Lectures de plage
Thomas Mann, Paul et Jane Bowles, Grisélidis Réal, Anne Gavalda et quelques autres, entre serviette éponge et after-sun.
Relire Thomas Mann et consorts
En août, le monde littéraire fêtera le cinquantenaire de la disparition de Thomas Mann (1875-1955). Une excellente occasion de redécouvrir, en lecture de vacances, l’œuvre de ce prix Nobel de littérature ainsi que celle de son fils Klaus et de son frère Heinrich. Pour le grand public, Thomas Mann est une sorte de Zola allemand version bourgeoise. Son œuvre est composée de volumineux romans, telle la saga des Buddenbrook, ou de textes plus ambigus dans lesquels se laissent lire ses fantasmes, voir La Mort à Venise. Dans ce dernier titre, notre très respectable M. Mann dévoile sa fascination pour les jeunes garçons!
Le frère aîné
Heinrich Mann donnera dans un genre plus polémique. Il dépasse le simple constat et laisse transparaître la critique acerbe d’une république de Weimar en pleine déréliction. L’un de ses titres phare, Professeur Unrat – texte à l’origine du film L’Ange bleu – n’est malheureusement plus disponible en français. On se rabattra sur Abdication, un recueil de nouvelles des plus cinglantes sous le vernis élégant d’une écriture blanche.
Le fils aîné
Quant à Klaus Mann, il ne faut pas manquer de lire Le Tournant, longue autobiographie torturée de l’auteur et témoignage historique de première main à propos de la seconde guerre mondiale. On y croise Hitler dans un salon de thé, Cocteau à Paris, le tout Zurich en goguette et l’intelligentsia européenne immigrée dans la touffeur de New York en été.
Pour en savoir plus sur la tribu Mann, il existe une excellente étudie Les Magiciens, une autre histoire de la famille Mann, de Marianne Krüll, aux éditions du Seuil. FV
Complicité par correspondance
Il était l’auteur de Un thé au Sahara, elle était une romancière peu prolifique dont l’œuvre fascina Tenessee Williams. La correspondance de Paul et Jane Bowles retrace 25 ans de ce couple de bourlingueurs. Appartement, finances: des soucis pratiques bien sûr, mais aussi des angoisses sur leur production littéraire respective, irrégulière, capricieuse, jamais assez abondante. Enfin leurs flirts et leurs amours tumultueuses, car d’emblée il fut clair que Jane aimait les femmes et Paul préférait les garçons. Un autre temps, celui de la complicité et de l’audace de deux êtres qui s’étaient choisis mutuellement comme compagnon et modèle. A.G.
Jane & Paul Bowles, «Lettres 1946-1970»
Hachette Littératures
Photo de famille
Myriam Blanc et sa compagne ont chacune mis au monde une fille issue d’une insémination artificielle avec donneur anonyme, réalisée en Belgique. Ce récit autobiographique aborde sans surprise toutes les questions qui se posent dans les aventures homoparentales. Mais bien loin du style académique des experts, ce témoignage, qui ne manque pas d’humour, a le mérite de décrisper l’atmosphère qui enveloppe encore trop souvent le débat. C.M.
Myriam Blanc, «Et elles eurent beaucoup d’enfants…»,
Ed. Le bec en l’air
Grisélidis forever
En guise de testament, Grisélidis Réal, disparue ce printemps, nous a laissé son petit répertoire. Le carnet de bal d’une courtisane se lit en quelques verres de vin, à la terrasse d’un bistrot des Pâquis ou d’ailleurs. Une liste d’hommes, de bites, de manies et de tarifs. Un petit objet fonctionnel, trivial, qui devient inopinément le manuel par l’exemple de toute une vie de travail et d’amour. A.G.
Grisélidis Réal, «Carnet de bal d’une courtisane», Ed. Verticales
Nique la Rep!
Alors que partout le discours hyper intégrateur des minorités fait rage, A bas les ghettos, Vive la République, dans Sexpolitiques, le second volet de Queer Zone, Marie-Hélène Bourcier nique la Rep. Et ça fait du bien. La Rep, c’est ce qui reste quand on a tout enlevé du mot République, que cette chirurgie a pris soin de lui retirer ce qui composait les différences, pour lui préférer le modèle unique du citoyen prétendument universel, mais qui n’est en réalité que l’homme blanc et hétérosexuel. Le queer se présente alors comme une résistance dans le champ des genres à la République intégrationiste-excluante. De Madonna, Virginie Despentes, Ovidie, aux sissy, transgenres, trans, gouines, gouins, butchs, fems, bears, le queer ne devient pas une nouvelle norme, mais un lieu révolutionnaire riche de promesses où niquer la Rep, à partir de l’élaboration d’un savoir propre et de la «self construction» d’une identité mutante. I.Z.
Marie-Hélène Bourcier, «Sexpolitiques,
Queer Zones 2», Ed. La Fabrique
Hitler par un trou de serrure
Récemment réédité en poche 66 ans après sa publication originale en Suisse, Hitler m’a dit est un témoignage palpitant où celui qui en 1933 vient d’être désigné chancelier du Reich apparaît successivement prophète païen, maîtresse de maison hystérique, ou chef de guerre vociférant sur ses collaborateurs. L’auteur, alors un dignitaire provincial sympathisant à la cause nazie, écoute et observe le Führer, ainsi que son entourage, composé d’individus tour à tour serviles et implacables, cyniques et mièvres. En pénétrant dans ces portraits et dialogues comme par un trou de serrure, on balance entre rire et effroi. Ce dernier s’impose, progressivement, tandis qu’Hitler organise le chaos dans lequel il plonge son pays, avant d’y laisser s’engouffrer l’Europe toute entière. A.G.
Herrmann Rauschning, «Hitler m’a dit»,
Ed. Hachette / Pluriel
Quatre copains dans le vent
Il y a Camille, la technicienne de surface qui refuse de manger, Franck, le cuistot doué aux gags trop lourds, Philibert, vendeur de cartes postales, au grand désespoir de sa noble famille. Et puis Paulette, la grand-mère de Franck, si triste d’avoir dû quitter sa maisonnette pour un EMS en béton. Quatre éclopés de la vie, dont les destins vont bientôt se croiser, puis se rejoindre pour une tendre histoire d’amour. Avec ces personnages attachants, une écriture chaleureuse, Anna Gavalda signe-là un roman optimiste sur les relations humaines. Un parfait roman d’été. C.M.
Anna Gavalda, «Ensemble, c’est tout», Ed. Le dilettante