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La discrète richesse des archives suisses

La discrète richesse des archives suisses

L’archivage des documents relatifs aux homosexualités s’impose comme un enjeu primordial pour un mouvement pluriel, parvenu à un tournant de son histoire. Peu connues du public, les démarches volontaristes et patientes de la Schwulenarchiv suisse et de Michel Chomarat à Lyon font figure d’initiatives exemplaires.

Ces clichés de folles soirées, ces éphémères statuts associatifs, ces carnets de notes manuscrites, ces magazines, ces tracts… tous ces documents témoignent de grandes luttes pour la singularité, pour la reconnaissance et pour l’égalité. De ces tonnes de papier, kilomètres de bande magnétique et de négatifs, rien n’est futile pour les nouveaux historiens qui s’intéressent à l’histoire des communautés sociales. A ce titre, les gais et les lesbiennes, comme les communautés émigrées, ouvrières ou religieuses, sont depuis quelques années le sujet d’une nouvelle manière d’écrire l’histoire et d’éclairer ainsi notre propre époque.
En Suisse, une Schwulenarchiv («archive gaie») est hébergée au sein des Archives sociales suisses, une fondation publique installée à Zurich. Pour Franco Battel, président de la Schwulenarchiv, ce choix donne à la collection tout son sens: «Nous avons eu la chance de trouver dans les Archives sociales une institution totalement appropriée. Celle-ci offre une mise en contexte du mouvement homo avec d’autres mouvances, du Monte Veritá (ndlr. une utopie naturiste du début du siècle dernier) aux mouvements des femmes. De leur côté, les Archives sociales ont tout de suite reconnu le mouvement homo comme partie intégrante de l’histoire de la société suisse.»
Dès 1992, la Schwulenarchiv s’est bâtie à partir de collections appartenant aux membres du Kreis (le «Cercle»), une organisation pionnière née dans les années 30. «Au niveau international, c’est quelque chose d’unique, commente Franco Battel. Dans d’autres pays germanophones, beaucoup de témoignages de cette époque ont été détruits. Nous avions peur que de tels documents se perdent à leur tour. Il suffit que quelqu’un meure, et que ses héritiers considèrent qu’il s’agit d’objets sans valeur.» Ainsi trouve-t-on dans les cartons de la Schwulenarchiv les procès-verbaux du groupe «Amicitia», fondé en 1930. «C’est l’un des plus vieux documents faisant état d’une initiative lesbienne-gaie», explique Franco Battel. Cette pièce quasi unique en Europe côtoie d’autres témoignages, beaucoup plus personnels: correspondances, journaux intimes et des photographies des plus insolites.

Encourager la recherche
Disposant d’un budget symbolique, la Schwulenarchiv ne collecte que les documents transmis volontairement par des particuliers et des groupes, d’où son caractère plutôt masculin et alémanique jusqu’à présent. «Il n’a jamais été notre but de concentrer les fonds d’archives de tout le pays, précise Franco Battel. Nous n’avons donc nulle intention de forcer les gens à nous céder leurs documents! En revanche, nous sommes ouverts à toutes les propositions et intervenons lorsque l’on nous signale des difficultés à préserver des documents».
Désormais, le principal défi du comité Schwulenarchiv est la mise sur pied d’une fondation destinée à encourager et soutenir la recherche sur la mémoire gaie et lesbienne, dans le but de «faire vivre» ces archives.
Dans ce domaine, la Ville de Lyon a acquis une petite longueur d’avance en soutenant la tenue annuelle d’assises des publications et expositions sur la mémoire gaie et lesbienne. Cette initiative, on la doit principalement à Michel Chomarat, un passionné qui, depuis des années, a accumulé «avec sa bite et son couteau» d’innombrables livres, journaux, films ou tracts. Pour lui, un tel projet de mémoire ne peut être porté que dans le cadre d’une institution publique, «sinon il resterait trop lié à des questions de personnes ou d’associations. Surtout, je suis un républicain convaincu, ajoute-t-il. A ce titre, je pense que c’est à la République et ses institutions de faire le travail.»
Depuis 1992, une convention signée avec la Ville de Lyon lui permet d’intégrer ces documents à la bibliothèque municipale sous la forme d’un fonds portant son nom. La coopération étroite avec les pouvoirs publics ne veut pas dire que le fonds est arrosé de subventions. Il n’y a d’ailleurs pas d’argent public pour acquérir de nouvelles pièces ou cataloguer la collection.

Fiasco parisien
La modestie des moyens mis en œuvre dans les projets alémanique et lyonnais contraste avec le budget généreux octroyé au Centre d’Archives et de Documentation Homosexuelle de Paris (CADHP). Or, deux ans après avoir reçu 100 000 euros de la Mairie, les locaux du CADHP restent désespérément vides; c’est à se demander si le centre ouvrira jamais ses portes. Alors que circulent des accusations d’amateurisme et de gestion opaque des subventions municipales, l’écrivain Alain Le Bitoux, aux commandes du projet depuis ses débuts, vient d’être licencié.
En mars 2003, 360° s’était fait l’écho d’âpres disputes entre le CADHP et un collectif lesbien, transgenre et queer réuni pour l’occasion autour de la sociologue Marie-Hélène Bourcier (voir encadré). Pour elle, le projet de centre ne visait rien de moins qu’établir un monopole masculin sur l’histoire homosexuelle. Elle dénonçait en outre une conception réductrice du travail d’archivage, proposant plutôt de «penser à une archive vive qui illustre les modes de vie. Pourquoi ne pas stocker les godes?»(Têtu, octobre 2004). Michel Chomarat ne partage pas cet avis: «Et des cockrings aussi? Ce n’est pas sérieux, une archive n’est pas un musée.» Pour lui, le fiasco du CADHP souligne le caractère improbable d’une institution indépendante consacrée à la mémoire homo.
En attendant, Michel Chomarat s’inquiète de voir les jeunes gais et lesbiennes adopter une attitude de consommateurs et se désintéresser de l’histoire du mouvement. Tout à l’inverse, le projet de ce vétéran de la cause homosexuelle s’inscrit dans la conviction que les gais et lesbiennes «sont toujours une minorité en sursis, car l’histoire n’est pas linéaire.»

Suisse romande: l’éparpillement
La Suisse romande n’est ni Paris, ni Zurich, mais disposait de mouvements homos dès les années 70, et de bars et lieux de rencontre plus anciens encore. Mais qui pourrait encore décrire ces soirées à l’Embassy dans les années 50; quelles traces le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire a-t-il laissées en terres romandes; où sont les films et photos de la manif homo organisée par le Groupe Homosexuel Lausannois (GHL) dans la capitale vaudoise en 1981? Et même bien peu de documents racontent l’aventure de la «Boîte à Brigitte» dans la Genève du milieu des années 90.
Pour l’article qu’il a consacré à la Suisse dans le Dictionnaire des Cultures Gay et Lesbienne (éditions Larousse), Stéphane Riethauser explique s’être appuyé sur «un patchwork de sources. Souvent, ajoute-t-il, j’ai même trouvé des informations sur l’homosexualité en Suisse dans des revues américaines.» De fait, l’éparpillement des documents relatifs aux lesbiennes et gais romands n’encourage pas la connaissance du mouvement. «Ce passé est encore très récent, poursuit Riethauser, si bien que l’on n’a pas encore ressenti l’urgence de préserver les documents et de recueillir les témoignages.»