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Quand Dolores dansait la douleur

Quand Dolores dansait la douleur

Oublié de l'histoire, le danseur travesti juif Sylvin Rubinstein fut un résistant acharné au nazisme.

«Qu’est-ce qui attire les hommes si puissamment, comme un aimant? / Il n’y a que les jambes de Dolores pour empêcher les señores d’aller se coucher / Car les toreros et les matadores veulent encore voir Dolores danser». Même si la célèbre chanson «Die Beine von Dolores» («Les jambes de Dolores»), un des hits du chanteur populaire ouest-allemand Gerhard Wendland dans les années 1950, n’a pas été écrite pour lui, le danseur travesti Sylvin Rubinstein, alias Dolores, n’a eu de cesse de l’utiliser «comme une publicité» lorsqu’il se produisait dans les cabarets de Hambourg.

JAMBES INTERMINABLES
Il révélait ses jambes interminables, dissimulées sous la longue traîne d’une robe de flamenca, par d’habiles pas de danse. Du passé tragique et héroïque de ce danseur de flamenco talentueux, artiste transformiste, ses admirateurs ignoraient souvent tout. Sylvin Rubinstein a longtemps gardé le silence. Jusqu’à ce qu’il accepte, sur ses vieux jours, de confier son histoire extraordinaire au journaliste allemand Kuno Kruse. Celui-ci en a tiré une biographie qui constitue un témoignage historique précieux, «Dolores und Imperio — Die drei Leben des Sylvin Rubinstein». Car le danseur fut un résistant au nazisme durant la Seconde Guerre mondiale. Pour comprendre son passé, il faut remonter le fil de sa biographie: Sylvin Rubinstein naît à Moscou le 10 juin 1914 avec sa soeur Maria. Les jumeaux sont les enfants illégitimes d’un duc russe et d’une danseuse juive. Lorsque la Révolution russe éclate en 1917, leur père les envoie dans la ville de Brody, en Galicie, un territoire qui recouvrait alors la Pologne et l’Ukraine.

Inséparables, le frère et la soeur nourrissent une passion commune: la danse, et bientôt le flamenco, très à la mode dans les années 1930. «Maria et moi, nous étions magnétiques. Quand nous dansions ensemble, nous n’étions plus qu’un pied», explique Sylvin Rubinstein à Kuno Kruse. Jeunes et talentueux, Sylvin et Maria ne tardent pas à danser sur les plus grandes scènes d’Europe, et en particulier à Berlin. Leurs noms de scène: Imperio et Dolores. Mais en 1935, les nazis, au pouvoir depuis deux ans, interdisent aux artistes juifs de se produire sur scène. Sylvin et Maria rentrent donc en Pologne. En 1939, la guerre éclate et les nazis envahissent la Pologne. Un jour, Sylvin est contrôlé dans la rue et jeté en prison parce qu’il ne porte pas l’étoile juive. Il y subira des viols, avant de parvenir à s’échapper lors d’un convoi. Commence alors pour lui une vie dans la clandestinité. Muni de faux papiers, il prend le nom de Turski, et se sépare de sa moitié: Maria décide de rentrer à Brody pour prendre soin de leur mère.

SABOTAGE
Sylvin fait bientôt la connaissance de Kurt Werner, un officier allemand qui est à la tête d’un réseau de résistants. On ignore si les deux hommes étaient seulement amis ou bien s’ils ont eu une histoire d’amour, Sylvin ne s’étant jamais confié à ce sujet. Avec le soutien du major, Sylvin participe à diverses actions de sabotage: il met du sucre dans les réservoirs d’essence des véhicules de la Wehrmacht, vole des denrées alimentaires dans le garde-manger d’un bâtiment occupé par les nazis, coupe les barbelés qui entourent un camp de prisonniers. C’est là qu’il apprend, en 1942, que Maria et sa mère ont été exterminées au camp de Treblinka. Inconsolable, Sylvin fera le deuil de sa soeur jumelle adorée à sa façon: avec des vieux rideaux et des vieux draps, il se coud une robe de flamenca et se fait dès lors appeler «Dolores». Désormais, il fera de la résistance en habits de femme. Et sera prêt à tuer pour venger sa sœur. Un jour, il se rend par exemple dans un bar truffé d’officiers de la Gestapo et de soldats de la SS, le Deutscher Hof, en se faisant passer pour une artiste de cabaret. Dans son sac à main, il a deux grenades.

© Kuno Kruse
© Kuno Kruse

Après l’attentat, il décide de quitter la Pologne, où il est désormais activement recherché. Avec l’aide de Kurt Werner, qui lui fournit de faux papiers et la clef de son appartement berlinois, il se rend en Allemagne comme travailleur volontaire, tout en continuant à mener des actions de résistance. À la fin de la guerre, il s’installera à Hambourg, où il deviendra une vedette des cabarets du quartier de Saint-Pauli, sous le nom de «Dolores» puis de «Imperia Dolorita». Sur ses vieux jours, il deviendra brocanteur, et continuera à traquer les nazis en les attirant dans sa boutique exposant des reliques du troisième Reich. Sylvin s’est éteint en 2011 à l’âge de 96 ans. Seul avec son chagrin, ses panoplies extraordinaires et les pigeons blessés qu’il récupérait dans la rue et soignait avant de leur redonner leur liberté.

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