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Vis ma vie en selfies

Vis ma vie en selfies

Débarqué comme un ovni dans la panoplie des accessoires glorifiant l’ego, le selfie stick n’a pas bonne presse sous nos latitudes. Il soigne pourtant de la crainte de se faire happer l’âme par un objectif actionné par un autre.

Hier – pour des raisons professionnelles – je suis allé acheter mon tout premier selfie stick. Je précise pour des raisons professionnelles parce que comme tout le monde, quand je vois une grappe de touristes sourire agglutinés au bout de leur bâton, je me moque gentiment. Débarqué comme un ovni dans la panoplie des accessoires glorifiant l’ego, le selfie stick n’a pas bonne presse sous nos latitudes. Un peu comme les Crocs, on l’associe à la beaufitude. Arrivé à la maison avec mon nouveau gadget, déballage. Puis mode d’emploi. Premier éclat de rire en lisant la notice en français: dans la langue de Molière, cette vulgaire extension de smartphone a été rebaptisée «bâton à égoportrait». En perdant du fun propre à l’anglais, notre outil plombe tout de suite l’atmosphère.

Action. Ou plutôt, essais in vivo. A bout de bras, je me scrute dans l’écran, je teste mes profils pour voir lequel est le meilleur. Duckface? Regard de braise? Menton en l’air? L’air naturel? Infinies possibilités de moues, de la tête à claque à la gueule d’amour. Self-fascination magnifiée par le self control de la situation. Vis ma vie en selfie. En gérant les deux côtés de l’objectif, la crainte d’être capturé dans une mauvaise posture disparaît. Là on devient le manager de sa propre image. On est à la fois Pinocchio et Gepetto, muse et pygmalion. Inquiétant délire égotique. Pourtant, à l’ère où l’on pin sur Pinterest au moins autant qu’on pine et qu’Instagram sublime nos vies, la menace de l’isolement social n’a jamais été autant présente.

«Mais! C’est quoi cette tronche?»
En déroulant la liste de mes selfies dans mon téléphone libéré de son bras télescopique, me revient en tête le traumatisme au moment d’immortaliser un instant entre amis face à un objectif. Le regard plongé dans le noir abyssal, cette crainte de se faire happer l’âme par le petit oiseau. Ce malaise lorsque le photographe me balançait «Mais! C’est quoi cette tronche?», et moi pétrifié – les moyens me faisant faux bond en même temps que la répartie – de rétorquer timidement: «Ben, c’est la mienne !» Ou alors ce sentiment de protection absolue lorsque ces moments de pose groupés se déroulent derrière des lunettes de soleil vissées sur le nez. Un pur instant Adjani, comme elle le chantait dans «Pull Marine»: «…et je n’aurai plus qu’à mettre des verres fumés pour montrer tout ce que je veux cacher…»

Pour ma part, apprivoiser l’objectif m’a pris des années. J’en avais une crainte farouche, à tel point que je les fuyais. Je m’arrangeais toujours pour être absent au moment de la photo, ni vu ni connu. Et ça a commencé très tôt, puisque mise à part une série incroyable, mes parents prenaient peu de photos de moi quand j’étais gosse. Mes souvenirs sont dans ma tête et stimulés par d’autres sens, comme l’odorat ou le toucher. Des années plus tard, après avoir tenté vainement de m’apprivoiser dans des poses stupides sur des selfies à bout de bras, me voilà en train d’apprendre – amoureux solitaire – à faire l’amour à la caméra au bout de mon stick.