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Over, the rainbow?

La tendance rainbow food déferle de New York et de Hong Kong pour s’exhiber sans retenue sur Instagram. L'ultime étape de dilution d'un symbole militant?

Après le rainbow bagel, le rainbow donut, le rainbow grilled cheese, le rainbow latte, voici le rainbow sushi. Les couleurs de l’arc-en-ciel s’étalent sur les hashtags jusqu’à l’indigestion. Et rien que du pétant, du criard, du qui-en-jette, surtout pas de pastel qui ne rendrait rien à l’écran. Car l’idée c’est de partager via le réseau social cette overdose de pigments qui transfigure l’aliment d’origine.

Qu’on se rassure: aucun artifice ni conservateur, rien que du bio, du naturel. Pourquoi cet engouement? Pourquoi l’arc-en-ciel? Pourquoi fait-il vendre? Au départ, il y avait cette petite boulangerie de Brooklyn, The Bagel Store, et Scot Rossillo, son patron un peu artiste, un peu bohème, qui confectionnait des rainbow bagels depuis vingt ans dans son coin sans que ça émeuve le reste du monde et puis il y a eu cette vidéo le montrant à l’ouvrage, postée par le journal Business Insider et vue 65 millions de fois. Depuis, c’est la folie autour de la bouffe bariolée.

Le phénomène intéresse les économistes autant que les sociologues qui s’interrogent sur les raisons de cet emballement. Une réponse semble toutefois s’imposer selon Adam Alter, professeur à la New York University Stern School of Business qui estime qu’avec la viral food, il suffit que «le plat soit photogénique et partageable» pour que tout le monde se précipite. Inutile de chercher du sens, du message politique, de la subversion, «c’est purement grégaire» d’après l’universitaire. Le drapeau arc-en-ciel, symbole majeur de la communauté LGBT, n’a donc pas servi de référence?

«Don’t make it cute»
Pourtant des marques comme Apple ne s’en sont-elles pas inspiré pour dessiner leur logo? Certains y ont même vu un hommage direct à Alan Turing, ce mathématicien britannique, pionnier de l’informatique et ouvertement homosexuel, qui se serait suicidé après avoir croqué dans une pomme contenant du cyanure. Cette thèse a été depuis démentie par Apple et par le créateur du logo lui-même, Ron Janoff qui travaillait pour l’agence Regis McKenna, qui a expliqué que le seul brief qu’il avait reçu alors tenait en une phrase: «Don’t make it cute». L’arc-en-ciel du logo était supposé représenter l’avancée technologique des premiers écrans couleurs… Afin d’éviter toute confusion ou fausse interprétation, la marque a par la suite opté pour un logo monochrome. Là encore, il semble que le symbole visuel d’identification collective de la communauté homosexuelle n’ait rien à voir là-dedans.

Même si l’arc-en-ciel a évolué au fil du temps s’effilochant de l’étendard militant au navrant symbole marchand, en témoignent les innombrables produits estampillés avec ce motif, toutes les sociétés qui les vendent ne promeuvent pas pour autant la culture gay. D’après Guillaume Marche, enseignant à l’Université Paris-Est Créteil, «entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, l’arc-en-ciel était devenu un emblème destiné à vendre — politiquement autant que commercialement — l’image d’une homosexualité somme toute sympathique et non menaçante».

Dilution
La diversité, la multitude font peur, l’idée va être de lisser. L’universitaire explique que partant de là, «consentir une telle prise en compte a minima de la diversité signifie donc que l’on construit implicitement l’homosexualité comme une identité collective a priori blanche, mais au sein de laquelle existent des particularismes». Les couleurs d’origine vont peu à peu se diluer dans un bloc homogène emmené par une seule composante. Guillaume Marche estime que «l’homosexualité se vend mieux si elle est clairement identifiable à un item à la fois homogène et inoffensif». Exit donc le politique et la subversion, place au rainbow sushis et autres frichtis multicolores.

De fait, on risque d’en avoir bientôt fini avec l’homosexuel comme le suggère le dernier livre polémique de Dennis Altmann, universitaire et activiste gay australien qui questionne l’homosexualité comme marqueur identitaire primordial et qui s’interroge sur la validité d’une communauté axée sur la préférence sexuelle. Une thèse que conteste notamment Adrienne Shaw, professeure d’études LGBT à Philadelphie: «Cet argument ne s’applique qu’à ceux qui ont des droits. Ils sont dans une position privilégiée qui leur permet de dire ‹Hé, on n’en a plus besoin! ›». Pour elle, la bannière arc-en-ciel a encore sa raison d’être au même titre «qu’un vieux show miteux de drag queens organisé dans la galerie marchande d’un supermarché de province».