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Résurrection

Rarement la mode aura été aussi sombre. Dans l’impasse, le secteur n’a aujourd’hui pas d’autre choix que de se réinventer en profondeur pour survivre.

Tout commence avec la disparition d’Alexander McQueen le 11 février 2010. Promis à une destinée hors du commun versant glam & dark, l’enfant chéri de la mode se suicide à tout juste 40 ans. La perte est brutale, l’hémorragie est vive, son esthétique aux coupes envoûtantes comme des carapaces hante à jamais l’histoire de la mode. Inconsolable, ses adorateurs cherchent les raisons qui ont bien pu pousser l’écorché à commettre l’irréparable. En vain. Son destin scellé trop tôt augure d’une nouvelle ère.

D’un coup, le paradoxe du caractère à la fois amnésique et nostalgique de la mode rompt avec ses humeurs romanesques pour mettre en lumière les difficultés d’un secteur constamment sous pression: une collection en chassant une autre, les designers sont soumis à un calendrier épuisant. Les objectifs fixés par les financiers aux commandes sont de plus en plus élevés dans une conjoncture très rude. Le faste et le chic laissent place à une réalité plus sombre et compétitive, reflétant le chaos ambiant, tant au niveau économique que climatique: les saisons devenues imprévisibles jouent de sales tours aux collections jusqu’ici pensées et conçues pour les traverser confortablement.

Endeuillé par la perte de McQueen, l’un de ses plus célèbres anciens élèves, le Central Saint Martins College à Londres – la référence en mode dans les années 90 – voit son autre enfant terrible péter les plombs filmé en public. Assis à la terrasse d’un café parisien le 24 février 2011, John Galliano, alors directeur artistique de Christian Dior, profère des insultes racistes et antisémites à ses voisins de table. La maison de luxe ne peut évidemment pas tolérer un tel comportement et le licencie avec effet immédiat. Après la lune de miel, c’est la déconfiture. Pour sa défense, l’extravagant couturier blâme sa consommation d’alcool et de médicaments pour tenir la pression. Aujourd’hui, Galliano se retape une santé grâce à Dieu, grand bien lui fasse.

Prophéties
Au-delà du drame et du fait divers, la mode opère sa véritable mue en profondeur. Une métamorphose qui n’échappe pas à la Néerlandaise Li Edelkoort. Prescriptrice de tendances depuis plus de trente ans et créatrice du magazine Bloom, elle publie en 2015 son Manifeste antifashion, dans lequel elle déconstruit méticuleusement le système de la mode et déclare très sérieusement que cette dernière n’a plus rien à dire. Son analyse démontre le dysfonctionnement de chacun des maillons de la chaîne, des écoles aux designers, mais également la presse et ses divas, les bloggeurs, les collections elles-mêmes. La raison principale? Les dirigeants – des financiers – qui ne comprennent rien aux subtilités et surtout à la nécessité de tous ces rouages. Un constat qui s’applique à d’autres secteurs que l’industrie textile…

Mais alors, si la mode telle qu’on la connaît s’effondre, à quoi ressemblera la mode de demain?  Jeremy Scott donne un élément de réponse avant tout le monde: connu pour son goût du kitsch white trash, le designer américain est le challenger idéal pour relancer la marque italienne Moschino. Sa première collection automne-hiver dévoilée en février 2014 à Milan rend hommage à l’esthétique rouge et jaune de McDonald’s. Pas très chic, mais très choc et surtout très fun! Pour la première fois, toutes les pièces et accessoires de la collection sont instantanément disponibles en boutiques. Une révolution qui privilégie l’immédiateté. Son flair fait des émules, notamment avec Burberry et Tom Ford, qui exprime dans un communiqué en février 2016 sa volonté de se rapprocher des besoins de sa clientèle: «Nous vivons avec un calendrier et un système d’un autre âge», déclare-t-il. «Aujourd’hui, une collection doit être disponible immédiatement. Les défilés et leur calendrier tels que nous les connaissons ne fonctionnent plus. Pour y remédier, la solution est simple: présenter nos collections lorsqu’elles arrivent en magasins. Ainsi, le défilé booste les ventes sans délai.»

Pendant ce temps-là, les départs des directeurs artistiques emblématiques se succèdent avec fracas. Après Raf Simons qui annonce qu’il quitte Dior en octobre 2015 après quatre ans de collaboration, Lanvin confirme quelques jours plus tard sa séparation avec Alber Elbaz, mettant fin à quatorze ans d’une idylle fashion unique. Dans une récente interview, le designer d’origine marocaine observe: «On s’imagine que la mode est une fête sans fin, mais c’est faux. J’avais l’impression de glisser vers le business du divertissement et je m’interroge, tout simplement, si c’est vraiment cela à quoi j’aspire». En avril 2016, c’est Hedi Slimane – le visionnaire sans concession qui avait dessiné l’allure filiforme et rock de l’homme Dior des années 2000 – qui annonce son départ de la maison Saint Laurent après plusieurs semaines de rumeurs et de spéculations.

Renouveau
Un exode annonciateur de renouveau, à en croire Jean-Pierre Blanc, le directeur de la Villa Noailles et fondateur du festival de mode à Hyères. «J’adore Li Edelkoort, mais je ne supporte pas cette vision apocalyptique. C’est vrai, les temps sont durs, dans la mode aussi. Mais n’estce pas justement quand tout est noir que la créativité triomphe? Je veux le croire, et c’est une des raisons pour lesquelles le festival existe depuis plus de trente ans, pour encourager la jeunesse à continuer sans cesse».

A voir les mines réjouies à la sortie du défilé du concours cette année, cette énergie qui pulse au gré des passages des collections des 10 finalistes et le frisson provoqué par celle du gagnant, le Japonais Wataru Tominaga, on a envie de le croire: la relève est là, prête à tout réinventer et délestée au passage d’un star-system encombrant. Retour à la poésie en petites séries. Comme une fable, quelques semaines plus tard, les nombreuses stars foulant du pied le red carpet du gala du MET – un des rendez-vous de mode les plus attendus de l’année à New York – semblent s’être passé le mot d’ordre, grotesque, pourtant le thème de la soirée est «la mode à l’ère technologique». Les reines de la provoc ne manquent pas à l’appel. Comme le relève aussitôt la presse internationale, Madonna, Lady Gaga, Beyoncé & Co auront rarement été si mal accoutrées par les couturiers les plus prestigieux. Telles des reliques du passé, elles s’offrent en pâture et sans glamour aux objectifs des photographes. S’il plane sur l’événement ce jour-là un goût d’arsenic et vieilles dentelles, il souffle sur Hyères la promesse de lendemains qui chantent.