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Beurs, bears, punks: ces minorités qui dérangent

De plus en plus intégrée, embourgeoisée et branchée, la communauté gay et lesbienne occulte aujourd’hui ses propres subcultures. Mais ces minorités, de plus en plus nombreuses, s’affirment, s’organisent et exigent que l’on compte avec elles. Analyse de cette évolution en France.

Qu’entend-on par «gay», «lesbien», de quelles identités parle-t-on? Autrement dit, qu’en est-il de toutes les subcultures, celles des bears, des Beurs gays, des gouines punks et des homoparents, pour ne citer qu’eux? Comment tous ces foyers s’envisagent-ils au sein d’un groupe dont la culture populaire est essentiellement entretenue en France par Têtu et Lesbia Mag? Et, si l’on creuse encore plus, comment existent les microcultures telles que les drag-kings ou les fems chez les gouines, les transexuels F to M gays et les M to F lesbiennes chez les trans, les parents trans chez les homoparents, les transgenres, les homos handis, les cross-gender, les polyamoureux, les SM… Un monde a priori «queer», mais le mot malheureusement se voit récupéré à tout propos et par n’importe quel groupe, car il est très tendance, dans le milieu parisien surtout.

A l’origine on retrouve le même schéma, celui qui pousse une minorité à s’organiser et devenir une force politique. Elle a ses figures mythiques, ses spécialités langagières, sa presse particulière, on théorise sur ses comportements, elle génère des artistes, enrichit ses archives. Peu à peu légitimée, elle fait son coming out à l’extérieur, jusque dans les sphères du pouvoir. Mais à l’intérieur, elle établit progressivement ses propres normes. En figeant ainsi des modes de vie, elle place en marge tous/tes ceux/elles qui ne se reconnaissent pas dans une culture qui devient «de masse».

Ainsi la communauté lesbienne française a fait sa place aux côtés des gays en occultant ses propres subcultures. Il y a pourtant une palette de styles parmi les lesbiennes, des sexualités différentes, des modes de vie, des sensibilités qui font que toutes ne peuvent pas s’identifier aux stéréotypes présentés par les organes de presse internes à la communauté, aux films proposés dans ses festivals ou à la littérature que recense le marché. Même si une évolution se dessine ces années dernières: les écrits et les interventions de Marie-Hélène Bourcier et de Beatriz Preciado, le recueil Attirances, qui offre à lire une riche variété de paroles de lesbiennes, mais aussi des ouvrages traitant des butches et des fems (traduits de l’anglo-saxon en général). Et si aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne le mouvement drag-king commence à intéresser une certaine scène (voir le film Venusboyz), il est inexistant ici, malgré les désirs de certain/es de vivre leur transgendérisme autrement que dans leur tête, en en faisant un outil de subversion.

Les transexuel/les se sont pareillement regroupés en associations et ont progressivement acquis une légitimité au sein de la communauté homo. Mais il est paradoxalement difficile pour une personne ayant choisi de changer de sexe de revendiquer son homosexualité, tant auprès des gays et des lesbiennes, que des trans eux-mêmes. Etre né biologiquement homme et vivre ensuite une sexualité lesbienne échappe à la rigueur des normes de réflexion auxquels nombres d’homos et de trans restent scotchés. Cela dépasse un certain cadre, celui qui délimite les pratiques, fige les genres, empêche souvent toutes les combinaisons possibles de mixité.

Les normes des autres
Si l’on en doutait, on l’a vu récemment via son vote, la France n’est pas un modèle de tolérance. La culture de l’autre ne doit pas venir perturber un paysage hétérocentré et soutenu par un esprit conservateur – et consommateur. On prône l’intégration, en d’autres termes, on exige l’assimilation. Tant que la visibilité reste politiquement correcte, qu’elle s’insère dans le schéma social habituel, on tolère la différence. Or, renoncer à ce que l’on est profondément pour coller aux normes des autres n’est pas l’option que tout le monde veut prendre. Le problème, c’est que l’on retrouve ce conservatisme dans la communauté homo française, et notamment dans le Marais.

Ainsi l’exemple des Bears: comment un mec gros et poilu peut-il s’épanouir dans un groupe qui prône le ventre plat et l’épilation intégrale? Né aux USA, il était temps que le mouvement Bears débarque chez nous pour ébranler une image du gay jeune, beau, blanc et assez riche pour assumer tout cela. Ce sont les gays eux-mêmes qui ont fabriqué cette normativité dans leur culture, la brandissant dans leur presse, en faisant un fond de commerce. Le Bear se pose alors en réaction à cette image, cassant la norme en proposant une alternative. Oui on peut être gay et ours. On peut revendiquer un érotisme autour d’un corps différent. Pour cela, les Bears se sont regroupés en associations. Ils ont ouverts leurs propres lieux de rencontres, leurs bars, leurs backrooms, ils ont créés leurs sites. Comme l’explique Javier Saez (1), bear queer espagnol: «La culture bear est sans conteste une déclinaison queer de la masculinité. Ce qui veut dire une conscience du caractère joué, non naturel, de la masculinité en général». Mais là où le bât blesse, c’est lorsque «être Bear» devient un moyen de ne pas se faire identifier comme «tapette», de paraître «normal»…

Le corps et le sexe, grandes préoccupations de notre temps, mettent également de côté ceux et celles dont les fonctions physiques ne sont pas celles des «valides»: les handicapés moteurs. Ici on touche les domaines de la performance sexuelle, de la non-conformité physique. Sexe et handicap sont deux notions que nos sociétés ont bien du mal à associer.

Or, désir et plaisir sexuels ne sont pas l’apanage des valides. Autre mouvement donc que celui des homos handis qui commencent à s’exprimer. Yves Berger, fondateur de www.handigay.com, est très amer lorsqu’il s’agit de parler de la communauté homo: «J’ai été très mal accueilli. Je ne correspondais pas à l’image prôné par les gays. J’ai créé ce site pour que ce milieu faux et hypocrite réfléchisse». Pire: les handis homos sont mal perçus également au sein des nombreuses associations de handicapés. Comme les Bears, les handis rejetés par leur groupe d’appartenance sexuelle se rassemblent en association, s’affichent sur le Net. Mais là encore, si on s’aventure sur le site, on ne peut que se lamenter sur l’absence de discours autour de la sexualité. Si les handis eux-mêmes continuent à taire leur sexualité au sein de leur groupe, comment à l’extérieur feront-ils entendre qu’ils en ont une?

Dans une interview au Nouvel Observateur publiée cet hiver, Fouad Zeraoui, fondateur de Kelma, l’asso des Beurs gays, déclarait: «Les homosexuels sont à l’image de la société. Ils étaient révolutionnaires il y a trente ans, ils sont rentrés dans le rang, comme les bobos hétéros. Mais je constate qu’il n’existe pas de passerelles entre une partie des Beurs ou Blacks gays venus de la banlieue et le Marais.». Etre maghrébin et homo condamne à une triple exclusion: Arabe en France, homo, et homo dans la communauté gay. Il est évident que la visibilité du Marais ne sert qu’une identité, celle des homos mecs, blancs, riches, jeunes et branchés. Le Beur de banlieue, le trans pédé et la lesbienne trash ne s’y reconnaîtront pas. C’est là que le positionnement queer intervient. Seulement voilà, en France, on est tellement attaché à une politique intégrationniste qu’il est difficile de réunir les énergies pour qu’un réel mouvement de contre-culture s’organise comme il s’est fait aux Etats-Unis.

Identités et «queeritude»
Au Centre Gay et Lesbien de Paris, on recense plus de 200 associations. Si la plupart se concentre autour des activités de loisirs, il est intéressant de constater comment on se regroupe aussi de manière identitaire. Autour de la culture d’immigration, de la religion, du handicap, de la classe socio-professionnelle, de l’apparence physique, des pratiques sexuelles. Ces positionnements pour le moins politiques sont a priori nécessaires. Mais comment se comportent-ils en tant que tels?

On l’a compris, la démarche identitaire démarre en réaction contre les normativités. Mais au-delà du phénomène de rejet qui génère la ré-action existent l’action, la création, la réflexion. Les événements et performances internes à chaque micro-culture permettent de réunir les discours de personnes qui jusque-là ne s’exprimaient pas. Des discours sur nos sexualités, nos érotismes, nos genres, les questionnements qui s’y rapportent, nos positionnements à l’intérieur de la communauté élargie. Ils offrent l’opportunité de déconstruire sans cesse les normes, en d’autres termes d’adopter une position queer dans le sens «qui n’est pas à l’image de ce qu’on s’attend à voir».

«Toutes ces subcultures renferment en elles soit une affirmation identitaire (susceptible de générer en soi la tentation identitaire hégémonique), soit un positionnement queer – un peu paradoxal en ce qu’il est à la fois foncièrement identitaire et post-identitaire, cette balance étant la parade aux figements identitaires», explique Marie-Hélène Bourcier (2). D’après Beatriz Preciado (3): «Les micro-groupes queers peuvent être simultanément qualifiés d’hyper-identitaires et de post-identitaires. Ils sont hyper-identitaires dès lors qu’ils font une utilisation maximale des ressources politiques de la production performative des identités déviantes. La force politique de mouvements comme Act-Up ou Lesbian Avengers vient de la volonté qu’ils ont d’investir ce qui apparaîtrait comme «mauvais sujet» (les séropos, les butches, les folles…) pour en faire des foyers de résistance contre l’homogénisation, la norme straight, blanche et coloniale.». Le danger serait de pratiquer l’exclusion sous le prétexte de définir et figer les contours d’une identité et la porter comme seule véritable. Comme le souligne Beatriz Preciado: «Dans le discours du lesbianisme radical français, la figure “transexuelle” cristallise toutes les anxiétés générées par la nécessité de dessiner les limites d’une “vraie” identité lesbienne [de référence]». Dans les faits, La Barbare, groupe lesbien radical aux portes de Paris, a publiquement déclaré que l’accès à son lieu était exclusivement réservé aux «femmes biologiquement nées femmes», c’est à dire interdit aux transexuelles, même lesbiennes. Paradoxa-lement, ce même groupe accueille volontiers les hétérosexuelles (non-trans). Les théories et le mouvement queer offrent donc une alternative à toutes les groupes d’identités de devenir des forces politiques contre les normativités qu’établit la communauté «dominante». Auparavant la domination était exclusivement tenue par le ghetto hétéro, aujourd’hui elle est de facto exercée par la communauté gay et lesbienne elle-même. «Malheureusement à Paris on a affaire à 99% de queer chic [qui ne font rien] et se font racheter par les heteros-bobos», s’énerve Marie-Hélène Bourcier. Or, qui, mieux que les concernés eux-mêmes peut comprendre les identités pd, gouines, trans, handiqueers…? «Les tapettes, les folles, les gouines, les trans pédés; autre chose que des homosexuels et à fortiori des hétérosexuels… qui ne se sont jamais rendu compte qu’ils défendent une identité hétéro qui a finalement placé les autres identités sexuelles comme dépravées.» Ça, c’est anti-queer..

Alors, quand pourrons-nous réellement parler en France d’une communauté queer dans le sens «polymorphe et non-hétéronormée»?

(1) Javier Saez est sociologue. A paraître en 2003: Psychanalyse et théories queer, Madrid, Synthesis.
(2) Beatriz Preciado est philosophe. A lire: Le Manifeste contra-sexuel, Paris, Balland, 2000; à paraître début 2003: La taille du fétichisme, architecture et femmes géantes, Presses universitaires de l’Université de Princeton.
(3) Marie-Hélène Bourcier est sociologue. A lire: Q comme Queer, Lille, Gay Kitsch Camp, 1998; Queer zones, politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs, Paris, Balland, 2001; à paraître prochainement: Pop porn, un regard queer sur la pornographie.