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L’abécédaire des nos identités multiples

L’abécédaire des nos identités multiples

Publiée en 2016, «L’Encyclopédie critique du genre» se picore ou se dévore. Extrêmement varié dans ses approches, rigoureux dans sa forme et stimulant par son contenu, ce livre est un outil qui dépasse de loin son sujet.

Septembre, rentrée des classes: c’est la saison des dictionnaires, des bonnes résolutions scolaires et de la digestion des vertiges de l’été. Grisés par la caresse tiède du soleil d’août, alanguis par l’ennui, les vacances estivales sont parfois l’occasion de sortir de sa zone de confort. On aurait tort de s’en priver. Mais pour viser la liberté, encore faut-il comprendre les mécanismes qui la bride. Entre autres qualités, «L’Encyclopédie critique du genre» rappelle que nous sommes encore, à bien des égards, le fruit de productions sociales et d’une histoire des mœurs qui penche rarement pour l’épanouissement des identités non-dominantes, à savoir hétérosexuelles, blanches, jeunes, bien-portantes et masculines.

JEUX DE RÔLE
Combien sommes-nous, par exemple, à nous maquiller le matin sans véritablement saisir la portée de ce geste? Dans l’article «Beauté», Rossella Ghigi, chercheuse à l’Université de Bologne, nous rappelle combien les soins d’embellissement sont, dans l’histoire des sociétés occidentales, l’objet de manipulation et de jugements contradictoires. À la Renaissance déjà, les femmes étaient tenues, contrairement aux hommes, de s’entretenir pour maintenir leur rang. Depuis, l’apparence extérieure est très souvent considérée comme le reflet d’une intériorité: entretenue ou négligée. Pour les féministes, ce moyen d’assujettissement est souvent défendu par les femmes elles-mêmes, endoctrinées dès l’enfance à miser sur un capital esthétique (et périssable, puisque lié à la jeunesse), à la différence des hommes, dont la virilité n’est pas tributaire de l’âge. Et de conclure par la démonstration d’une double injonction contradictoire qui se vérifie tous les jours: les femmes «ne doivent pas lancer de messages trop explicites de disponibilité sexuelle, mais également ne pas être totalement désexualisées, dans la mesure où la sexualisation du corps fait partie de la définition dominante de la féminité.»

Si l’on sait bien que les Objets participent à notre construction identitaire – la preuve par les nombreux contre-catalogues distribués devant les grandes surfaces à l’approche de Noël pour changer la distribution sexiste des genres dans l’imaginaire des enfants – on espérait qu’Internet serait l’eldorado des nouvelles formes de sociabilité, et par là-même un espace favorable aux reconfigurations identitaires, voire même dédié à repenser et refaire la construction du genre.

«L’identité est envisagée comme une construction performative ouverte au changement» Judith Butler

Que nenni! Sur Internet, les jeux de rôles existent. Mais loin d’une subversion, ils consistent au contraire à «l’exacerbation des frontières symboliques entre les sexes» et les rapports sociaux de race. L’article termine néanmoins sur un point positif en citant Alain Léobon selon qui Internet participe «à consolider l’identité de groupes parfois invisibilisés dans l’espace traditionnel lesbien, gai, bisexuel et transgenre», tels que les cultures bareback ou le sadomasochisme lesbien. Un lieu qui donne non seulement à voir mais également à vivre pour ces communautés marginalisées.

Publiée sous la direction de Juliette Rennes, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du genre, cette bible est un must-read. A la fois exigeant mais accessible, l’ouvrage dresse l’état des lieux de la recherche sur une notion qui relève d’un panel de sujets bien plus large que ce que les relais traditionnels nous laissent à penser. Souvent compris comme l’ensemble des pratiques sociales déterminant et codifiant les rapports hommes-femmes, le genre s’immisce en réalité dans tous les domaines: de la manifestation des affects aux cyborgs de Donna Haraway, de l’occupation de l’espace urbain aux principes de la filiation, des injustices de la mondialisation pour les femmes à la reconnaissance des études postcolonialistes. Concept mouvant, le genre, tel que proposé par Judith Butler, est désormais le lieu où se questionne «le fondement naturel de la binarité des sexes et leur caractère stable (…) l’identité est de plus en envisagée comme une construction performative: produite par les pratiques et, par conséquent, ouverte au changement» (Butler, 2005).

DIVERSITÉ
S’il figure 66 entrées au sommaire, «L’Encyclopédie critique du genre» est en réalité une lecture circulaire et infinie. D’abord parce que chaque article renvoie à des notices complémentaires dans un interminable et stimulant jeu de ping-pong. Ainsi le Handicap s’ouvre-t-il sur Care, Éducation sexuelle, Poids, Queer, Santé, Séduction et Technologie, qui à leur tour pointent Internet, Conjugalité, Prostitution. Ensuite parce que l’ouvrage, qui condense un savoir autant qu’il y prépare, compte plusieurs centaines de références bibliographiques grâce auxquelles chaque sujet peut-être développé bien au-delà des quelques pages qui lui sont consacrées. On y croise des institutions, de Judith Butler à Michel Foucault en passant par Marcel Mauss, et on y découvre l’existence d’articles ultra-pointus sur la pornographie homosexuelle beur de cité, la sociabilisation des jeunes sur Internet ou le troussage des domestiques…

En tout, ce sont plus de quinze disciplines représentées (anthropologie, arts, biologie, droit, histoire, sciences de la communication, psychanalyse, philosophie…). A travers elles, c’est surtout l’occasion de remettre en question les pratiques et les codes normatifs qui régissent nos sociétés.

» «Encyclopédie critique du genre. Corps, sexualité, rapports sociaux», de Juliette Rennes ed. La Découverte