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Fem cherche Fem

Ecrire une petite annonce pour rencontrer l’âme sœur ou se concocter un plan d’une nuit n’est pas un geste anodin. Quels codes de langage les lesbiennes utilisent-elles dans leurs P.A.? L’analyse du discours révèle le plus souvent l’évacuation du sexe au profit de l’amour romantique et la recherche d’un idéal tout ce qu’il y a de plus normé.

La petite annonce qu’on passe dans le journal pour faire des rencontres reste un vecteur que n’a pas détrôné l’Internet. Même si la toile permet une expression plus libre, écrire une P.A. relève d’une démarche à laquelle on pourrait associer les termes de «sérieux» et «réfléchi», là où le Net ne garantit que la virtualité. En France, les annonces de rencontre des lesbiennes passent essentiellement par Lesbia Mag et Têtu. Cela demande alors de rédiger selon les codes du magazine dans lequel on choisit de s’exprimer. Selon notre pointage portant sur 200 annonces de femmes, les plus jeunes opteront pour Têtu (6 annonces sur 85 de femmes de plus de cinquante ans), les moins jeunes privilégieront Lesbia (une seule annonce sur 104 écrite par une fille de moins de trente ans).

«Fidèle et sensible»
Le vocabulaire de la P.A. est forcément conditionné par l’espace, mais aussi par une tacite codification. On remarque en effet qu’une série de mots revient comme une litanie. Que ce soit dans les descriptions qu’elles font d’elles-mêmes ou dans l’idéal qu’elles recherchent, les femmes excellent dans l’utilisation du champ lexical de la sensibilité et de l’amour straight: «douce», «sensuelle», «tendre», «sensible», «naturelle», «saine» sont des adjectifs dont on abuse autant que «amour sincère», «fidélité», «relation stable/durable», «câlins», «équilibrée» et… «féminine». Certaines vont jusqu’à avouer chercher leur «moitié». On ne se lâche pas, on reste classique, parfois avec un peu de poésie, voire de lyrisme. Rares sont les femmes qui osent un brin d’humour. Quant aux annonces de rencontres purement sexuelles, s’il y en a de temps en temps, ce n’est jamais plus d’une par mois. A croire que les lesbiennes sont victimes (ou l’entretiennent?) du cliché de l’anti-sexualité qui les poursuit jusque dans leurs propres textes. Non, les activités des lesbiennes dans les P.A. s’inscrivent essentiellement dans «le sport, la nature, la lecture, le ciné». Pas dans le plaisir du sexe.

Contrairement à leurs consœurs, les gays privilégient la description physique, mettant en avant leurs mensurations, leur look, précisant souvent leurs pratiques sexuelles préférées et leur sérologie. Le «hors milieu» revient plus souvent que chez les filles, certainement parce que le milieu gay urbain est beaucoup plus développé en province que le milieu lesbien. Ce «hors milieu», on le retrouve chez les jeunes lesbiennes parisiennes essentiellement. Dans les colonnes d’annonces des garçons, il est fréquent de tomber sur des textes à caractère exclusivement sexuel. C’est là toute la différence avec les lesbiennes, différence que l’on retrouve dans la culture des lieux de drague (les saunas et backrooms n’existent qu’au masculin et les filles ne se rencontrent pas dans les parcs), les lieux de sorties (moins nombreux, peu de communication des établissements lesbiens) et dans la façon qu’a chaque communauté de visibiliser sa sexualité.

On sait déjà qu’un certain féminisme radical entrave l’expression de la sexualité multiforme qu’est l’homosexualité féminine, en diabolisant l’utilisation du gode, par exemple. On sait aussi que la communauté lesbienne a encore du mal à se débarrasser des oppressions dont elle a été doublement victime (femme et homosexuelle). Mais à l’ère de l’éclosion provinciale des Gay Prides, on est en droit de se demander si cette discrétion dont font preuve les lesbiennes sur leurs pratiques sexuelles jusque dans les journaux qui leur sont consacrés ne s’apparente pas à un excès de pudeur. Dans «homosexuelle» il y a pourtant bien «sexuelle».

«Alc., fum, bi, andro, masc. s’abstenir»
Si on ne parle pas de sexe dans les P.A., en revanche, on met aisément des barrières, on exclut à qui mieux mieux. En épluchant une centaine d’annonces dans Lesbia et à peine moins dans Têtu, on verra que le «s’abst.» y fleurit sans complexe. On comprendra qu’il vise l’orientation sexuelle (environ 8% demandent aux bis de s’abstenir). On analysera l’exclusion des alcooliques (6%) par les ravages que fait l’alcool dans les situations de solitude, les violences qu’il engendre dans les couples. La vulgarité n’est pas bienvenue, on le conçoit… Idem pour les «névrosées, marginales, agressives, perverses, problème psy» et autres «fumeuses». Cette dernière restriction témoigne certainement du lobby antitabac qui sévit dans nos sociétés. Là où on s’interroge, c’est sur la forte présence du «masculine/butch/camionneuse/andro s’abstenir» très fréquent (15%!) chez les 20/29 ans et chez un tiers des plus de 60 ans. La tranche des 30 à 59 ans n’échappe pas à la pratique, 9% d’entre elles refuse la masculinité.

La question mérite d’être posée: qu’exclut-on exactement dans ce «masc. s’abstenir»? Celles qui stipulent ainsi ne pas vouloir rencontrer de filles masculines se disent elles-mêmes féminines. Elles ont donc une image relativement claire de ce que sont la féminité et la masculinité chez une lesbienne. Or, il y a un panel de styles entre l’extrême féminité et la pure masculinité. Les butches drainent-elles une image exagérément négative qu’on les prévient de ne pas s’aventurer à répondre? Comment se situera une fille ni féminine ni masculine? Nombre d’annonces de femmes se définissant féminines disent rechercher un «même profil». Une autre femme féminine, tendre, sensuelle… etc… Qu’en est-il de l’association butch/fem? Les lesbiennes qui lisent Lesbia ou Têtu sont-elles des fems pour la plupart? La population lesbienne aurait-elle une tendance à se féminiser ou bien les fems ont-elles particulièrement besoin des P.A. pour se rencontrer? (c’est vrai que dans le cliché, la butch drague en boîte ou dans les bars…). Parfois une butch s’exprime en tant que butch, elle aussi voudrait bien d’une fem. Et puis, rarement, «moi andro cherche masc.». On a presque envie de la féliciter pour son courage.

Le Net libérateur et libertin
De nouvelles formes de communication ont émergé avec la démocratisation d’Internet. Son principal atout: la conversation en direct via le chat. Ajoutons à cela les échanges possibles avec le monde entier, la rapidité, le nombre ahurissant de sites de rencontres, la quasi-gratuité de ceux-ci, et surtout, la liberté d’expression que s’octroient les internautes. Plus besoin de calculer le nombre de caractères, de prévoir les abréviations, l’espace est assez large pour se décrire sous toutes les coutures et dessiner le portrait de celle que l’on recherche. On y adjoint la photo qui nous met le plus en valeur et le tour est joué. D’un clic on peut consulter la fiche de n’importe qui. Caro, adepte des rencontres sur le net, ne lit plus les annonces des magazines: «Je suis intimement convaincue que le net induit une autre manière de penser (…) Laisser une annonce sur un site est une démarche facile, très rapide et simple. En quelques coups de clavier… hop, c’est parti et diffusé dans les heures qui suivent. Passer une annonce dans un journal revêt encore, je pense, un caractère plus «sérieux» dans l’esprit de l’annonceur, alors que via le net, nombre de personnes se permettent de se lâcher.» Caro met aussi en avant l’importance de l’anonymat. Il est intéressant aussi de noter qu’au-delà de l’anonymat, on peut s’amuser dans ce monde virtuel à endosser un personnage, voire plusieurs, par le jeu des pseudos, et ainsi assouvir les élans schizophrènes qui nous habitent. Dans ce cas, pas moyen de pousser la communication dans le réel, la rencontre avec l’autre est impossible. Il s’agit alors seulement d’un face à face avec l’écran. Pour Caro, Internet c’est d’abord du réel: «Internet n’est pas du virtuel dans ma vie, il me permet avant tout d’échanger avec des êtres intéressants, différents, riches de mille vies…». Sa première rencontre dans le réel avec une femme rencontrée via le net la conforte dans l’idée: «Cette sensation d’être face à quelqu’un qui ressemblait à la personne avec laquelle j’avais pu discuter pendant des mois m’a donné confiance.» Elle ajoute néanmoins que «le net peut être hyper riche comme renvoyer l’immensité d’une coquille vide». Mais Caro se prend au jeu, surfe avec passion. Et commence à se rendre compte que la plupart des annonces sont «d’une banalité affligeante». Elle classe ainsi les annonceuses: «celles qui cherchent leur “moitié”, l’amour qui rime avec toujours, etc…», «les femmes qui recherchent clairement un plan cul», «les hétéros qui ont envie de se divertir» et «les homos, seules, en rupture, en besoin de séduction». Seule cette dernière catégorie retient son attention: «toujours un peu ambiguës, entre une quête de rencontre et un espoir amoureux, leurs mots sonnent parfois plus profonds que les autres».

Par sa virtualité, Internet permet aussi d’entrer d’abord dans une communication de fond avant de passer à l’épreuve du corps. Là encore, Caro se surprend: «Le net m’a permis d’élargir considérablement mon regard sur les femmes homos». Elle dialogue quelque temps avec une femme dont le physique ne correspond absolument pas à ceux sur lesquels elle fantasme habituellement. «Elle m’a séduite telle qu’elle était de l’intérieur. (…) Si je l’avais rencontrée “en vrai” d’abord, je pense sincèrement que j’aurais projeté sur elle de l’amitié, mais pas de relation physique. Alors que par ce média, j’avais appris à la découvrir et lors de notre première rencontre, j’ai su aussitôt que j’avais envie d’elle. (…) Depuis, j’ai réellement appris à dépasser certains clichés auxquels je suis soumise comme tout un chacun… et j’en suis plus que ravie.»

On l’a vu, les P.A. des magazines gays et lesbiens ne favorisent pas les échanges purement sexuels. Il en va d’une toute autre manière sur le net où l’on hésite pas à proposer des «plans cul», à détailler ce qui nous excite sexuellement parlant, à passer des annonces libertines. Si certains sites (payants) se consacrent uniquement à cela, pas besoin cependant de passer par la carte bleue pour trouver un partenaire sexuel dans sa région ou ailleurs: dès lors que l’on respecte les chartes des sites classiques de rencontres (pas de texte à caractère discriminatoire), on peut s’exprimer librement sur la question. Et à ce jeu, les filles ne sont pas moins bonnes que les garçons.

Rencontres du troisième type
Depuis peu, on voit apparaître dans les magazines comme sur Internet des données nouvelles qui tiennent compte de la diversité des minorités sexuelles et de leurs réalités sociales. Ainsi des rubriques naissent ici et là: sur Gayvox par exemple, on peut cocher la case «queer» ou la case «transexuel/le» pour définir son identité. Dans Têtu, les «rencontres du troisième type» sont réservées à tout ce qui n’est pas unilatéralement gay ou lesbien: mariages de convenance, coparentalité (de plus en plus nombreux), aides aux couples binationaux, couples cherchant un troisième… Des sites se sont spécialisés dans les rencontres de travestis ou de transexuel/les. D’autres, au départ uniquement hétéros, ont ouvert un portail homo (c’est le cas par exemple pour aol.com et spray.fr).

Enfin, notons la présence sur le net de l’incroyable site polyamour3 où toutes les tendances sexuelles et amoureuses du monde se côtoient dans des langues tout aussi diverses. Un bel exemple de tolérance et de désirs de rencontrer… ceux qui justement ne nous ressemblent pas.