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Je bande dessinée

A l'aube de l'adolescence, les héros de notre enfance insouciante semblent se pourvoir soudain d'attributs nouveaux et merveilleux: ils font naître en nous des sensations étranges, celles d'une sexualité qui s'éveille à elle-même. Retours nostalgiques et non moins humides.

Si les fulguro-fist chers à Goldorak n’ont probablement jamais éveillé la sexualité des chérubins en culottes courtes, beaucoup d’entre nous se souviennent par contre avec émotion du trouble ressenti à la lecture de certaines bédés dites enfantines, ou encore à la vision des programmes riches de sens du club Dorothée. Dans le top ten des souvenirs mouillés, l’amitié virile entre Tanguy et Laverdure, les aventures de Rahan ou celles &endash; autrement plus ambiguës &endash; d’Alix, ont évidemment une place de choix, mais il en existe d’autres plus incongrus, pour peu que l’on demande à son entourage de se replonger dans ses jeunes années. Ainsi, la «Patrouille des Castors» aura fait fantasmer plus d’un futur pédé, avec ses lots de scènes de camping et de torrides ablutions matinales au milieu des bois, de même que les aventures du «Club des Cinq», dont cette femme d’âge mûr se souvient avec grande émotion: «Je devais avoir à peu près dix ans, la lecture de leurs aventures me faisait totalement fantasmer. Il y avait Claude, le garçon manqué, Anne qui était un peu nunuche, l’impulsif Mike, le raisonnable François et bien sûr le chien Dagobert. Quand je prenais ma douche &endash; de longues douches &endash; j’imaginais les personnages qui partouzaient dans des douches collectives, genre douches communes d’écoles avec murs blancs et jets croisés. J’imaginais aussi qu’ils venaient nous donner des cours d’éducation sexuelle à l’école, avec démonstration à la clef: Annie-la-nunuche se retrouvait alors dans des situations humiliantes. Je m’identifiais à Claude, dont j’admirais l’intrépidité, malgré son look de garçon manqué qui ne me correspondait nullement.» Cette autre femme ne ratait jamais une parution de «Spirou magazine»: «Quand j’y repense, c’est drôle d’avoir aimé à ce point Michel Vaillant. En fait, c’était plutôt le blond Steve Warson, l’Américain, qui m’attirait. J’admirais l’amitié virile entre les deux hommes, mais je me souviens surtout d’une page où Michel Vaillant et son frère sont torse nu sur un lit et se battent pour attraper une lettre. J’adorais ce passage! Inconsciem-ment, je devais trouver cela totalement érotique». Une artiste-peintre rigolote se souvient quant à elle de «Martine»: «La seule fois qu’une fille m’a vraiment troublée, c’était dans les aventures de Martine, surtout dans l’épisode où elle se rend à la plage dans son petit deux pièces vichy, tenant son chien en bout de laisse. Je crois que c’était le dessin, plus que le personnage, qui m’attirait tant. Ces courbes gracieuses qui évoquaient la féminité naissante et ce style clair, si précis. Les couvertures colorées de ses aventures ont longtemps hanté mes nuits.» Quant à «Natacha», la très sexy hôtesse de l’air du magazine «Spirou», elle fit carrément tourner la tête d’une génération entière de futurs coureurs de jupons, comme nous l’explique ce tombeur qui ne se rappelle plus du tout du contenu des histoires, mais bien plutôt de ses petites tenues ras-la-foufoune et de ses poses languissantes à longueur de pages.

L’ambivalence des personnages créés pour les enfants est parfois un facteur de trouble révélateur de l’orientation affective en devenir, comme l’évoque pour nous cette jeune lesbienne, encore aujourd’hui fascinée par les héros aux looks androgynes caractéristiques des mangas japonais: «Mon préféré était celui narrant la vie de «Lady Oskar», dont les aventures se passaient pendant la Révolution française. Amoureuse d’un révolutionnaire, mais prisonnière de sa condition féminine et d’un père qui désirait un garçon, elle se travestit en homme afin de combattre aux côtés de son amour secret. Celui-ci est passablement troublé par ce camarade aux charmes si impénétrables, et leur relation n’est qu’une suite de quiproquos à très forte connotation sexuelle. Je trouvais ça complètement pervers, très tordu, et cela m’a permis de prendre conscience de ma propre ambivalence sur les questions de frontière entre masculin et féminin. Garçon-fille, fille-garçon: à l’image de « Lady Oskar », je ne savais plus trop comment me définir exactement.» La cinquantaine coquine, cet homme avoue avoir découvert son penchant pour les garçons à la lecture des comics-strips américains: «Tous ces héros invincibles aux muscles bandés, c’était horriblement excitant! Ma préférence allait toutefois aux aventures dessinées par William Stout, dont la maîtrise du trait rendait les personnages quasi réels. La première fois que je me suis branlé, c’était sur une bande dessinée de « Akim », une sorte de Tarzan plus sexe et complètement déjanté. Je l’imaginais faire des trucs bizarres avec les singes géants. Ma mère avait beaucoup de mal à se procurer ces fascicules américains, et je crois qu’elle y aurait renoncé si elle avait su quelle utilisation j’en faisais!».

Autre sujet d’interrogation pour petites filles espiègles troublées par leurs camarades de gym artistique, «Fifi Brindacier» fait véritablement figure d’icône lesbienne: «Elle n’était pas franchement sexy, cette sale gamine aux cheveux rouges, mais elle a éveillé en moi une certaine conscience féministe. Elle jouait avec les garçons, comme les garçons, c’était elle la cheffe, et tout cela ne posait pas de problème, ce qui me réconfortait grandement puisque je faisais pareil dans la vie.» La télévision est évidemment un réservoir inépuisable de souvenirs. Cette femme se souvient d’un feuilleton intitulé «Christine», dans les années septante: «C’était une nana super indépendante! Avec ma meilleure copine, on jouait à Christine et l’on s’embrassait en cachette. Je crois que ce fut mon premier baiser.» Telle autre en pinçait pour la «Demoiselle d’Avignon», avec Marthe Keller et Louis Velle: «C’était total kitsch. En vacances chez ma grand-mère avec mes cousines, on suivait le feuilleton avec peine, car une tante un peu coincée nous ordonnait de fermer les yeux à chaque scène osée, soit… un baiser prolongé!». Autre époque, autre mœurs, «Albator» et le «Capitaine Flamme» faisaient déjà bander ce garçon: «Chaque fois qu’il y avait un baiser ou une scène d’amour, je me glissais dans la peau de l’héroïne et ça me faisait tout chose! Quand l’émission était terminée, j’étais toujours le dernier à quitter le salon, car je ne voulais pas que mes copains remarquent la protubérance dans mon pantalon. Je me souviens avoir longtemps culpabilisé pour cette attirance envers mon Capitaine adoré.» Et la bissexualité dans tout cela? Elle nous sera finalement évoquée par cette femme, depuis toujours ballottée entre le yin et le yang, et presque gênée d’avouer son penchant pour le couple Heidi et Hans: «Je crois que je ne pouvais pas choisir lequel des deux je préférais. Pour moi, c’était le couple masculin-féminin parfait, et j’en étais follement amoureuse!». Romantiques, pas morts!

Et comme tous les goûts sont dans la nature, nous terminerons sur le témoignage légèrement décalé d’un garçon au naturel désarmant: «J’avais un faible pour le Marsupilami.» Quoi, le Marsupilami?! «Oui-oui, tu as très bien entendu! Il saute partout avec sa grande queue, ses poils jaunes et noirs sont complètement hype, et en plus il nique toute la journée dans des grands nids-lupanars en haut des baobabs. Je trouvais ça super bandant!».