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Aiguillages en sous-sol

AFICIONADOS (3) - En psychanalyse, le train symbolise le progrès. Depuis quarante ans, la maquette du Rail-Club Yverdon-les-Bains n’en finit pas de progresser. Mais pour l’illusion parfaite, avec fausses montagnes et petits sapins verts, on repassera dans une ou deux décennies…

Le mardi soir, on s’amuse et le samedi, on bosse. C’est, en gros, à ce rythme hebdomadaire binaire qu’ils fonctionnent, les membres du Rail-Club.
On s’est invités un mardi, on a ouvert la porte de l’austère abri de protection civile et là, s’étalant sur les trois quarts de la surface du local, le monstre, la chose, l’architecture… la maquette! Un superfantasme de gosse. Une orgie de courbes et de lignes droites, de montées et de descentes. Une généreuse batterie d’aiguillages. Une plaque tournante encore isolée. Un établi garni d’outils. Des posters de trains mythiques. Et, dans quelques minutes, une noria de convois miniatures.
Il ne sont que quatre (sur 18 membres) ce soir-là, quatre fidèles d’entre les fidèles: Eric, le président; Claude, le vice-président; Roland, le caissier; Didier, le jeune enthousiaste.
Premier acte: le déballage du matériel roulant, lente et solennelle extraction des locomotives et des wagons des boîtes d’origine, dont aucun coin n’est écorné. Deuxième geste liturgique: la dépose minutieuse, comparable à celle d’une hostie sur une langue, des jouets sur les voies. Troisième et ultime sacrement: tourner le potentiomètre du transformateur. Et les petits bijoux d’échelle HO (prononcer «h zéro») de sillonner les deux cents et quelques mètres de voies qui se côtoient, se superposent et se croisent.
«Vous voyez, là, sous les panneaux, ces cubes… ce sont les moteurs des aiguillages.» Car pas question de se contenter de ces modèles amateurs à électroaimants qui font rageusement tchic-tchac chaque fois qu’on les actionne! Des aiguillages sérieux, ça doit manœuvrer en douceur et en silence, comme des vrais… Les montées et descentes en spirales ont encore des airs de grand huit de fête foraine. «Ah ça! Si vous connaissez un décorateur chevronné, il serait drôlement le bienvenu. Car des fausses montagnes sont bien sûr prévues pour envelopper le tout», explique Eric. «Et à l’étage intermédiaire, ce sera un tunnel avec un bout de galerie ouverte pour voir passer le train à flanc de coteau. Notez aussi qu’un électronicien chevronné ne serait pas de trop, précise Claude en désignant une monstrueuse touffe de câbles qui tombent, orphelins, du plafond. Il faudrait aussi booster tout le système électrique, devenu un peu poussif au fil de l’agrandissement du réseau.»
«Et si un train déraille dans le tunnel, comment fera-t-on pour le repêcher?», demande-t-on perfidement. «Il y aura bien sûr une ouverture par-dessous pour le récupérer», nous rassure le président, un ancien responsable du mouvement aux CFF, qui doit soudain élever la voix, car Roland s’est emparé d’une scie sauteuse pour couper des morceaux de bois. Comme quoi, le mardi aussi, on bosse.
Il suffit d’ailleurs d’évoquer un déraillement pour que la catastrophe se produise. Stupeur indignée du président qui s’empare d’une pince: «Il y a une bosse dans la courbe, nom d’une pipe!» Il faut aussi les écouter se parler dans ce jargon parfaitement hermétique au profane: «Tu m’as envoyé les photos de la Taurus et de l’ICN en décoration TEE?» Et il y a cette fierté nationale, qui explique le grand nombre d’adeptes helvétiques: «Les trains suisses sont réputés mondialement pour être parmi les plus beaux.»

A chacun sa maquette
A l’exception du plus jeune, ces fous de trains ont tous un lien direct, professionnel ou familial, avec le vrai rail. Claude, fils de mécanicien du BVB (Bex Villars Bretaye), est carrément né il y a 58 ans dans la gare de Villars-sur-Ollon. Ce boulanger-pâtissier, employé d’une multinationale plusieurs décennies durant en Amérique du Sud, a dû attendre de revenir au pays pour se lancer dans les trains miniatures. Depuis que son fils a quitté la maison et qu’une chambre s’est libérée, il construit sa propre maquette at home.
C’est cela la nouvelle tendance: chacun sa maquette, individualisme oblige. Les membres ne sont plus aussi assidus que par le passé, regrette le vénérable président. Mais rien ne remplacera pourtant les rencontres, les excursions et les soirées films avec d’autres passionnés. Allez, justement, il est temps de boire un coup de rouge à la table du local, dans de drôles de verres penchés. Ce sont les verres du Glacier-Express, qui relie Saint-Moritz à Zermatt, une des lignes privées les plus fameuses du monde.
Comme quoi une telle passion se niche jusque dans la vaisselle et perdure au-delà de la mort: punaisé sur le panneau d’information du club, un faire-part d’un membre disparu rappelle en quelques vers que la vie aussi est un train. Un train qui finit toujours par emprunter l’ultime voie de garage:

Sur cette Terre
Tu étais un époux, un papa,
Un cousin, un ami

Dans le ciel,
Tu es devenu,
L’aiguilleur des trains,
Qui guide nos destins…