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Bruce LaBruce: survivor du hardcore story

Explicites et parfois lyriques, les films de Bruce LaBruce sont issus du «Cinéma de la Transgression» dont les parents sont Richard Kern, Nick Zedd, Lydia Lunch... Explorant les tabous, les pulsions et les obsessions dans le New-York Undergound des années 80, ils ont foulé la route d’un «No Future» sur le retour: Punckadelism, Pop Art et Beatnick ta Reum. Rencontre avec le maître.

Tourné en 1986, Fingered est considéré comme l’œuvre majeure de Richard Kern. Mauvais goût, violence gratuite, sadomasochisme sont portés à leur paroxysme pour raconter l’envers des films X. A propos de Fingered, John Waters dira: «C’est le dernier film culte où les détraqués peuvent se reconnaître. Le meilleur film artistico-porno-puncko-plouc au monde! Je le montre à mes invités très tard, la nuit…» L’inceste est au cœur du travail de Lydia Lunch: livres, pièces de théâtre, scénarios (dont Psycho Menstrum avec Debbie Harry), comix (AS-FIX-E-8 avec Nick Cave et le dessinateur Mike Matthews) ainsi que divers disques.

Canadien d’origine, Bruce LaBruce est lui aussi prolifique. Dans les années 80, il crée avec G.B. Jones, un fanzine «Manifeste Homocore» dédié à la culture punk: J.D.s. Tourne en 1991 son premier film, No Skin Off My Ass, dans lequel il interprète le rôle d’un garçon coiffeur amouraché d’un skinhead. En 1994, Super 8 est plus autobiographique: il raconte l’histoire d’un réalisateur de films X (Bruce LaBruce par lui-même) aux prises avec Googie (Liza LaMonica), une cinéaste lesbienne qui lui propose de tourner un document sur sa vie de pornographe. Richard Kern est lui aussi de la partie jouant son propre rôle de «porn-star» hétéro et déjanté. Sus aux clichés et autodérision sont les leitmotivs de ces films, loin des critères hollywoodiens. Barbant donc pour un public formaté aux rythmes binaires des grosses productions. Point de non retour nébuleux si ce n’est dans la réalité des faits. Le film est à l’intérieur du film, offrant une vision proche de celle de l’adolescent d’American Beauty qui filme sa voisine d’en face par sa fenêtre. Les personnages sont tour à tour voyeurs ou s’exhibent les uns aux autres, préfigurant dix ans avant ce que sont à présent webcams et autres Loft Stories. Pas de climax apparent non plus, l’orgasme se situe là où le spectateur le décide, selon le degré de fétichisme de chacun. Il y en a d’ailleurs pour tous les goûts: tatouage, piercing et rasage en direct, scènes de domination et soumission en tous genres… Le tout est mis en scène de manière suffisamment drôle, onirique et esthétisante pour que LaBruce se démarque, se qualifiant lui-même de «Queercore».

En 1996, LaBruce réalise Hustler White, morceau d’anthologie du genre avec l’apparition remarquée de Tony Ward (notamment partenaire de Madonna dans le clip Justify My Love). Skin Flick, sorti en 1999 dans une version soft et une porno est le dernier en date. Celui qui se dit «Reluctant Pornographer» (Pornographe Réticent) s’était exprimé en 1997, dans le cadre des Gais Savoirs au centre Beaubourg. Ses propos ont suscité quelques unes de nos interrogations:

Vous avez déclaré: «J’apprécie la description d’homosexuels comme pervers, voleurs, fouteurs de merde, esprits supérieurs, serviteurs du mal, psychopathes, maniaques homicides…» Est-ce là une projection des fantasmes que vous voulez faire passer dans vos films ou la description d’une espèce en voie de disparition dont vous seriez le défenseur ?
La grande tragédie du mouvement gay des vingt dernières années, c’est que l’on s’est orienté vers l’assimilation ce qui entraîne le désaveu de ses éléments les plus extrêmes et les plus stimulants. Pour faire en sorte que l’homosexualité soit acceptée et reconnue par les intellectuels au sens large du terme, le mouvement gay a pris ses distances par rapport à des groupes qui refusent de mettre un bémol à leur attitude non conventionnelle. L’homosexualité n’a été, au fil des âges, que l’expression de la différence. Une occasion pour certains de sortir des limites imposées par les codes culturels et les contraintes qui donnent une vision du monde à sens unique. Dans certaines cultures primitives, les homosexuels étaient considérés comme des hommes-médecine, des prophètes, des prêtres… Dans les mondes de Wilde ou de Genet, homosexualité et criminalité étaient synonymes car elles proposaient un même amour du sexe que la société bien-pensante ne pouvait minimiser ou expurger, et qui par là même devaient être punies. A travers mon œuvre, je pense perpétuer cette tradition. Pour moi, l’homosexuel est un criminel.

Vous comparez l’activisme gay au mouvement féministe et expliquez qu’il vous a fallu du temps pour vous détacher de tout dogmatisme. Pensez-vous que le militantisme soit l’ennemi des gays?
Le militantisme n’est pas l’ennemi du mouvement gay. En revanche, l’intransigeance idéologique et la politique doctrinaire le sont. Une pression certaine du politiquement correct n’a fait que porter préjudice aux mouvements féministe et gay dans les années 80, en réduisant leurs objectifs à des platitudes et à des slogans faciles. Les gays n’ont plus élevé la voix que pour vanter le consumérisme de mode. Quant aux féministes anti-porno, elles ont lancé une campagne vantant non seulement la haine des hommes, ce qui d’ailleurs amena ceux-ci à détester le féminisme, mais également la négation du sexe et du corps, s’éloignant par là même de leur propre corps. Cette forme de «militantisme» n’est en réalité qu’une réaction brutale au courant de libre expression et de libération personnelle qui caractérisait les objectifs de ces mouvements originellement révolutionnaires. Les oppressés devinrent rapidement des oppresseurs, essayant d’amener chaque individu à se conformer à leur position étriquée et réactionnaire. On peut être militant sans être dogmatique. La meilleure stratégie est à mes yeux celle de Genêt, qui est toujours allé droit à la source de l’action révolutionnaire mais l’a abandonnée dès qu’elle montrait des signes d’assimilation et d’institutionnalisation.

Que pensez-vous de la récente vague de films «hardcores» en France, tels que Romance X ou Baise-Moi…?
J’ai vu Romance de Catherine Breillat. Je pense que les femmes vont plus loin et prennent plus de risques que les artistes gays actuellement. Il semble que c’est de là que vient une véritable énergie subversive. J’aime la façon dont les Français traitent du sexe et de la pornographie, d’une manière à la fois très adulte et irrévérencieuse. Les Français ont toujours été très philosophes envers la sexualité, c’est ce qui manque dans les produits américains.

Vous avez également dit que votre «gay attitude» serait de moins en moins prégnante dans vos films à venir. Avez-vous des projets destinés à un public plus large ?
Je ne cherche pas à occulter cela consciemment, mais si vous analysez mes films avec attention, ils comportent tous des personnages hétérosexuels. Et, même si mes films jusqu’à présent montrent du sexe entre homos, ils ont tous trouvé un public plus large que celui des gays. En mai dernier, j’ai eu une rétrospective au Festival International du Film Indépendant de Buenos Aires. Les projections se sont jouées à guichet fermé devant un public très éclectique : hommes, femmes, jeunes, vieux, homos et hétéros. Je pense que mes films abordent des thèmes universels comme le désir, l’amour et les tabous… Pour mes projets futurs, j’ai deux scripts que j’essaie de faire produire et un film en voie de distribution mais il semble que les gens aiment mes films après leur sortie. Rares sont ceux qui veulent prendre le risque de les financer à l’avance…

Ride Queer Ride! est un carnet de bord publié aux éditions Smart Art Press, 1997. The Reluctant Pornographer, autobiographie de Bruce Labruce, Art Pub Editions, 1997. Commandes possibles sur le site brucelabruce.com