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Quand l’échange linguistique tourne au outing forcé

Quand l’échange linguistique tourne au outing forcé

Témoignage de la drôle de mésaventure vécue par un ado suisse découvrant son homosexualité dans la Californie profonde... au grand dam de sa famille d'accueil.

Un hold-up sur mon intimité. Ma mère apprend mon homosexualité par la bouche de quelqu’un qui n’est pas moi et qui est visiblement bien mieux renseigné. Parce que je suis à ce moment bien incapable de dire ce que je suis. Quelques jours plus tôt, je baignais dans un jacuzzi dans un trou paumé de la Californie. J’ai alors 15 ans et suis étudiant d’échange dans une famille ricaine. A côté de moi, un de mes camarades belges de trois ans mon aîné. On est aussi perdu l’un que l’autre mais notre attirance écrase les doutes. On s’embrasse passionnément. Comme dans une mauvaise série télé, on le fait sous le regard indiscret du voisin qui s’empressera de rapporter l’événement à ma famille d’accueil. Laquelle famille me dit qu’elle a soudainement réalisé que la maison était trop petite pour m’accueillir et que je devais partir le lendemain. Mais rien à voir avec ma sexualité, promis juré.

Allô maman
Je me retrouve alors chez une des responsables de l’organisation – l’American Field Service (AFS) – avec laquelle je suis parti. Totalement déboussolé, je lui demande de ne rien dire à personne sur cette histoire. Elle me le promet, main sur le cœur. Pourtant, un jour plus tard, je réalise la valeur de sa parole lors d’un téléphone avec ma mère. A plus de 9000 km, j’essaye d’expliquer ce que je n’arrive moi-même pas encore à comprendre.

En Suisse, on lui a raconté que j’avais dû changer de famille mais que la raison ne pouvait pas lui être communiquée. Devant son incompréhension puis sa fureur, ils finissent bien évidemment par tout lui dire. Et de pimenter au passage le récit en inventant que je suis dépressif, condition indissociable de l’homosexualité semblerait-il. On me place dans une nouvelle famille qui me fait comprendre qu’elle veut bien de moi pour autant que je dissimule mes errements, réputation oblige. Les bénévoles de l’association se montrent quant à eux bien plus proactifs. Débute alors une vaste opération consistant à me faire à nouveau voir la lumière. Ces adultes censés me protéger m’indiquent les filles avec qui je pourrais m’acoquiner, m’expliquent en long et en large combien je serai malheureux si je ne change pas. Il faut dire que l’association, dans cette région, a été cooptée par des chrétiens fondamentalistes. C’est de notoriété publique mais aucune mesure n’est engagée.

«Puisque je me montre indiscipliné, ils débutent le matraquage. Ils affirment qu’ils vont le dénoncer à la police et l’envoyer en prison. Quant à moi, je serai renvoyé en Suisse sur le champ»

Inglorious bastards
Me sentant peu réceptif à leur approche et devant ma détermination à continuer à fréquenter le garçon belge, leur pression s’intensifie. Puisque je me montre indiscipliné, ils débutent le matraquage. Comme il est majeur, ils affirment ne pas hésiter à le dénoncer à la police et l’envoyer en prison. Quant à moi, je serai renvoyé en Suisse sur le champ. Ils vont même jusqu’à nous interdire de nous adresser la parole en public avant de ne plus m’inviter aux activités de groupe. Pas assez de place dans le car qu’on me dit. Durant l’année qu’a duré notre séjour, ils n’ont eu de cesse d’utiliser la menace et l’intimidation, la fausse compassion et la vraie manipulation. Sans que personne, en Suisse ou aux Etats-Unis, n’intervienne. Alors que notre situation est connue par de plus hauts responsables. A mon retour, il me faut deux ans pour avoir le courage de retourner au siège de l’organisation et raconter ma version de l’histoire. Pas pour m’apitoyer mais pour faire comprendre pourquoi une telle expérience peut déboucher sur des conséquences bien plus tragiques. Et plaider pour un meilleur suivi des bénévoles qui interagissent avec des adolescents et qui doivent dès lors être prêts à se trouver confrontés à des problématiques liées à la sexualité et au genre. Dix ans plus tard, le souvenir de cette année reste vivace car elle aura tout chamboulé. L’organisation m’avait assuré que des changements seraient entrepris pour éviter à l’avenir ce genre de mésaventure et, malgré le temps qui a passé, j’ai ressenti le besoin de voir ce qui avait été fait depuis.

Sex talk
Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’American Field Service envoie des jeunes de 15 à 18 ans pour des séjours dans des familles d’accueil dans plus d’une soixantaine de pays aux quatre coins du monde. L’organisation s’appuie principalement sur un très large réseau de bénévoles. Pour Stephan Winiker, directeur du développement organisationnel et des services pour AFS Suisse, «il est essentiel de [les] conscientiser par rapport à la multiplicité culturelle et sociale, ainsi qu’à la problématique de l’orientation sexuelle». Pour ce faire, l’organisation a initié des groupes de travail sur l’enseignement global de la diversité culturelle dont la participation est toutefois volontaire. Le directeur souligne la place «de plus en plus importante» qu’occupe aujourd’hui la question des minorités sexuelles dans ces processus.

Concernant les étudiants d’échange, un «sex talk» est organisé dans le cadre du week-end de préparation au départ durant lequel sont abordées les différences de perception de l’homosexualité au niveau international pour sensibiliser les jeunes aussi bien que les bénévoles. Afin de «représenter les familles suisses dans toute leur diversité», AFS place également des adolescents dans des familles mono et homoparentales en Suisse. En outre, en partenariat avec les antennes autrichiennes et allemandes, elle a depuis deux ans mis en place une plateforme Facebook – intitulée Queer Tausch – permettant aux «parents homosexuels, hôtes invités ou enfants, les personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres et les bénévoles actifs» de s’informer et d’interagir sur les questions liées au genre et à la sexualité.

Plus jamais ça?
De l’autre côté de l’Atlantique, AFS Etats-Unis a également fait sa mue vis-à-vis de cette question. Soucieuse de démontrer son attachement aux valeurs «d’équité et d’inclusion», l’organisation a intronisé une charte en 2010 qui condamne explicitement toute forme de discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Dans ce cadre-là, les bénévoles doivent adhérer à un code de conduite correspondant à ces valeurs de respect et d’intégration. En parallèle, des «initiatives relatives à la diversité» sont mises en place afin «d’améliorer la participation des communautés sous-représentées». Parmi celles-ci, AFS a créé du matériel informatif afin de sensibiliser les étudiants et les familles d’accueil «aux attitudes vis-à-vis de l’homosexualité selon le contexte culturel et de fournir des ressources spécifiques dans des pays où les perceptions de l’homosexualité et du genre tendent à être différentes qu’aux Etats-Unis».

L’ensemble de ces projets est bien évidemment à saluer et démontre une vraie prise de conscience quant à l’importance de ces questions au moment de l’adolescence. Mais il reste difficile de déterminer si l’organisation a humainement les moyens de mieux superviser ses bénévoles afin d’éviter que des groupes ne la dévoient localement. Comme le souligne Stephan Winiker, «il est plus facile d’avoir une vue d’ensemble en Suisse qu’aux Etats-Unis compte tenu de la petite taille du pays». D’où l’importance pour les étudiants d’échange d’entreprendre les démarches nécessaires bien que difficiles lorsqu’ils sont confrontés au rejet et à la discrimination.