«Je teste le vacin anti-sida»
Depuis le 4 août dernier, douze volontaires, parmi lesquels des professionnels de la santé, testent au CHUV un vaccin anti-sida, le but étant, dans un premier temps, «de mesurer la tolérance du produit et si ce dernier provoque une réponse immunitaire». 360° a recueilli, en exclusivité, les premières impressions et les propos de l’un de ces cobayes humains.
«Un vaccin contre le sida testé au CHUV». L’annonce, faite au printemps dernier et largement reprise dans la presse romande, avait de quoi produire de l’effet. Pas toujours positif d’ailleurs, puisque le grand public ne retient souvent dans ce type d’information uniquement que ce qu’il veut bien entendre: l’idée que la mise sur pied d’«un vaccin ou d’un médicament qui guérit le sida» touche à son but (une surinterprétation qui peut avoir des effets pervers, comme l’augmentation du bare back, le sexe sans capote). En réalité, on en est encore loin. Les tests qui ont débuté à Lausanne et à Londres sont la première phase des essais cliniques d’un vaccin et le résultat du travail de plus de quatre ans d’un consortium d’une centaine de chercheurs européens. Il faudra encore des années jusqu’à ce qu’un vaccin efficace soit trouvé.
Il n’empêche, l’expérience interpelle. Comment les 24 sujets qui se prêtent à ces tests (12 à Lausanne, 12 à Londres où l’étude s’effectue en parallèle) vivent-ils l’expérience? Quelles sont leurs motivations? A Lausanne, l’un d’eux a bien voulu se confier.
Le cobaye
D’abord, il faut savoir que pour appartenir au cercle fermé des sujets anonymes d’un test, dont la finalité est d’enrayer la pandémie dramatique du sida, nul besoin de s’animer des mêmes intentions spectaculaires qu’un candidat à la Star Academy. Le recrutement ne se fait de toute façon pas auprès du grand public, mais exclusivement dans le milieu médical. Et parmi ceux qui ont prêté le serment d’Hippocrate, les conditions de sélection s’avèrent draconiennes. Pour voir sa candidature retenue, il ne faut pas présenter de risque de contracter l’infection, donc ne pas appartenir à certaines catégories ou minorités dites à risques (homos, toxicomanes, prostituées, etc.). Bien sûr, le candidat doit faire foi de sa séronégativité. De plus, la consigne est donnée de limiter au maximum la diversité de ses partenaires sexuels.
Dans les salon feutrés du Lausanne-Palace, Guillaume*, qui s’initie à la chirurgie de la main et compte s’orienter vers la psychiatrie, explique pourquoi il a déposé sa candidature. Un stage dans un dispensaire au Zimbabwe, une nation des plus meurtries par le sida, se profile implicitement comme une période clé de sa jeune carrière de médecin. «Comment rester insensible à la systématique quotidienne de la mort en Afrique, de la pénurie de médicaments, à l’incapacité de pallier les soins les plus élémentaires?» Mais les motivations profondes de ce célibataire de moins de trente ans ne relèvent pas vraiment de l’idéalisme: «Je trouvais amusant de le faire! L’envie d’appartenir à ce groupe de happy few, plus qu’un idéal, m’a conduit à entreprendre cette démarche.» Guillaume, sans façon, se décrit comme «un cobaye» et non comme un sujet, le terme adéquat.
Pratiquement, le test consiste en une simple injection périodique dans l’épaule des cobayes.
Il n’empêche que l’enjeu et le procédé soulèvent quelques inquiétudes au sein du grand public. Comment appréhende-t-on cette étude in situ? «Il faut savoir en premier lieu que j’ai le droit d’interrompre ma participation à n’importe quel moment et sans donner de motif. A titre personnel, j’analyse les faits tels qu’ils se présentent.» Guillaume, qui a tout de même pris soin de se documenter sur la matière, sait qu’il n’y a pas de risque de contracter la maladie. «On ne nous injecte pas le virus du sida vivant, mais seulement des parties synthétisées. Depuis le début des injections, je n’ai manifesté aucun trouble particulier, ni aucune réaction épidermique», explique-t-il entre deux gorgées de chocolat chaud. Hors contexte médical, quel rapport entretient-il avec le sida? «Je ne me considère pas comme appartenant à une catégorie de gens très exposés et me sens donc serein par rapport à tout cela.
Ce qui me frappe, en revanche, c’est cette psychose dont souffrent certaines personnes de ma génération vis-à-vis du sida. Je connais des personnes, pourtant surinformées, qui sont perpétuellement en train de contrôler leur statut sérologique. Mon dernier test HIV date de la période de sélection des cobayes et je reconnais me sentir peu concerné par la maladie, même si j’éprouve bien sûr de la compassion pour tous ceux qu’elle frappe, surtout dans les pays du tiers monde.»
Guillaume déclare entretenir en ce moment «quelques liaisons suivies», bien que l’une des consignes dans le cadre de ce test soit, non pas l’abstinence, mais une certaine retenue. Transgression? Non, mais peut-être, chez celui qui se surnomme «cobaye», une pointe de cynisme à l’égard de la vie. On n’en saura pas plus. Une fois son chocolat chaud consommé, Guillaume enfourche sa Vespa et s’évade sous la bruine.
Les répercussions
Retour à une information plus officielle: «Le premier bilan de ces essais sera dressé fin 2004», précise Séverine Burnet, directrice d’études du projet. «En cas de résultats prometteurs, Euro Vacc étudiera la combinaison de différents vaccins expérimentaux avant de passer à d’éventuels essais à grande échelle sur des sujets à risques (phase 3).»
Gageons sans crainte de nous méprendre que, suivant cette optique encore improbable, d’ici dix ans, le continent africain se muerait en un laboratoire offrant un vaste choix de cobayes. Car il sera impératif alors de tester dans un contexte accru d’épidémie l’efficacité du vaccin. Ce jour venu, assis dans un fauteuil de son cabinet de psychiatrie, ses yeux bleu acier clos, l’instant d’un battement de paupières, Guillaume songera-t-il encore aux prochains cobayes des terres subsahariennes?
*prénom fictif