’élite chinoise. On ne peut pas attendre de progrès véritable avant plusieurs années».