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Jean Genet et le sex-appeal des nazis

«Le poète-voleur» légendaire n’est pas qu’un amateur de jeunes délinquants et de luttes tiers-mondistes. Fasciné par les figures du Mal, l’écrivain a aussi fantasmé sur les nazis et leurs crimes. Un essai polémique éclaire un pan méconnu de l’œuvre de Genet.

Des hommes aux muscles saillants et aux braguettes lourdes, illustrés par Cocteau ou mis en scène par Fassbinder, des assassins de vingt ans à la beauté sulfureuse, des brutes blondes: l’imagerie créée par Jean Genet est presque devenue classique. Etiqueté écrivain de la marginalité de son vivant, il est passé de la mise à l’index au catalogue des icônes gay. La légende du «poète-voleur» est restée quasi intacte au fil des décennies. Mais un essai polémique d’Ivan Jablonka intitulé Les vérités inavouables de Jean Genet (1) se donne pour tâche de «démystifier» l’œuvre et l’homme. Le titre de l’étude est aussi tapageur que la thèse: Jean Genet serait un écrivain à ce point fasciné par les figures du Mal que son œuvre véhiculerait une véritable idéologie fasciste. Alors pourquoi l’écrivain encensé par la gauche a-t-il bénéficié d’une production de commentaires hagiographiques qui en ont fait le symbole de la résistance à l’oppression? Retour sur l’histoire d’un malentendu.

Le Mal par excellence
Homosexuel revendiqué mais antimilitant, compagnon de route des luttes révolutionnaires qui ont jalonné la seconde moitié du XXe siècle, Genet est souvent résumé à son univers de mauvais garçons. En écrivant sur les travestis, les prostitués, les traîtres ou les terroristes, il fait de son œuvre une quête de la réprobation publique et du scandale. Son goût pour la damnation se prolonge dans les années 60 et 70 par un engagement tant politique qu’esthétique en faveur de la violence armée, celle des indépendantistes algériens, des Black Panthers ou des fedayins palestiniens. De ce chant à la gloire de la jeunesse en révolte, il reste, trente ans plus tard, le souvenir d’un auteur tiers-mondiste, infatigable avocat des minorités.
Le malentendu date peut-être du Saint-Genet, comédien et martyr de Sartre publié en 1952. Cet imposant pavé fonde le mythe du Genet délibérément minoritaire et règle la question de son antisémitisme dans une note en bas de page. D’ailleurs comment Genet pourrait-il être associé aux écrivains de la collaboration par exemple, lui, le provocateur homosexuel, l’ennemi acharné de la nation?
Genet vénère les hors-la-loi, glorifie la transgression, exalte le risque: il est naturellement amené vers les figures qui cristallisent le plus violemment la peur et la haine des bourgeois. Le héros de Genet est d’abord le truand qui accède à la sainteté s’il finit sur l’échafaud. Mais la guerre va donner un visage nouveau au Mal. Il ne se cantonne plus aux cours d’Assises mais submerge l’Europe entière. Par haine de la France Genet loue «les bataillons de guerriers blonds qui nous enculèrent le 14 juin 1940 posément» (Notre-Dame-des-Fleurs, 1944). Sous la plume de Genet, les nazis et leurs dérivés (miliciens, collabos, indics) sont des crapules séduisantes qui s’adonnent «au banditisme le plus fou». Les nouveaux maîtres impressionnent Genet par la terreur qu’ils inspirent à une France soumise. Il suffit d’ailleurs de lire les pages venimeuses de Pompes funèbres (écrit en 1944, paru en 1948) qui mettent en scène Erik le beau SS pour se convaincre de l’attirance de Genet pour l’infréquentable. Dans Journal du voleur (1949), l’auteur honore aussi la Gestapo française, syncrétisme des valeurs qui traversent son œuvre: la trahison et le vol. «Qu’on y ajoute l’homosexualité, précise le poète, elle serait étincelante, inattaquable.»

Protégé par Sartre
Après les bagnards des années 30 et avant les kamikazes palestiniens des années 70, rappelle Ivan Jablonka, les jeunes hitlériens font figure d’idoles sexuelles dans la fantasmagorie de Genet. La question est de savoir pourquoi l’histoire littéraire a retenu la dénonciation faite par Genet du massacre des Palestiniens dans Quatre heures à Chatila (1982) mais pas la jubilation poétique manifestée par l’écrivain au sujet du carnage commis à Oradour par les SS en 1944. Genet n’eut jamais affaire aux tribunaux de l’épuration, d’abord parce sa trahison est restée fantasmée sur papier. Ensuite, son ami Sartre et le tout Saint-Germain-des-prés excusera volontiers ses outrances d’artiste provocateur. Enfin, la récupération de l’écrivain par l’extrême gauche achève d’anesthésier les pages les plus contestables – et souvent les plus belles – de Genet. Son ravissement face au sex-appeal des nazis cadre en effet assez mal avec l’image progressiste qui poursuit l’écrivain.

Procès vain
La démonstration d’Ivan Jablonka est toutefois souvent chicanière, notamment lorsqu’elle vise à prouver par l’enquête biographique que Genet eut une enfance heureuse, contrairement aux poncifs misérabilistes entretenus par lui-même et qui tendent à expliquer sa haine sociale par le rejet dont il fut l’objet. Mais quel écrivain n’a pas construit sa posture et mis à profit le «Je est un autre»? Moins convaincants encore sont les amalgames bricolés qui mettent en échos les lignes de Genet et les discours d’Hitler. De bonne foi ou non, tout procès instruit contre Genet se révèle toujours vain. Il participe en effet au projet même de l’artiste qui n’a jamais cherché autre chose que d’être poète de «l’abjection», fondant sa légende sur l’opprobre qu’il suscite.

(1) Ivan Jablonka, Les vérités inavouables de Jean Genet. Seuil, 2004.