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«Cela a été un grand tabou de devenir danseur de kathak»

Dans le cadre du festival de danse «Steps», l'artiste indo-britannique Aakash Odedra se produira à Vernier vendredi avec «Rising».

Le festival Steps accueille une des nouvelles stars de la danse anglaise dont l’histoire pourrait servir de scénario à un film bollywoodien, dont il a d’ailleurs connu les plateaux. Aakash Odedra est un virtuose du kathat, un style de danse traditionnelle du Nord de l’Inde tristement banni pendant plus d’un siècle sous l’empire britannique, car performé par des courtisanes. A l’instar des geishas au Japon, ces femmes étaient des artistes d’exception et maîtresses absolues de l’étiquette. Elles fréquentaient les cours des rois, racontant la mythologie à travers leurs chants et leurs mouvements. Aakash Odedra porte avec lui ce nuage fantastique de légendes. En conversant avec cet interprète, il est impossible de ne pas fantasmer sur la sophistication de ces figures féminines charismatiques, difficile de retenir notre fantaisie qui erre instantanément dans ces fastueux palais de l’Inde d’antan où culminaient arts et sensualités.

360°: «Rising» inclut trois solos signés pour toi par trois chorégraphes de renommée internationale. Quel effet cela fait d’entrer dans la danse contemporaine par la grande porte?
– Aakash Odedra: Akram Khan a depuis longtemps incorporé la tradition de la danse kathak dans sa pratique de danseur contemporain avec l’écho mondial qui en a découlé. Akram est devenu mon mentor après avoir assisté à ma performance lors d’un festival de danses indiennes en 2009. Très rapidement, il m’a fait part de son souhait de créer un solo pour moi. Sidi Larbi Cherkaoui et Russel Maliphant m’ont ensuite auditionné et mon vocabulaire de mouvements les a également interpellé. De là a pris naissance l’intense travail derrière Rising, un voyage artistique qui m’a amené sur des terres inexplorées. La confiance qu’ils m’ont témoignée m’a poussé à me mettre en jeu au maximum et j’ai énormément appris avec ces méthodes de travail, ces nouvelles esthétiques. Je dois admettre que, jusqu’au jour de la première, face à un projet si ambitieux, j’ai aussi vécu des moments de grande solitude. C’était un peu comme une longue gestation!

Pourrais-tu nous raconter un peu ce qu’est le «kathak»?
– Le kathat est lié à l’histoire des tawaifs et a été populaire dans le Nord de l’Inde pendant des siècles. En 1817, la Grande Bretagne puritaine a malheureusement interdit tout type d’expression corporelle jugée proche de la prostitution. Alors que les tawaifs étaient des érudites des arts à une époque où les femmes étaient majoritairement analphabètes. Tel un courant féministe avant l’heure, les tawaifs s’organisaient selon leur propre système matriarcal, jouissaient d’une grande liberté quant à leurs choix de vie et leur présence dans les cours leur conférait de l’influence en politique. Lors de son indépendance en 1947, l’Inde a voulu retrouver son identité et a donc ravivé cette tradition, mais en ôtant l’aspect sensuel. Des siècles de dominations étrangères, d’abord musulmane, puis britannique, ont donc eu raison des textes d’origine, lentement remaniés au fil du temps pour gommer toute allusion trop directe à la sexualité. Or, cette tradition nous apprend que, si l’on regarde le sexe comme quelque chose de vulgaire, il devient vulgaire, mais c’est absurde de ne pas voir la sexualité comme une partie naturelle de notre vie, cela serait comme oublier que c’est ainsi que nous arrivons dans ce monde. J’ai eu la chance inouïe de rencontrer l’une des rares tawaifs encore en vie et cela m’attriste d’autant plus de savoir qu’avec sa disparition, un grand savoir pourrait être perdu à jamais. Voilà pourquoi j’ai envie de réaliser un documentaire. En ce qui me concerne, j’essaie de perpétuer cette tradition à ma façon, en gardant son essence.

Il s’agit d’une danse qui exige de grandes qualités physiques afin d’allier grâce et rapidité d’exécution. Les mouvements circulaires des mains et des poignets ainsi que les virevoltes en sont une composante essentielle. Pourquoi?
– Selon la mythologie hindoue la vie est un cercle et Shiva régit ces cycles: destruction et renouveau. Au niveau du système rythmique de la danse, on remarque qu’on compte souvent deux temps de huit. Dans cette répétition mathématique, on peut aussi voir un sens de circularité. Le cercle vaut comme symbole de fluidité, de continuité, d’absence de cassure.

Existe-t-il encore une forme de kathak fidèle à ses origines?
– L’Inde est un pays d’extrêmes et de contradictions, où passé, présent et futur cohabitent, s’amalgament. Lors de mon dernier voyage, j’ai vu derrière les ruines millénaires s’élèver des gratte-ciels commandités par des magnats, il y a donc toujours de la place pour les traditionalistes aussi bien que pour ceux qui aiment regarder vers le futur. De nos jours, la ville de Bénarès demeure indubitablement un berceau du kathak et dans l’enceinte de leurs maisons les grandes familles accueillent encore des représentations comme à l’époque.

Tu as grandi en Angleterre, mais tu as réussi à te reconnecter à tes racines. Pourrais-tu nous raconter ton histoire personnelle?
– Je descends d’une famille indienne qui a quitté le pays depuis quatre générations pour émigrer en Afrique d’où ils ont été forcés de partir, dans les années 70, sans rien d’autre que les habits qu’ils portaient. Si j’ai pu garder des liens avec mes racines, je le dois tout d’abord à ma grand-mère qui m’a élevé en Angleterre. C’était une femme à l’esprit ouvert, une créature intense à l’allure unique avec ses tatouages traditionnels remontant le long de ses bras et de son cou. C’est elle qui m’a donc appris la langue de mon village en me racontant des contes indiens pour m’endormir. Depuis l’âge de 4 ans, j’ai eu la chance de retourner souvent au Rajasthan et j’y passe parfois plusieurs mois. Avec ces allers-retours réguliers, j’ai pris le meilleur de l’Inde. Quand on vit longtemps au même endroit, on ne prête plus attention à ce qui nous entoure et tout devient comme des white noise, un bruit de fond qu’on ne perçoit plus. Paradoxalement, c’est en voyageant que nos racines se renforcent.

Est ce que la danse est une passion ancrée dans ta famille?
– Au Rajasthan, les hommes dansent très bien, c’est une caste de guerriers qui possèdent un sens du rythme très développé, mais cela a été un grand tabou de devenir danseur de kathak, une discipline traditionnellement destinée aux femmes. Ce choix n’a pas toujours été facile à tenir et, là encore, c’est ma grand-mère qui m’a encouragé. Dans ma communauté, j’ai parfois été ridiculisé, alors qu’aujourd’hui les mêmes me citent comme représentant de leur culture.

Adolescent, tu es rentré en Inde quelques années et tu as pratiqué différents types de danse, notamment dans une grande compagnie de danse à Bollywood. Quels souvenirs gardes-tu de cette période?
– C’était une expérience immersive. Je dansais vingt-quatre heures sur vingt-quatre et les enseignants ne montraient aucune compassion. J’y ai appris à garder les pieds sur terre et à ne pas confondre la lumière des projecteurs avec la vraie vie, car l’ego peut couper ta croissance spirituelle. La danse indienne a une vocation holistique et vise la perfection de l’âme, bien au-delà de l’aspect physique. J’ai eu l’occasion de travailler avec des danseurs classiques du Royal Ballet: ce sont des danseurs exceptionnels, mais parfois j’ai eu l’impression d’être en face de poupées de verre figées dans leur technicité.

Avant de nous quitter, pourrais-tu nous révéler si, comme beaucoup de grands artistes, tu as un rituel avant de monter sur scène?
– Oui, je suis très superstitieux! J’ai l’impression que les esprits communiquent avec moi, ils me lancent des signes. Pour savoir si la représentation va bien se passer, je regarde les numéros autour de moi: le numéro de mon siège d’avion, celui du gate ou du check-in, celui de ma loge ou de ma chambre d’hôtel. J’additionne jusqu’à arriver à un seul chiffre. 1-7-9 veut dire que j’aurais un show superbe, 4-6-8 me montrent que j’ai intérêt à rester sur mes gardes. Si je vois des plumes blanches apparaître, c’est le signe que quelque chose de spécial va arriver. Comme quand j’ai été nominé pour le prix de danse new-yorkais Bessie. Le jour de la remise des prix, je ne pensais pas avoir une chance de gagner et avais ôté mes chaussures pour profiter confortablement de la soirée dans l’Apollo Theater. Quand mon nom a été prononcé, j’ai enfilé mes chaussures n’importe comment et me suis précipité en courant sur la scène où j’ai reçu mon prix en ayant mal aux pieds.

«Rising» le 15 avril 2016 à 20h à la Salle du Lignon vernier.ch/billetterie ou steps.ch