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Tourisme homo: Un horizon si rose…

Croisières pour lesbiennes, safaris mâles, îles à drague: l'industrie du tourisme homo, véritable business aux Etats-Unis, se développe aussi en Europe. Séjours fun ou vacances ghetto? En Suisse, les voyagistes se lancent avec prudence dans l'aventure.

Aux Etats-Unis, le gay touriste est un être heureux. Chaque année, des centaines de voyagistes et tours opérateurs qui savent tout de ses besoins &endash; et de sa manière de dépenser ses dollars &endash; se battent pour lui proposer les meilleures vacances avec ses semblables. Croisières pour femmes seulement dans la mer des Caraïbes, safaris virils en Afrique du Sud, plongée entre hommes dans les profondeurs du Pacifique: plus une activité ou destination touristique n’échappe au segment des vacances estampillées «gays only». Plan drague en solitaire ou lune de miel à deux, séjours dans une ville à la mode ou vacances au club, lesbiennes et gays américains, s’ils le veulent, n’ont que l’embarras du choix dans le paradis du tourisme arc-en-ciel… A condition de s’y prendre tôt. Les vacances homos marchent si fort outre-Atlantique, qu’il faut souvent réserver son séjour une année à l’avance. La branche compte plusieurs magazines spécialisés, ses colloques et conférences annuelles aux quatre coins des Etats-Unis, et surtout un incontournable organisme international, l’IGLTA (International Gay and Lesbian Travel Association) qui permet à ses quelque 1400 membres, moyennant une cotisation de 350 dollars, d’échanger services et prestations commerciales. Des boîtes de marketing proposent même leurs conseils, à prix d’or, à tous les professionnels du tourisme qui voudraient se lancer sur le marché du voyage gay.

Big business, isn’t it?

En Europe, on n’en est pas encore là, mais le loisir gay, c’est sûr, suscite un intérêt commercial. Ces dernières années, quelques grosses agences spécialisées ont vu le jour en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Hollande ou en France. Dans le Marais à Paris, Eurogays, une agence qui est aussi son propre tour opérateur, a vu ses affaires exploser depuis sa création, il y a cinq ans. «Eurogays compte aujourd’hui 20’000 clients par an; essentiellement en France, mais aussi en Belgique et en Suisse», explique son directeur Jean-Marie Braconnier.

Folies au Club Med
Dans ce contexte, les généralistes du voyage, s’ils n’osent pas encore exploiter ouvertement le segment gay, s’y intéressent. Le Club Méditerranée loue déjà ses villages à des tours opérateurs qui y organisent des séjours «spécial homos». Quelque 600 gays ont ainsi débarqué dans le Club Med de Sonora Bay au Mexique en octobre dernier, et de nouvelles destinations étaient au programme pour 1999: la zone Pacifique, Saint-Domingue, Sydney et l’Afrique du Sud. Le ski n’est pas en reste: une agence londonienne a loué le village de l’Alpe d’Huez cet hiver. Des semaines pendant lesquelles des hordes de gays viennent y faire la fête, avec back room et tutti quanti. Clientèle inhabituelle, mais pour le moins intéressante: elle claquerait en un soir, dit-on dans les agences qui louent le Club, ce que les familles dépensent d’habitude en une semaine. Au siège parisien du Club Med, on dit «ne pas être au courant de l’existence de ces semaines gays»…

Dans un article placé sous la rubrique «Niches et marchés d’avenir» et intitulé «Gays et lesbiennes, surconsommateurs de voyages», Performances, une revue française spécialisée sur le tourisme, décortiquait en automne dernier les dépenses et les goûts des homos en matière de loisirs. «Plus cultivés et plus argentés que la moyenne hétéro, les gays peuvent devenir une clientèle très intéressante, pour peu que l’on adapte des produits à leurs attentes», y soulignait-on. Alors, une agence comme Eurogays craint-elle de voir les géants du voyage exploiter le créneau? «Notre agence n’occupe que des employés gays, et nous savons tout du style de vie de notre clientèle. Nous sommes les mieux placés pour leur fournir les meilleurs conseils», affirme Jean-Marie Braconnier.

Discrétion helvétique
En Suisse, les spécialistes du voyage homo n’existent pas à proprement parler. Mais des agents, souvent parce qu’ils font eux-mêmes partie du milieu, commencent à s’intéresser au créneau. Après Go Travel à Zurich, deux enseignes, Caméléon Travel et Deco Voyages, se sont lancées sur ce marché il y a quelques mois à Genève. Mais dans l’une ou l’autre, n’y cherchez pas de drapeau arc-en-ciel en vitrine, ni d’ailleurs de posters de mâles bronzés sur les murs ou de catalogues vendant le bonheur lesbien sur fond de mer turquoise. Ici, les agences sont avant tout généralistes, et développent à côté &endash; chez Caméléon, dans une pièce à part &endash; le voyage gay. C’est donc avec sobriété que l’on reçoit la clientèle intéressée. «Le client suisse apprécie la discrétion, tant dans le service que lui fournit notre agence que le choix du produit; il préférera un hôtel de charme à une croisière exclusivement gay», commente Michel Deco, directeur de Deco Voyages. Avis que partage André Grand, directeur commercial de Caméléon Travel: «Ce que le client homo recherche en venant chez nous, c’est avant tout des conseils spécialisés et de pouvoir être à l’aise quand il réserve son voyage et son lit double à l’hôtel.»

A l’image du marché américain, les vacances étiquetées homo vont-elles exploser en Europe? Les agents suisses se montrent prudents. «Contrairement à l’infrastructure américaine, les hôtels dans les villes européennes sont encore souvent de piètre qualité; or le Suisse a des exigences touristiques assez élevées», souligne Michel Deco. Et puis, les gays américains, sensibles à l’esprit communautaire, se laissent facilement tenter par des vacances en groupe, un segment plus facilement exploitable commercialement. Mais est-ce le cas des Européens? «Les croisières-ghetto, quelle horreur! Pas pour moi», dit Céline*, qui descend certes volontiers dans des hôtels gays quand elle part en week-end à l’étranger, mais qui pour rien au monde ne se lancerait dans un plan club ou une croisière exclusivement lesbienne. Elle n’est peut-être pas représentative de toutes les façons de consommer gay, mais l’avis est souvent partagé. Le tourisme gay européen n’a rien à voir avec celui pratiqué outre-Atlantique, analyse Jean-Marie Braconnier, «ici, le vacancier est beaucoup plus individualiste, il faut lui proposer des offres adaptées à ses goûts». Voila pourquoi Eurogays est aussi son propre tour opérateur, et ne travaille donc pas exclusivement avec des fournisseurs américains.

Le gay-tourisme se méfie aussi d’une exploitation commerciale démesurée, car le client homo n’a pas envie de passer pour une vache à lait. Significatif: le bulletin d’info de l’association Dialogai, à Genève, publiait en avril dernier une diatribe contre «le business gay», sujet à la fois sensible et paradoxal dans une communauté qui crée aussi sa propre aliénation commerciale. Le rapport au tourisme suscite les mêmes sentiments ambigus. «Quand on parle du marché gay du tourisme, je me sens souvent mal à l’aise, car j’ai l’impression d’être potentiellement la victime d’une pure exploitation commerciale» dit Alain*, qui a participé avec plaisir à la semaine Club Med de l’Alpe d’Huez cet été, mais qui ne partirait pas toujours en vacances de la sorte. André Grand, qui vend une dizaine de voyages par mois, voudrait lui aussi que l’on démonte certains clichés trop souvent véhiculés au sujet du commerce homo. «Les gays qui viennent me voir n’ont pas tous le porte-monnaie bien rempli. Comme tout le monde, ils calculent aussi le prix de leur vacances.»

*Prénoms fictifs