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Les âges d’or de Vienne la sulfureuse

Dans un ouvrage qui vient d’être publié on découvre, dans une perspective historique, le visage homosexuel de la métropole autrichienne.

Dans son ouvrage consacré aux secrets d’alcôves et aux dessous coquins de la capitale autrichienne à travers les époques, l’historienne Michaela Lindinger montre que Vienne n’avait rien à envier à Paris et livre plusieurs anecdotes ayant trait à l’homosexualité.

– Si les guides de voyage queer avaient déjà existé au XVIIIe siècle, pensez-vous que Vienne aurait été digne d’y figurer?
– J’imagine que les gens qui allaient à Vienne à cette époque et qui se sentaient chez eux dans les milieux homosexuels avaient assurément de quoi donner des conseils à leurs amis vivant à Paris, à Londres ou à Berlin.

– Y avait-il à cette époque beaucoup de bars, de clubs, de bordels destiné à une clientèle homo?
– C’est difficile à dire car cela n’a pas été documenté. La seule chose qu’on a sur la période allant jusqu’à la fin du 19e siècle, ce sont les textes de Casanova, dans lesquels il cite le quartier viennois de Neubau. À l’époque c’était la banlieue, c’était donc bien meilleur marché d’y ouvrir un établissement qu’en ville. C’est pourquoi il y avait tant de bars dans cette partie de Vienne. La zone située autour du Spittelberg était dévolue à la prostitution. Et il n’y avait évidemment pas seulement des femmes pour les hommes, mais aussi des hommes pour les hommes. Par contre on ne sait pas s’il y avait des femmes pour les femmes, même si c’est très probable. Étant donné que les relations sexuelles entre lesbiennes avaient lieu – et c’est aujourd’hui encore souvent le cas – dans le secret des appartements privés, le sexe lesbien était donc invisible.

– Mais le mot « homosexualité » a été, dites-vous, inventé à Vienne…
– Dans les années 1860, un journaliste austro-hongrois, Karl-Maria Benkert, a formulé pour la première fois les mots hétérosexuel et homosexuel dans une lettre. Il y avait bien sûr déjà des mots pour désigner les homosexuels, mais ce terme était totalement nouveau, et il est resté longtemps méconnu. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, seuls les juges et les médecins l’utilisaient. Il était fréquent que les hommes qui se retrouvaient au tribunal parce qu’ils étaient poursuivis pour homosexualité ne comprennent pas quel crime leur était reproché parce qu’ils n’avaient jamais entendu ce mot.

– Vous évoquez l’histoire d’une adolescente, Margarete Csonka, que son père a obligé à consulter Freud. Elle avait une liaison avec Leonie Puttkamer, une baronne allemande qui multipliait les conquêtes féminines et qu’on surnommait « la femme la plus sans-gêne de la République de Weimar »…
– Ce qui est intéressant, c’est que Sigmund Freud n’avait pratiquement que des patientes, qui étaient envoyées chez lui contre leur gré par des hommes, soit leur mari, soit leur père, qui prétendaient qu’elles étaient folles… Au début du 20e siècle, la jeune Margarete Csonka a été envoyée chez le psychanalyste par son père parce qu’elle refusait de se marier et qu’il avait eu vent de sa liaison avec cette femme beaucoup plus âgée, qui a d’ailleurs notamment eu une liaison avec la célèbre danseuse bisexuelle Anita Berber [immortalisée toute de rouge vêtue par le peintre Otto Dix, ndlr.]. Margarete a vu Freud une ou deux fois, et dans une interview qu’elle a donné en 1997, elle l’a traité d’« idiot », car celui-ci comptait la « guérir » de son homosexualité!

– Vous parlez également des soirées costumées dans les châteaux, lors desquelles les femmes étaient déguisées en prêtres, ou les hommes en nonnes, et ce qu’on appelle en Autriche le « Rouge », ce fard à joues dont les femmes comme les hommes abusaient.
– Entre 1730 et 1780, la mode vestimentaire était très sexualisée. Les hanches des femmes étaient très arrondies, les pantalons des hommes très serrés. Comme les gens nobles croyaient à cette époque que l’eau était un vecteur de maladies, ils ne se lavaient pas et s’enduisaient le visage de pâte blanche pour en masquer la crasse. On utilisait du fard à joues pour avoir bonne mine. C’était incroyablement exagéré, les gens ressemblaient à des clowns. À ce maquillage s’ajoutaient les mouches. Il paraît d’ailleurs que selon où la mouche était positionnée, on pouvait devenir l’orientation sexuelle d’un homme.

– Même si l’homosexualité a très longtemps été interdite en Autriche, y a-t-il eu des périodes moins répressives?
– Oui, la fin du XVIIIe siècle et les années 1920. Mais cela ne concernait que les homosexuel(le)s fortuné(e)s. Ceux qui évoluaient dans les cercles de la noblesse, à la fin du 18e siècle, n’avaient aucun problème puisqu’ils pouvaient se divertir et inviter qui ils souhaitaient dans de grands châteaux et des salles de bal privés sans que personne ne le remarque. Mais un pauvre domestique qui allait s’amuser au Prater avec un ami et se faisait surprendre en plein rapport finissait derrière les barreaux. Dans les années 1920, il y avait plusieurs bars lesbiens et gays à Vienne. Ils étaient connus des autorités, mais comme ils se fondaient dans l’anonymat de la grande ville, leur clientèle n’était pas inquiétée. Rappelons que jusqu’en 1972, il y a eu des condamnations pour homosexualité en Autriche.

» À lire (en allemand): «Die Hauptstadt des Sex. Geschichte und Geschichten aus Wien», éd. Amalthea, 224 p.