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Cafés gays et T-shirts moulants à Riyad

L’an dernier, l’annonce de l’exécution de trois homosexuels pour seul motif de leur orientation sexuelle avait effrayé l’Occident. Sur place, les homos nient les faits et parlent de propagande anti-arabe classique. Amnesty International maintient que ces exécutions ont bien eu lieu.

Je suis dans ma chambre d’hôtel, à Riyad, capitale de l’Arabie saoudite. Par téléphone, je parle avec un des hommes que j’ai contactés par e-mail avant mon arrivée. Mon but: espérer avoir un aperçu de la vie gay dans ce qui pourrait bien être la société la plus fermée au monde. Comme les trois autres gars que je finirai par interviewer durant mon court séjour dans ce pays, l’homme que j’ai au bout du fil se sent tout à fait à l’aise pour me rencontrer. Rendez-vous est fixé dans l’espace relativement sûr du hall d’entrée de l’hôtel.

Je lui demande: «Comment est-ce que je vais vous reconnaître?». Il me répond: «Je porterai un T-shirt rouge. Croyez-moi, personne en Arabie saoudite ne porte de T-shirt rouge!», dit-il, faisant référence au code vestimentaire conservateur de l’endroit. En public, chaque femme saoudienne porte l’abayeh obligatoire, ce vêtement noir couvrant le corps des pieds à la tête. Alors qu’il n’est pas rare de voir des hommes habillés à la mode occidentale, avec des pantalons et des chemises à cols, la grande majorité d’entre eux s’habille toutefois selon un code conservateur et traditionnel, préférant la longue robe blanche, le dish-dash, complété par le kifeyah, le couvre-chef à damier.

J’entre dans l’entrée à l’heure dite, à la recherche du signe de reconnaissance, le vêtement coloré. Immédiatement, je repère Haitham (un nom d’emprunt, tous les interviewés ont demandé que leurs vrais noms ne soient pas divulgués). Mais même sans le signe distinctif rouge, mon gaydar m’aurait rapidement conduit à lui.

Haitham, architecte de 28 ans, pourrait très bien venir directement de Chelsea ou de Castro street. Il porte des baskets rouges et des jeans moulants, et son T-shirt rouge laisse transparaître un torse visiblement habitué aux séances de fitness. Une mâchoire carrée coupe son visage angulaire, et ses yeux sont noirs et profonds. Les boucles noires coupées court sont visiblement maintenues avec du gel.

Plus tard, après être entré dans ma chambre – le seul endroit où Haitham et les autres hommes que j’ai contactés se sont sentis suffisamment en sécurité pour parler ouvertement – il me dit que ce code vestimentaire est un signe facilement identifiable pour les autres hommes gays. Mais, plus important, c’est aussi un symbole de la manière dont le pays s’est ouvert pour les homosexuels depuis 10 ans. «Aujourd’hui, dit-il, les gays peuvent être «out» en tout cas pour ce qui est de la manière de s’habiller. Si je porte un T-shirt moulant ou flashy, les hommes hétéros pensent que je cherche juste à impressionner, mais, ajoute-t-il en souriant, les autres gays savent ce que cela signifie…»

«L’Internet est une des manières de se rencontrer, dit-il, y compris sur des sites spécifiquement destinés aux hommes gais en Arabie saoudite. Le gouvernement bloque de nombreux sites, mais si vous savez naviguer sur le Net, vous pouvez vous pouvez trouver ce que vous cherchez».

Cette ouverture de la vie gay dans la société saoudienne se caractérise aussi par tout un réseau de soirées privées – au moins une par week-end – à laquelle participent de 20 à 50 personnes, dit Haitham. Il y a aussi quelques rues où il est possible de draguer, et où le manège des voitures allant et venant augmente après minuit (personne ne se promène à pied à Riyad). Riyad offre même trois cafés gays – deux plutôt mixtes, et un, particulièrement, qui est à 90% homo.

Après m’avoir fait promettre de ne pas le révéler dans l’article, Haitham me donne le nom du café gay et me dessine un plan pour y accéder. La nuit suivante, je convaincs un jeune homme, Fahed, que je rencontre par hasard dans le hall d’entrée de l’hôtel, de m’y accompagner, malgré ses réticences. Un mercredi soir, nous arrivons sur place vers les 22 heures, et l’endroit est déjà plein à craquer– la plupart des petites tables rondes en aluminium et chaises assorties ont été sorties directement sur la rue, pour profiter de l’air chaud de la nuit. Je suis étonné du fait que tout le monde est assis aussi ouvertement, à l’air libre. Plus étonnant encore le fait que la plupart des clients sont habillés avec le dish-dash saoudien et le kifeyah, et non pas en jeans et en T-shirt, comme c’est le cas pour Haitham et Fahed. Au début, je me demande si ce café est réellement gay. Mais, au bout de quelques minutes, je sens les regards fixes des hommes posés sur moi. Visiblement, ils draguent le nouveau venu. Mes doutes disparaissent.

À l’intérieur du café, les murs sont couleur pêche, lumineux, et des fils de néons colorés au plafond donnent un air de fête à l’endroit. Des serveurs, la plupart philippins, courent de la cuisine à la salle avec des plateaux de sandwichs chauds, des cappuccinos et des desserts français. Fahed, ce jeune homme de 25 ans qui conduit la Mercedes de son père, est un peu nerveux d’être dans le café. Ce n’est pas la première fois qu’il vient, mais il n’est pas retourné ici depuis plusieurs mois. La dernière fois qu’il est venu, raconte-t-il, il avait trouvé un billet d’un admirateur inconnu sur le pare-brise de sa voiture. Il avait été complètement paniqué à l’idée qu’un prétendant secret puisse savoir quelle était sa voiture.

Comme les autres hommes avec qui j’ai parlé en Arabie saoudite, Fahed, très instruit et parlant un anglais presque parfait, est à l’aise avec l’idée d’être homo. Sa peur de faire son coming out lui vient presque exclusivement de sa famille, et non pas du gouvernement ou de la religion. Chacun des quatre hommes que j’ai rencontrés, y compris Fahed, lève les yeux au ciel et rit quand je les interroge au sujet des exécutions d’homosexuels ordonnés par le gouvernement saoudien. «Arrête, s’il te plait, c’est vraiment exagéré, insiste Fahed, les Américains adorent ce genre d’histoires dramatiques, mais c’est du folklore. D’ailleurs, il est bien connu que plusieurs membres de la famille royale sont gay. Et personne ne leur coupe la tête!». Mais d’ajouter: «Ce qui est vrai, c’est qu’il n’y a aucun groupe de défense des droits des gays dans notre pays. Les groupes politiques, de quelque sorte que ce soit, ne sont pas tolérés.»

Plus que la peur du gouvernement, c’est la crainte que la famille soit déshonorée qui maintient les gays dans le placard», dit encore Fahed. «Si je faisais mon coming out», poursuit-il lentement, frissonnant à cette seule idée «je ne détruirais pas seulement ma vie, mais aussi celles des autres membres de ma famille.» Celles de son frère, de sa sœur, de sa mère et de son père. Son père – qui est un fonctionnaire très bien placé au gouvernement – perdrait certainement son travail, et sa famille serait totalement déshonorée, dit-il. S’il est vrai que les choses sont plus faciles aujourd’hui que par le passé pour les gays, souligne Fahed, il y a toujours une limite. Il n’y aura jamais de vraie société gay ici: «Les choses se passent toujours de la même manière. J’ai un type de l’association néerlandaise COC qui vient bientôt pour m’aider. Ce sera la troisième fois cette année. Il aide à faire baisser les piles des choses qui restent encore à faire.»