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Comme une passion dans l’eau

AFICIONADOS (1) - Température de l’eau: 5°, température de l’air: 5°, visibilité: opaque, nombre de poissons: limité. Mais qu’ont-ils donc tous à plonger dans le Léman? Inauguration de notre série sur les aficionados romands.

Dans le passage sous voie de la gare de Rivaz, des palmipèdes humains, chargés comme des mules, vont et viennent entre le parking et la plage de galets. C’est là, au pied des vignobles de Lavaux, face aux Alpes savoyardes, qu’ils débarquent de toute la Romandie en couples ou en petits groupes, plutôt que de s’entasser sur les pistes de ski. Et l’eau glaciale ne les découragera pas: seule compte sa limpidité. Or c’est en hiver que les alluvions du Rhône saturent le moins les profondeurs du bleu Léman.
On extrait donc les bonbonnes d’air et les caisses de matériel des breaks et des monospaces. C’est un samedi matin de mars standard dans cette Mecque de la plongée en eau douce. Les plus matinaux, qui ont déjà accompli la rituelle immersion, se sèchent à coup de serviettes éponge. Ceux qui viennent d’arriver se contorsionnent pour enfiler leur combinaison, frisant la luxation d’épaule. Pas le moindre signe de stress, pas un mot plus haut que l’autre: il faut rester calme avant, pendant et après la plongée, comme s’il s’agissait d’économiser l’oxygène. Cette discipline n’est pas faite pour les hyperactifs.

Grâce à Cousteau
Doris le reconnaît d’ailleurs en riant: «Il nous arrive parfois de traîner ici toute la journée pour 45 minutes de plongée. On bavarde entre nous. On dépanne un pote qui a un problème de matériel. Mais le meilleur moment, dit-elle en versant l’eau chaude du thermos dans une grosse tasse, c’est celui du café.» Cette jeune Alémanique est venue en couple, avec Daniel, fondateur de l’école de plongée Scaph’ d’Echallens. Ensemble, ils viennent de longer la fameuse falaise qui plonge à pic à une trentaine de mètres seulement du rivage. Leurs joues sont encore rougies par le froid. L’eau était plutôt claire aujourd’hui. Mais pas aussi claire que celle de Birmanie, où ils s’envoleront dans une semaine pour un festin de corail et de couleurs. Avant de retrouver les meutes de poissons picasso, scorpions, clowns ou trompettes des tropiques, pas la moindre carpe n’a pointé aujourd’hui le bout de ses écailles. «Dans le lac, les poissons sortent surtout la nuit pour manger. Mais c’est très beau de voir par exemple un brochet chasser, avec ses incroyables reflets bleus à la lumière des lampes», nous assure Doris.
Autre type de clan de la grande tribu des plongeurs (près de 3% des Romands ont craqué pour ce hobby exigeant), on trouve la bande de copains, incarnée ce jour-là par cinq Fribourgeois entre 30 et 60 ans. Plutôt qu’un club, trop formel à leur goût, Jef et ses potes se sont organisés en amicale. «C’est grâce à Cousteau que je me suis lancé à l’eau en 1966», se souvient le fondateur et leader de l’amicale, à l’heure de l’unique bière à l’auberge de Rivaz. Chaque année, si leurs moyens le permettent, ils s’envolent vers la Mer Rouge. Mais la plongée en eau douce n’a rien d’un substitut. Ils les adorent, leurs lacs. «Plonger ici, en été surtout, c’est comme entrer dans une cathédrale quand on passe sous une couche d’alluvions», explique Jacquy. Et Jef, des étoiles dans les yeux, se souvient aussi, chose exceptionnelle, d’avoir pu observer la surface alors qu’il se trouvait à 40m de profondeur, «alors que certaines fois, on ne voit pas à 15 centimètres». Et il y a encore et toujours ces falaises qui les fascinent, ces monuments naturels renforçant la sensation d’apesanteur du plongeur. Mais voici trois colosses entre deux âges qui s’extraient de leur break. Romain, Bruno et Arnaud sont venus tester leur matériel sophistiqué, notamment des recycleurs, qui permettent de prolonger sensiblement leur autonomie. Car leur passion, c’est la plongée souterraine. Comme nous le chuchote un plongeur plus conventionnel, eux, ce sont des «ravagés». La spéléologie aquatique est un hobby à haut risque. «Nous étions quatre au début. Deux sont morts accidentellement», se souvient d’ailleurs Jésus, un pionnier de cette branche extrême. Aujourd’hui, ils ne sont qu’une petite vingtaine de Romands à sonder ces gouffres aussi étroits que traîtres.


Gargouillis

Le trio s’équipe en crachant abondamment dans les masques (vieille et efficace méthode pour réduire le risque de condensation). Ils ont entre 50 et 70 kilos de matériel sur leur carcasse de catcheur. Mais même avec cet arsenal, ils doivent encore se lester avec du plomb. Derniers contrôles, dernières manipulations et c’est parti pour le royaume du silence. Ils descendront jusqu’à 30 ou 40 mètres. Une simple promenade pour ces aventuriers.
Observer ces plongeuses et plongeurs du lac dans leur environnement, c’est découvrir une fraternité qui se passe d’effusions et de tapes dans le dos. Sous l’eau, on se contente de quelques signes codés et du gargouillis des bulles d’air. A l’air libre, on se comprend sans grands discours. Quelle que soit leur manière de vivre leur passion, ils partagent un même désir de fuite. Une fois le détendeur en bouche et les longues palmes aux pieds, la pesanteur terrestre et l’agitation du monde n’existent plus. Et même si l’eau est un peu trouble et les poissons discrets, cette petite heure de bonheur hebdomadaire n’a visiblement pas de prix. Comme le revendique un de ces passionnés, «la plongée, c’est une philosophie.»