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Les garçons restent dehors

Les garçons restent dehors

A 30 ans d’intervalle, elles ont toutes deux fait le même rêve: celui d’un lieu pour se retrouver et faire la fête entre femmes. Pauline, étudiante de 21 ans, animatrice des soirées lausannoises Les Filles Affranchies, et Lilly qui fut de 1978 à 1990 patronne du Bar L, l’unique bar exclusivement lesbien de Genève. Deux femmes qui refusent de ranger l’idée de non-mixité au placard du politiquement correct.

Un soir d’octobre 1987, éméché et couillon comme on peut l’être à 18 ans, j’ai fait connaissance avec Rocky en essayant d’entrer au Bar L. Aujourd’hui devant moi, Lilly, alors patronne de l’établissement, rigole: «Rocky ne faisait qu’aboyer. Il n’a jamais mordu personne!» Goguenarde, elle ne se lasse pas de raconter l’accueil réservé aux hommes dans le petit bar du quartier des Pâquis: «Je ne sais pas pourquoi, il se mettait à aboyer à chaque fois qu’un mec rentrait. Personne ne l’avait dressé pour ça, mais il avait suffi d’une fois où tout le monde l’avait félicité pour qu’il remette ça avec chaque homme se présentant à la porte!» Lilly passe les photos à Pauline: la devanture, l’intérieur rouge, au mur les photos de Katherine Hepburn, de Vanessa Redgrave… Mais pourquoi ne pas avoir créé un endroit mixte? Lilly frappe sur la table, elle n’en démord pas: «Non, non, non! Moi, c’était pour les femmes… J’avais déjà 45 ans quand j’ai ouvert le bar et je savais très bien dans quel genre d’endroit je voulais être tous les soirs.»
Comme Lilly il y a 30 ans, Pauline sort passablement en boîte. Pour elle, il manque un bar qui soit un rendez-vous quotidien pour les femmes. «Il y a eu des tentatives d’ouvrir des lieux à Lausanne, mais ça ne marchait pas. La décoration était atroce, les locaux excentrés, glauques…» Assez pour qu’elle lance Les Filles Affranchies en décembre dernier au Zinéma de Lausanne, une soirée strictement interdite aux hommes.

Un certain regard
Au fait, c’est quoi leur problème, aux mecs? Pauline et Lilly sont unanimes: c’est le regard. Selon Lilly, le regard des mecs hétéros dit «mal baisées», pas autre chose. Pauline ajoute: «les réactions sont souvent détournées, mais elles ramènent toujours au fantasme de la lesbienne qui n’a pas trouvé le bon mec. On peut très bien faire front, leur dire d’aller jouer ailleurs, mais il y a des moments où tu as envie d’être entre amies et de ne pas subir ça.»
Pourtant, il existe en Suisse romande quelques lieux gérés par des lesbiennes qui y font régner une ambiance particulière. Pour Pauline c’est une piste à explorer, par exemple en créant des soirées à coloration féminine, où les hommes ne seraient acceptés qu’à certaines conditions – à partir d’une certaine heure, par exemple. Mais Lilly n’y croit pas. Parce que ça dégénère forcément? «Non, corrige Lilly. Parce que les femmes auxquelles s’adressent ces soirées ne reviendraient pas. Pour une femme, sortir dans un bar, c’est quelque chose. A l’époque, plein de femmes me disaient: Je suis passée dix, vingt fois devant chez vous avant d’entrer. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de femmes qui ne sont pas “affranchies”, ajoute-t-elle avec un clin d’œil pour Pauline. Même parmi des jeunes femmes que je connais, il y en a qui ont toujours peur d’être vues par des hommes hétéros qu’elles continuent de considérer comme des ennemis, des espions…»
Mais les hommes n’ont pas le monopole de la drague lourde. Ainsi Pauline raconte-t-elle ces soirées réservées aux filles en boîte «où tu entres, descends les escaliers, et aussitôt tout le monde te dévisage. Il y a de la tension dans l’air. C’est un vrai supermarché de la drague.» Lilly est incrédule: «Non, non, les femmes n’attaquent pas comme les garçons!» Mais Pauline confirme: «Il y en a qui sont vraiment cash. Elles viennent, hop, te prennent la bière des mains et… “Bon, on couche ensemble?” …Comme ça.» Lilly est atterrée.

Mr. Macho et Mr. Tapette
Sur le site des Filles Affranchies les gays sont renvoyés dos à dos avec les hétéros: «Mr. Macho est lourd» et «Mr. Tapette est hystérique». A ce point, l’intervieweur se renfrogne: est-ce que vous ne mettez pas tous les hommes dans le même sac? Pauline se défend d’être «misandre» (la contrepartie de «misogyne»), mais explique vouloir dénoncer les comportements extrêmes chez les garçons. Cependant, elle observe qu’il y a chez eux «une perte d’identité, comme chez les filles. Parfois, ce sont les garçons qui apparaissent comme plus féministes que les filles. En revanche, on rencontre de plus en plus de filles hétéros dont on a l’impression qu’elles attendent d’être maltraitées par leur mec.» «Attends, rajoute Lilly, mais c’est déjà un drôle de travail à faire du côté des femmes pour qu’elles s’affirment, se prennent en main, pour qu’elles soient autre chose que des “moitiés”!»
En ce qui concerne les gays, Lilly admet ne les avoir «jamais tellement encouragés à venir au Bar L parce qu’ils ont assez d’endroits à eux. En plus, quand ils sont quelque part, ils sont assez envahissants.» S’il s’agit d’abord de protéger l’intimité du lieu, Pauline et Lilly admettent que par ailleurs, les caricatures renvoyées par les «folles» les agacent prodigieusement. «Avec leurs minauderies, leur sex-appeal, les folles font tout ce avec quoi nous, féministes, essayons de rompre», explique Lilly vertement.
Intolérance? Enfermement? Ghetto? Des arguments qui laissent Lilly de marbre: «Avant que je ne le reprenne, le bar appartenait à un coureur cycliste qui y recevait ses copains. Avait-on idée d’appeler ça un ghetto de sportifs? Si appartenir à un ghetto, c’est être bien ensemble, alors oui, je veux bien appartenir à un ghetto!» Adoptant un autre point de vue, Pauline remarque qu’il y a «toujours eu des réunions strictement masculines. Parallèlement, les femmes pouvaient se retrouver pour broder, cuisiner ou parler. Il n’y a plus cela aujourd’hui, tout est mixte. Je n’aimerais pas revenir en arrière, bien sûr, mais j’ai envie de moments où l’on peut être totalement spontanées… protégées du regard masculin.» Au-delà, Pauline imagine pour Les Filles Affranchies un espace d’échanges à l’instar des cercles littéraires et artistiques féminins d’autrefois: «Si j’avais pu vivre à une autre époque, ç’aurait été l’entre-deux-guerres.» Lilly approuve: «Oui, c’est un âge d’or dans l’histoire des lesbiennes à Berlin, dans le Paris de Natalie Barney ou à Londres, autour de Virginia Woolf. Hier comme aujourd’hui, ce que l’on essaie de changer, c’est de montrer que l’on est là, d’autant plus que contrairement à il y a 50 ans, nous avons des droits.»
En attendant, Lilly rappelle l’élément essentiel qui différenciait le Bar L de beaucoup d’établissements ou d’associations actuels: l’accueil – humain, chaleureux. C’est aussi l’esprit que Pauline souhaite insuffler aux soirées Filles Affranchies: «Ce qui se dégage de ces moments, c’est l’autonomie, la force et la fierté d’exister sans les hommes.» Et Lilly de renchérir: «…et le plaisir, le plaisir d’être entre nous – et Dieu sait si l’on peut être différentes les unes des autres!»

Soirées non mixtes, mode d’emploi
«Entre filles», «lesbian and friends» ou «all style»? Tour d’horizon des soirées filles en terre romande.
«Si la jeune génération de lesbiennes pense qu’elle n’a plus besoin de la non-mixité, tant mieux…» Pour Eliane Blanc, militante féministe et lesbienne à Genève, l’évolution vers la mixité est une histoire de générations, mais aussi un signe de dépolitisation: «Pour moi, il n’y a pas de limite nette entre le politique et le festif: les fêtes, ce n’est pas que pour danser. A cet égard, je pense qu’après expérience, on reviendra à des soirées filles». De fait, en ce début 2005, le tableau est contrasté.

Vaud
Si les soirées filles semblent avoir le vent en poupe, c’est d’abord grâce aux initiatives de collectifs lesbiens. Ailleurs, par raison économique, pratique ou par choix, les soirées se mélangent, rendant les moments de convivialité purement féminins de plus en plus rares. Lausanne d’abord, où l’association de femmes homosexuelles Lilith organise des dance parties girls only à un rythme mensuel. La prochaine aura lieu au Centre d’Animation des Bergières le 5 février. Les Lausannoises de Ladies’Time quant à elles organisent avec succès des soirées aux Temps Modernes (Vevey) et comptent se déplacer ailleurs dans la région. Dernières venues, Les Filles Affranchies se sont créées sur une idée de non-mixité stricte, revendiquée avec un humour provocateur. Mais il n’est pas exclu que le concept évolue (lire notre article p.12) pour la prochaine soirée au mois de mars. En attendant, Les Filles mettent l’accent sur la rencontre entre des femmes homos et hétéros, autour de films, musique et performances. Sur la scène commerciale, le 43-10 a cessé d’organiser ses soirées Amazones exclusivement féminines en décembre dernier. «A la demande de sa clientèle gay et lesbienne», des soirées moins exclusives, bien que toujours destinées aux filles, sont proposées: Lesbian and Friends et Scandalo Divino.

Genève
Pas de soirées exclusivement pour femmes, sinon une soirée Speed Dating organisée par l’association Lestime en novembre dernier. Ce fut une soirée non-mixte «parce que l’ambiance était ‘love’», explique-t-on joliment à Lestime. A présent, l’association se tourne vers des fêtes mixtes. Récemment, elle a lancé des soirées Wild Wild Girls au Nathan. Autres soirées, celles de KProd où, bien que mixtes, les filles sont en forte majorité; Connecting Girls, la prochaine, aura lieu le 5 février dans les locaux de Dialogai.

Neuchâtel, Fribourg, Jura
L’association chaux-de-fonnière Centre Femmes Marie Junet offre quelques activités festives et conviviales, notamment ce mois une «Carnavalentine». En revanche, il n’y a plus, pour l’instant, d’activités festives s’adressant spécifiquement à un public féminin à Fribourg, dans le Jura, ni en Valais où les soirées femmes d’Alpagai ont été supprimées dernièrement, faute de combattantes…