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Ah, ces jolis souvenirs

Cet été encore, l’achat d’objets-souvenir sera la condition sine qua non de la réussite totale de nos vacances. De la djellaba âprement négociée dans un souk marocain à la Tour Eiffel en plastique, d’où vient cet irrépressible besoin de matérialiser nos pérégrinations oisives?

Bien sûr, à 4500 mètres d’altitude, au milieu des lamas et des Indiens des Andes péruviennes, Max trouvait que son poncho 100% pure laine lui allait plutôt bien. Il se voyait parfaitement faire son marché d’hiver dans cette chaude tenue une fois rentré en Suisse. Mais le fameux poncho n’a servi, dans son armoire, que de nourriture aux mites: «Oui, ça n’avait vraiment pas la même saveur, sans le décor. Alors je l’ai un peu abandonné; mais j’ai mis du temps pour me décider à m’en débarrasser.» Christine, elle aussi amoureuse de l’Amérique latine, se souvient avoir jeté son dévolu sur un hamac lors d’un voyage au Mexique, et qu’importe s’il devait alourdir de 3 kilos ses bagages. «Quand je suis arrivée dans mon appartement, je me suis rendue compte qu’il n’y avait nulle part où l’accrocher! Mais ça m’était égal, j’avais mon hamac mexicain et c’est tout ce qui comptait.» Tara, au contraire, se demande encore ce qui lui a pris d’avoir acheté une minijupe à trous, super sexy, à Cuba: «J’imaginais tout de même pas porter ça à Lausanne!» Quant à Léa, elle ne sait pourquoi elle a pris le risque de ramener un cocofesse des Seychelles, la plante symbole de l’île, au mépris des interdictions formelles d’exportation et d’importation.

«Aujourd’hui, ce truc prend la poussière dans mon salon,
et c’est franchement pas si joli…»

Aprement négocié dans les marchés, payé «tout de même trop cher mais peu importe», ramené au prix d’efforts parfois insensés, le souvenir de vacances, kitchissime et souvent franchement décalé une fois importé dans vos meubles et votre routine, est pourtant un passage obligé pour tout touriste qui se respecte. Selon l’anthropologue Jean-Didier Urbain, professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines et auteur de plusieurs ouvrages sur les rapports aux voyages (*), le souvenir de vacances a plusieurs fonctions: «D’abord, il sert à laisser une trace, à prouver qu’on a bien fait le voyage que ces objets exotiques représentent. Ce sont des objets, des bibelots par exemple, qu’on exhibe volontiers dans son salon ou qu’on offre à ses proches. Une statuette africaine, une tapisserie maya, que sais-je…? Ils sont une preuve intangible que “oui, on était bien au fin fond du Kenya ou du Chiapas”.» A cette fonction valorisante s’ajoute le besoin de faire son deuil d’un moment heureux, poursuit Jean-Didier Urbain: «Ramener un fragment du paradis, c’est garder un lien avec lui. Pas besoin d’ailleurs que ces objets aient de la valeur, cela peut être du sable collecté dans une bouteille. On matérialise ainsi l’existence d’un moment heureux.» Comme le dit joliment Tara, «en achetant des souvenirs même les plus idiots, c’est un peu comme si je lyophilisais mes vacances.»

Des souvenirs idiots? D’ailleurs, avec la mondialisation des rapports économiques et du tourisme, l’objet-souvenir se fait de moins en moins authentique. Ou du moins, la définition même de cette authenticité évolue. «Autrefois, on ramenait peut-être de Saint-Tropez un coquillage trouvé sur la plage, puis ce même coquillage vendu en boutique fut bientôt peint artisanalement d’un paysage du port. Aujourd’hui, ce coquillage peint est en plastique et produit en série à Taïwan. Mais cela n’a aucune importance, il est authentique dans sa fonctionnalité», relève Jean-Didier Urbain.

Sur le lieu de ses vacances, il n’est pas étonnant de croire dur comme fer que, oui, on va porter les habits les plus exotiques ou exhiber les objets les plus kitch dans son salon, «Le souvenir de vacances sert aussi à se prouver qu’on peut se transformer, que l’on peut devenir un autre, l’espace d’un moment.» Quant à ceux qui s’obstinent à ramener des objets rares, qu’ils se rassurent, ils ne souffrent d’aucune maladie extraordinaire: «C’est le vieux syndrome de l’archéologue, qui ne peut s’empêcher de rapporter le butin de sa découverte.»

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Gilles, 42 ans, spécialiste multimedia,
une djellaba survêtement du Maroc

«Au départ, je me suis dis que c’était très agréable à porter, pas chaud, que le corps y serait à son aise. J’ai du la porter une ou deux fois à la maison en été. Et puis gentiment, elle s’est retrouvée à pendouiller à un clou dans ma maison de vacances en attendant je ne sais trop rien. Même en Provence – où peut-être surtout là bas –, tu ne vas même pas chercher le pain dans pareille tenue ! Finalement, je lui ai fait honneur à une fête déguisée. Je voulais me faire passer pour un gourou. Je me suis moyennement amusé, impossible d’esquisser trois pas de danse sans se prendre les pieds dans l’ourlet!»

Romane, 12 ans écolière,
total look de danseuse turque

«Au marché de Kemer (périphérie d’Antalya, Turquie) ce costume 3 pièces m’a littéralement subjuguée. Petite jupette turquoise avec pièces de monnaie (ça fait glingglinggling à chaque pas), micro-top assorti et filet crocheté bleu avec extensions tressées et perles en plastique incorporées. Ce rêve de danseuse c’était ok au club et pour faire un tour de chameau; arrivée à la maison je l’ai rangé au fond de l’armoire. Je l’ai mis une seule fois pour une soirée déguisée orientale pendant les vacances de ski mais sans le filet sur la tête. Ce filet, c’est le sommet de l’horreur!»