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«Notre» holocauste?

Initiatives, films et colloques viennent rappeler que parmi les victimes du nazisme figuraient des milliers d’homosexuels. Or les commémorations des «triangles roses» restent l’objet de polémiques – moins sur l’histoire que sur la forme prise par la revendication gay dans ce domaine.

Le travail historique et politique pour la reconnaissance de la déportation des homosexuels n’émerge en France qu’au cours des années 90. Pour des mouvements radicaux comme Act Up (qui avait débuté en proclamant «Le sida est notre holocauste»), c’est à cette époque que la lutte contre le silence menée à propos de l’épidémie de sida s’étend à la mémoire de la déportation (lire ci-dessous, entretien avec Magali Boumaza). On assiste alors à des manifestations délibérément choquantes, voire grand-guignolesques: «die-in», où les militants font le mort devant les monuments du souvenir, militants gays paradant en déportés, tenant sur l’épaule un cercueil de carton-pâte orné d’un triangle rose… De la part des groupes d’anciens déportés, le rejet est violent: on dénonce le «travestissement des faits historiques».

Dernièrement, ce type de reproches a été émis contre le téléfilm «Un amour à taire» diffusé le 7 mars par France 2. Salué par la presse comme la première fiction télé à aborder le thème des triangles roses, il a pourtant suscité le malaise en prenant pour trame la déportation vers Dachau d’un homosexuel parisien livré par la police française en 1942. Or, les historiens s’accordent sur le fait que contrairement à l’Alsace, la France occupée n’a probablement pas connu de déportation d’homosexuels en tant que tels. L’explication de l’un des scénaristes: «On n’a pas voulu s’inscrire dans un contexte franco-français […] Peu nous importait qui était déporté. Il suffisait d’un seul déporté homosexuel qui ait porté le triangle rose pour que le film soit nécessaire.» Cette justification s’inscrit dans la droite ligne de la revendication militante gay-lesbienne de ces dix dernières années, à laquelle le téléfilm rend un hommage appuyé.

Symboles
Preuve que l’activisme a porté quelques fruits, la plupart des cérémonies du souvenir citent désormais les homosexuels parmi les groupes de déportés. Quant aux organisations gay-lesbiennes, elles prennent place dans l’assistance ou se contentent d’un dépôt de gerbe en marge de la commémoration officielle. A Grenoble, chaque membre du collectif inter-associatif CIGALE y arbore les triangles rose et noir. Loin d’être une provocation, les symboles sont proposés come autant «d’aide-mémoire et d’invitations à engager le dialogue», comme l’explique Jean-Luc Bettini: «On offre une autre image des homosexuels: accessibles, ouverts. Ça a été très bien perçu, et même l’occasion de prises de contact avec les anciens déportés et la communauté juive.» A Genève, François Haaker-Chijner est plus réticent. Pour ce militant gay-lesbien qui a grandi dans une famille marquée par la Shoah, le triangle rose comme l’étoile jaune sont des symboles que seuls les rescapés doivent porter: «Je garde chez moi l’étoile jaune qu’a portée ma grand-mère – il ne me viendrait pas à l’esprit de l’arborer moi-même pour revendiquer quoi que ce soit.» De fait, quelle légitimité y a-t-il pour les gays et lesbiennes d’aujourd’hui à s’ériger en représentants des déportés homosexuels, voire de parler en leur nom? Pour Moreno Malacrida, membre de l’association gay-lesbienne fribourgeoise Sarigai, il y a un réflexe d’identification: «Je trouve que les homos ont tendance à se mettre dans une position de victimes. Moi, j’ai vraiment envie qu’on enlève ce voile de “victimisme”.»

Sarigai organise le 29 avril une soirée sur le thème de la déportation des homosexuels. Pour Moreno, ce moment de convivialité «tout simple» permettra de «rappeler que des gens sont morts parce qu’ils avaient une façon d’aimer différente». Même préoccupation pour François, qui explique: «C’est aux associations gaies et lesbiennes de rappeler la réalité historique afin de passer le témoin et de sonner l’alarme lorsqu’une société s’attaque à une minorité.»

«Notre histoire, personne ne va l’écrire pour nous!»

Jeune docteure en science politique, spécialiste de l’extrême droite, de la masculinité et des questions de genre, Magali Boumaza s’est associée à l’organisation des 4e Assises de la mémoire gay et lesbienne de Lyon, consacrées à la déportation des homosexuels: le prolongement d’une réflexion débutée au sein du mouvement LGBT strasbourgeois il y a plus de dix ans…

Magali Boumaza: «Au départ, ça s’inscrivait dans le contexte de la montée de l’extrême droite en Alsace au milieu des années 90. Commémorer la mémoire des déportés homosexuels était alors un moyen de lutter contre l’homophobie contemporaine en rappelant qu’elle peut conduire aux pires atrocités.»

Cette question est particulièrement sensible en Alsace, la seule région de France où la déportation d’homosexuels est avérée…
«…C’est pour cela qu’à Strasbourg, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose de très concret: le dépôt d’une gerbe en forme de triangle rose au moment de la journée du souvenir, le dernier dimanche d’avril. On l’a même fait conjointement avec une association allemande. Le plus important alors était que les officiels intègrent dans leurs discours qu’à côté des Juifs, des Tziganes et des résistants, il y avait aussi les homosexuels.»

Quel face-à-face avec les anciens combattants et rescapés des camps?
«Les résistances les plus fortes provenaient d’anciens combattants. Il faut bien penser qu’ils étaient là pour commémorer le courage, la virilité. Evidemment, se ranger aux côtés d’homos, ce n’était pas ce dont ils avaient envie.»

Il y avait sans doute aussi l’amalgame entre les déportés pour cause d’homosexualité et les pratiques homosexuelles signalées parmi les prisonniers, kapos ou nazis…
C’est vrai… à telle enseigne qu’à Reims, des militants gais et lesbiennes ont été traités de nazis lors d’une cérémonie du souvenir. Ont leur a dit: Les nazis étaient pédés. Je comprends le désarroi de ces rescapés qui se rappellent certains homosexuels nazis comme étant parmi les plus zélés quand il s’agissait de torturer. Et ça, certains nous l’ont renvoyé à la figure.»

Quel regard portes-tu sur les groupes qui utilisent les symboles de la déportation pour leurs objectifs, comme Act Up pour le sida…
«C’est une question complexe… Certes, l’activisme d’Act Up vise à choquer, mais on peut aussi comprendre qu’ils ne veulent pas faire un parallèle entre le régime nazi et le sida, mais plutôt manifester le traumatisme vécu par la communauté gaie du fait de l’épidémie et du silence qui l’entoure. Par ailleurs, je pense que leurs actions ont aussi permis d’évoquer une histoire oubliée.»

Cette prise de conscience historique marque-t-elle la naissance d’une identité communautaire?
«Dans leur immense majorité, les gais et lesbiennes de France cultivent l’ouverture sur la cité. Mais cela ne nous dispense pas d’écrire notre histoire – et là, j’utilise à dessein «notre», car personne ne va l’écrire pour nous. Or, on ne doit pas revenir sur les événements historiques de façon sélective, il faut faire un véritable travail historiographique pour dire d’où nous venons et qui nous sommes.»

Un long silence

Rareté des témoignages Les lois réprimant l’homosexualité restèrent en vigueur après 1945, incitant les rescapés à garder le silence sur les motifs de leur déportation. En France, il faut attendre les années 80 pour qu’un homme prenne la parole: l’Alsacien Pierre Seel, dont le témoignage suscite une véritable prise de conscience.

Combien d’entre eux arrêtés et déportés? On ne le saura sans doute jamais. Totalement infondé, le chiffre d’un million a été avancé dans les années 80. Aujourd’hui, les études les plus sérieuses offrent une fourchette très large allant de 10’000 à 100’000 déportés sur tout le territoire du Reich (incluant alors les régions françaises d’Alsace et de Moselle).

Holocauste? S’il reste utilisé, y compris pour les homosexuels, ce terme appelle une symbolique controversée. En l’état actuel des recherches, on ne peut pas parler d’extermination systématique, encore moins de génocide.

Les camps Les personnes déportées pour leur homosexualité ne furent pas été envoyées vers les camps d’extermination, comme Auschwitz, mais internées dans des camps de concentration. Elles y portèrent le triangle rose pour les hommes, noir pour les femmes, parfois d’autres signes distinctifs.

Violence De nombreux déportés y subirent des brimades extrêmes ou des «expériences» pseudo-médicales. Seuls 40% en seraient revenus.

Liens

– Une quantité impressionnante de documents est accessible sur le site du «Mémorial de la Déportation Homosexuelle» (Paris), entre autres l’étude de Michel Celse et Pierre Zaoui «Négation, dénégation: La question des triangles roses»: www.triangles-roses.org
– Le site des «Flamands Roses», groupe gay-lesbien lillois, contient notamment une galerie de photos retraçant des manifestations pour le souvenir des déportés homosexuels: http://flamandsroses.free.fr/memoire/
– «L’observatoire du communautarisme»: un point de vue très polémique, flirtant parfois avec le discours homophobe, sur l’activisme gay en rapport à la mémoire de la déportation: www.communautarisme.net

A lire

– Pierre Seel et Jean Le Bitoux: «Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel», éd. Calmann-Lévy (1994)
– Frédéric Martel: «Le rose et le noir : les homosexuels en France depuis 1968», éd. du Seuil (1996, réédité en poche en 2000, coll. Points), spécialement la quatrième partie.
– Jean Le Bitoux: «Les Oubliés de la mémoire», éd. Hachette (2002)
– Lutz Van Dijk: «La Déportation des homosexuels: Onze témoignages, Allemagne, 1933-1945», éd. H&O (2000)