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sam 11 mai, 13:00

Les délices du Dr Schwarz

Feuilleton érotique moderne - Premier épisode.

Juste avant de s’écraser sur le pare-brise, les flocons de neige tentaient une manœuvre d’évitement désespérée. Ces trajectoires dynamiques et fugaces, ces courbes tendues sur fond de nuit noire le ramenaient à sa maîtresse. Tout évoquait Lola durant ses trajets de retour au domicile conjugal. Ses mains avaient beau tenir le volant en bois de son Alpine Renault, les terminaisons nerveuses de ses doigts s’épuisaient à entretenir le velouté du corps de la jeune anthropologue. Ses épaules avaient mémorisé la pression de ses phalanges souples. Et son torse conservait l’empreinte tactile de ses petits seins.
Grégoire Schwarz se douchait rarement chez Lola. Il préférait rester enduit du film de ses humeurs. En séchant, les fluides féminins le recouvraient comme une deuxième peau, lui assurant un infime mais continu frisson. C’était comme un prolongement épidermique du coït, un bonus doté, se plaisait-il à imaginer en dépit de son rationalisme intégriste, de vertus protectrices magiques.
En passant le cap de la quarantaine, il croyait s’être mis à l’abri des tempêtes sentimentales. Mais il était bien forcé d’admettre qu’il aimait passionnément cette Mélusine. Et il aimait passionnément aussi l’idée qu’elle-même l’aimait comme personne ne l’avait jamais aimé.
Dr Schwarz – son surnom, car il est toubib – s’amusa à repérer un flocon dont la fin de course dessinerait fidèlement les courbes de son amante telles qu’elles se présentaient quand il la prenait par-derrière et qu’il détaillait, en baissant la tête, ses reins, son cul et ses jambes en raccourci.
A chaque fois que Lola écartait délicatement ses fesses, faisant ainsi saillir ses omoplates et dégageant son trou du cul, il s’imaginait pénétrer son cerveau pour mesurer ce que la sobre excitation de la jeune femme pouvait receler d’images et de pensées obscènes. Le temps s’arrêtait aussi quand il apercevait furtivement, entre ses propres cuisses écartées, un pied de son amoureuse posé de côté sur le drap, les orteils recroquevillés de plaisir. Il ne se lassait jamais non plus des moues narcissiques et félines qu’elle arborait pour compenser son état d’abandon. Il dégustait aussi, tel un grand roquefort, les mots crus qu’elle gueulait avec rage au moment de jouir et se régalait au dessert de cette île flottante sculptée par les spasmes d’un muscle fessier.
«Pas ce flocon, trop cambré. Ni celui-ci, trop virevoltant. Ah… pas mal celui-là, mais pas assez fuselée la courbe de la cuisse…» Sans s’en rendre compte, Dr Schwarz glissait dans un état de conscience intermédiaire.
Il vit enfin le flocon parfait. Même la petite bosse derrière le genou avait été esquissée durant une fraction de seconde par le crayon neigeux. Il se laissa mentalement glisser et rebondir sur cette courbe virtuelle, béat à en fermer les yeux. L’illusion fut parfaite: la vieille Alpine bleue s’envola à trois mètres au-dessus du champ enneigé, retomba sur le côté, avant de s’offrir une jolie série de tonneaux. Son conducteur, éjecté de l’habitacle par la force centrifuge, gisait sur le ventre, gueule dans la poudreuse, slip et pantalon arrachés, fesses défiant l’Univers. Il entendit une voiture s’arrêter et une portière claquer. On allait s’occuper de lui.
«J’ai la gueule et la queue gelées», se dit-il juste avant de sombrer dans le coma.
Contrairement à certains rescapés de la mort cérébrale, Grégoire Schwarz n’allait rencontrer ni Jésus, ni Allah, ni la moindre sainte de ligue inférieure. C’est sa vie sexuelle qui allait animer son électroencéphalogramme érodé.
Sa trentaine d’amantes se rappelèrent à son bon ou mauvais souvenir. Sa merveilleuse épouse aussi. Mais de ses amours tarifées avec un transsexuel brésilien monté comme un âne à sa participation à une partouze organisée par un pote plus obsédé que lui, en passant par son trio bisexuel avec un couple d’échangistes, aucune expérience alternative de ses vingt-cinq années de sexualité active ne fut censurée par ce voyage intérieur, à la manière de ces DVD pornographiques qui ne compilent que les scènes de baise.
Alors que son libertinage comateux l’amenait enfin à sa relation actuelle avec Lola, il reprit conscience et reconnut Drago Stepanovic, un ancien camarade de faculté, un sympathique colosse serbe.
Contrairement à Grégoire, qui s’était destiné à la médecine généraliste, Drago s’était spécialisé dans la chirurgie reconstructive.
«Bonjour Grégoire. Tu m’entends? Tu as eu un accident. Tu es tombé dans un coma léger. Nous t’avons opéré durant quatre heures. Comment te sens-tu?»
«Qu’est-ce que vous m’avez fait?»
«Réparé le pénis et les testicules. Disons que tes parties ressemblaient grosso modo à une escalope coupée à l’italienne. Il a fallu rassembler et recoller les tranches dans le bon ordre. Heureusement que tout était enfoui dans la neige. Pas la moindre nécrose. C’est encore endormi, mais tu vas en baver ces prochaines semaines. Sister morphine sera appelée à la rescousse. Et quand on te refera pisser par l’urètre, tu dégusteras.» Stepanovic lui prit la main pour lui assurer que, derrière la brutalité du message, il avait de l’empathie.
La brume et la migraine post-opératoires se dissipèrent d’un coup. Grégoire descendit sa main libre sous les draps pour palper la zone opérée. Mais, comme il s’y attendait, un savant pansement emmaillotait les organes restaurés.
«C’était pas plutôt comme un boudin éclaté ou un cervelas au feu de bois?», demanda-t-il.
«Non, je te jure, comme une escalope effilochée, un écorché. Mais les canaux séminifères n’ont pas été sectionnés. Ah oui! Tu n’as plus de prépuce. On l’a utilisé pour remplacer les zones cutanées les plus nases.»
«A part ça, vous avez tout sauvé?»
«Oui, mais ça n’aura plus la même gueule. Il a notamment fallu renforcer un corps caverneux avec du synthétique. Il faudra faire des retouches dans deux ou trois mois pour réduire bourrelets et cicatrices.»
«Et bander?»
«Normalement ça devrait aller. Mais ne pense pas au cul ces prochains temps. Toute érection serait un châtiment. On va te donner des pilules pour te la couper, au sens figuré cette fois.»
Le parfum du sexe de Lola était toujours sur sa bouche. Il fit une moue pour ramener sa lèvre supérieure vers les narines. Il respira à fond afin de vérifier que la collaboration entre ses sens et Paolo (c’est ainsi qu’il prénommait sa bite) fonctionnait toujours. Mais les sédatifs rendaient inutile ce check-up improvisé.
Sa femme et ses enfants venaient d’être avertis. Ils étaient en route pour l’hôpital. Et Lola, fallait-il lui téléphoner, lui parler de Paolo? Il préféra sombrer dans le sommeil et ses rêves réactivèrent, en version digest, les tribulations de son coma érotique.

(à suivre…)