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L’insurrection lyrique de Mashrou’ Leila

L’insurrection lyrique de Mashrou’ Leila
Mashrou' Leila. Assis à dr. Hamed Sinno. Photo: Tarek Moukaddem

Le groupe libanais s’affirme comme l’une des voix amplifiées les plus vivifiantes du Moyen-Orient. Avec un cinquième album en pleine gestation, ces quatre insoumis passeront par Montreux ce mercredi.

Leur rock est lyrique, jusqu’à la mélancolie. Une pop indépendante au sens propre, satirique en sous-texte. Réunis à Beyrouth en 2008 à la veille des printemps arabes, ces jeunes esthètes à la tête bien faite – beaux gosses avec ça – dépeignent depuis dix ans les contradictions du Liban contemporain et les aspirations d’une jeunesse éprise de liberté. Mashrou’ Leila infuse poétiquement dans une langue marquée par la confusion des genres, convoquant autant d’érudition, de figures littéraires, de Sappho à Ginsberg, que d’amours interdites. Dans les clubs de la capitale, lieux d’insoumission, le groupe galvanise les foules en pratiquant depuis dix ans les voies de la dissidence… S’attirant régulièrement les foudres des conservateurs, jusqu’à leur censure en Jordanie, et, l’été dernier, plusieurs arrestations dans le public pour «débauche» lors de leur concert au Caire. On a causé fiction, féminisme et orientalisme avec Hamed Sinno, chanteur en lutte.

– Vous bossez sur votre cinquième album en studio actuellement?
– Oui, et c’est la première fois qu’on travaille un album conçu comme une fiction. J’ai l’impression qu’on est attendus sur un terrain où notre musique dépeint de façon assez littérale le Moyen-Orient et les problèmes auxquels on fait face. On est heureux de pouvoir être cette plateforme critique, mais on éprouve actuellement un besoin de concentration sur la musique en soi. C’est pour cela qu’on a façonné cette fois-ci un monde imaginaire, pétri de surréalisme et de science-fiction. Je trouve que c’est une bonne manière d’exprimer certaines idées sous forme d’abstraction. On voulait surtout faire une pause avec le réel et le discours frontal. L’ironie du sort, c’est que même si tu cherches à t’échapper, ton cerveau te ramène au sol. Dans le processus d’écriture, on s’est vite aperçu que l’album finissait toujours par refléter nos angoisses, puisqu’on baigne ici dans une sorte de version hyperbolique du Moyen-Orient et de ses écueils. Il faut croire qu’on n’arrive jamais à se protéger très longtemps…

– La fiction vous permet de jouer davantage sur le terrain de l’utopie?
– L’histoire émerge plutôt d’un monde arabe dystopique. L’année dernière a été éprouvante et extrêmement violente. La majeure partie du travail sur cet album est donc une tentative de retour à une forme d’optimisme, un vrai travail de self-care, de soin à partir du constat de fatigue politique qu’on éprouve. Ça va paraître un peu naïf, mais on voulait approcher les choses depuis un endroit d’amour. C’est d’ailleurs la première fois qu’on écrit une chanson d’amour joyeuse.

– Comment gères-tu toute la pression qui va avec le fait d’incarner, de façon très exposée, une voix contestataire face aux conservatismes, envers celles et ceux qui menacent votre liberté d’expression?
– On ne s’est pas lancés dans cette carrière pour se mettre à l’abri. Cette pression est inévitable. Quand je regarde les commentaires sur les comptes Instagram de superstars libanaises, je vois qu’elles sont tout aussi exposées aux élans de haine. Le monde semble s’écrouler autour de nous ou tomber sur nos têtes, et la seule ressource dans laquelle puiser de la force actuellement se trouve dans nos relations, nos moitiés. S’il n’y a pas un milieu musical très solide ici, mais plutôt tout un tas de petites scènes indépendantes, la communauté queer, elle, est soudée. C’est là que je trouve du soutien, auprès de mes nombreux amis activistes et musiciens. Mais surtout dans un réseau plus intime encore: mon copain, ma mère, sont très présents. Et puis j’ai le groupe, nous traversons tout ça ensemble. Les amitiés aident à faire face au monde et en ce sens elles finissent par devenir politiques.

– Est-ce que dans un tel contexte répressif, vous vous sentez une forme de responsabilité par rapport au public?
– Mon sens des responsabilités se situe d’abord et avant tout envers moi-même. Et envers mon groupe. Quand ce foutu gouvernement égyptien décide d’arrêter des gens à nos concerts, ce n’est pas notre responsabilité. C’est celle d’un gouvernement homophobe. Ceci dit, je vais être très honnête: j’ai mis un an à comprendre ça. Quand les arrestations à notre concert du Caire ont eu lieu, j’étais profondément traumatisé. Il n’y a pas eu de temps pour digérer émotionnellement, parce qu’on était sur-occupés. Ça a rendu l’écriture et l’envie de faire de la musique quasi impossibles. Je commence tout juste à comprendre et à accepter aujourd’hui que tout ce qui est arrivé n’est pas de ma faute. Quand on y pense, Mashrou’ Leila ne fait pas grand-chose, à part grimper sur scène pour partager sa musique. Et des gens sont arrêtés. C’est irrationnel.

– Dans votre vidéo la plus récente, «Roman», la question de l’autonomisation (empowerment) des femmes semble très explicite…
– Je crois qu’il est impossible d’imaginer un quelconque changement positif dans ce monde sans aborder personnellement et frontalement la question du féminisme et du patriarcat. En tant qu’homme, qu’homme queer précisément, je crois que je suis affecté un peu différemment par l’hétéro-patriarcat que beaucoup de femmes. Mais le problème reste le même. Et il y a bien assez de femmes autrement plus qualifiées pour en parler que ne l’est un groupe composé de cinq mecs. Ce n’est pas notre place. Fondamentalement, je crois que le monde a d’abord vraiment besoin que moins d’hommes disent aux femmes ce qu’elles devraient faire. Peu importe d’ailleurs qu’ils le fassent avec de bonnes intentions ou pas.

La vidéo de Roman était une opportunité pour que sa réalisatrice, Jessy Moussalem, puisse en quelque sorte nous utiliser comme un levier pour faire ce qu’elle voulait. Ce n’est pas une chanson sur la question féminine au départ. Mais c’est puissant que la chanson soit ainsi détournée pour exprimer autre chose, à travers nous. On apparaît à peine, et cela finit par produire un autre message incitant les hommes à se la coincer et à comprendre qu’il est parfois bon de rester sur la banquette arrière.

– Votre travail semble déconstruire aussi une forme d’orientalisme, en tout cas une vision très monolithique du monde arabo-musulman sous le regard occidental…
– Je crois qu’on aborde cette question de la même manière que toutes les autres questions. En tentant d’être aussi honnêtes que possible dans la manière de se représenter, sans essayer de parler à la place des autres. Or j’ai vu passer tellement d’articles occidentaux qui, concernant notre groupe, rendaient sensationnel le fait que des gens, chez nous, puissent parler de droits queer, de féminisme, de socialisme. Comme si nous étions un phénomène à part, alors que ce n’est pas le cas. Ce qu’on fait, le monde arabe le fait depuis très longtemps, que nous réussissions ou non dans cette tâche, d’ailleurs. Nos prises de positions politiques ne sortent pas de nulle part. Alors quand des papiers nous font passer pour un groupe de musique aussi singulier, ils suggèrent implicitement que tout le reste du Moyen-Orient et le monde arabe débarquent. Ce qui est totalement faux. Sinon comment expliquer que les régimes répressifs jettent autant de gens en prison? Franchement, envisager le monde arabe de cette façon, c’est une autre forme d’orientalisme. La seule chose que nous pouvons faire à notre niveau, c’est nous pointer en tant que musiciens, faire ce qu’on a à faire. C’est parfois suffisant pour montrer aux gens qu’ils se trompent dans la lecture de nos réalités. Mais si d’un autre côté, les gens ne veulent pas faire cet effort, on ne pourra pas changer grand-chose.

» Mashrou’ Leila en concert mercredi 4 juillet au Montreux Jazz Lab, avec L’Impératrice et Portugal. The Man.