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Je défèque donc je suis

Ou comment la morale bourgeoise tente de museler la révolution scatologique.

Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. La terre était déserte et vide. Pas pour longtemps. Ainsi, dans le Deutéronome, Moïse écrit: «Tu auras un lieu hors du camp et c’est là que tu iras. Tu auras une bêche dans ton équipement. Quand tu iras t’accroupir à l’écart, tu creuseras et quand tu repartiras, tu recouvriras tes excréments avec de la terre.»
Avec les Romains, apparaissent les pots de chambre, dont on se sert jusqu’au Moyen Age. Si le tout-à-la-rue demeure longtemps l’habitude populaire, châteaux et monastères sont rapidement équipés de lieux d’aisance avec latrines, dont le ruisseau éloigne les déjections de la communauté. Comme le relate Roger-Henri Guerrand dans son «Histoire des commodités» (1), le Moyen Age manifeste à l’égard de l’excrément «un ton de liberté qui le fait participer aux aspects comiques de l’existence». Les matières fécales inspirent la littérature. Ce genre connaît d’ailleurs une première apothéose au XVIe siècle, dont Rabelais n’est pas le moindre des représentants. Il en va ainsi jusqu’à la moitié du XIXe. Les Lumières s’émerveillent également de «l’art de chier».

Avec l’avènement de la bourgeoisie, tout ce qui se passe en dessous de la ceinture devient suspect, et par conséquent censuré. Et l’hygiénisme social de suivre l’hygiène publique. La morale bourgeoise impose ses interdits et le corps doit être contrôlé. On ne se soulage plus au gré de l’envie. On ne partage plus les lieux. On ne disserte plus gaiement sur le siège, on ne fait plus part de son aise. C’est l’avènement de la répression corporelle, et par conséquent sexuelle. Finies les odes aux «doux zéphyrs» et autres «sonnets du trou du cul». Aujourd’hui, les habitudes castratrices demeurent. On continue de pisser seul, de chier à l’écart. Honteux.

En marge de cette répression se développe pourtant une contestation de fait. Puisque les vécés sont mis à l’index, dédaignés, pire craints, ils deviennent rapidement le théâtre des marginaux qui s’y retrouvent, s’y reconnaissent: drogués, homos… On drague aux tasses comme d’autres courtisent dans les salons. Les chiottes deviennent foyer de subversion. Les graffitis libèrent les fantasmes d’une sexualité brimée. Et l’art d’y trouver la source de ses révolutions: Duchamps transfigure le pissoir en œuvre d’art ready made. Art et merde continuent de se fréquenter jusque dans les expositions d’art contemporain organisées dans les toilettes publiques de Genève par un petit groupe anar. Le Musée d’art moderne et contemporain (MAMCO) de Genève invite les artistes à intervenir au-dessus des urinoirs ou sur les plafonds des cabines pour femmes qui équipent ses wc; les toilettes ne sont plus un lieu clos, coupé du monde. Les lieux reprennent leurs droits, s’émancipent: la sociabilité des chiottes, brimée par l’ordre bourgeois, connaît un nouveau regain.

Jusqu’à la récupération. Ainsi, en Suisse romande, les placards publicitaires se multiplient dans les toilettes des restaurants et des bars. On cible le consommateur pris au piège. La logique et la sémantique consumériste s’insinuent dans l’un des derniers bastions de la résistance à l’ordre bourgeois. Après avoir détruit les wc comme espace social, y avoir isolé le sacro-saint individu libéral dans la honte et la culpabilité judéo-chrétienne de ses besoins naturels, la morale bourgeoise y poursuit son œuvre de propagande et de contrôle, en supprimant les toilettes publiques, leur substituant des espaces stériles et contrôlés (voir l’introduction de la chaîne Mac Clean dans les gares), d’une part, et en y introduisant, d’autre part, le plus développé de ses moyens de coercition passive, la publicité.

(1) Roger-Henri Guerrand, «Les lieux, histoire des commodités», La Découverte/Poche Essais.