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La nouvelle théorie du bien-être urbain

Les villes les plus créatives et florissantes sont celles qui font preuve de tolérance et de diversité culturelle, celles qui comptent ainsi le plus d'étrangers, d'artistes et de gays, selon l'économiste Richard Florida, dont les recherches récemment publiées font grand bruit aux Etats-Unis. Une théorie qui met à mal les recettes standard de la promotion économique.

Pour attirer des entreprises de pointe, rien ne sert de dépenser des fortunes en promotion économique. Ni de mettre en avant ses infrastructures – un réseau de transport développé, de grands shopping malls -, ni même de garantir de substantiels avantages fiscaux. Les villes doivent avant tout songer à attirer des gens dynamiques et pour cela songer à devenir ou rester une cité multiculturelle, tolérante et ouverte d’esprit. C’est en tout cas la théorie de Richard Florida, professeur d’économie à l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh, et dont le livre, « The Rise of the Creative Class », a fait couler passablement d’encre aux Etats-Unis.

Comment se fait-il que San Francisco, New York, Boston aient réussi à devenir des centres high tech ? Pourquoi certaines villes ayant de grandes universités ne sont pas parvenues, à l’inverse, à garder et attirer des travailleurs de talent? Comment expliquer que des centres urbains apparemment sans charme deviennent soudainement des cités attractives? Autant de questions auxquelles répondent les recherches de l’économiste américain.

L’étude de Richard Florida part d’un constat simple: pour choisir un site où s’installer et se développer, les entreprises n’attachent plus seulement de l’importance aux infrastructures offertes, mais aussi et surtout au capital humain. « Dans une économie du savoir, les entreprises savent que la clé du succès réside dans leur capacité à attirer des gens talentueux », analyse Richard Florida. Pour ces entreprises, impossible pourtant d’attirer cette « classe créative », comme le chercheur la surnomme, par le seul salaire ou des opportunités de formation. Cela ne suffit plus. Le profil socioculturel de la ville dans laquelle l’entreprise est implantée est devenu une variable primordiale pour faire affluer les travailleurs qualifiés ou les retenir. Et les cités qui veulent s’assurer un développement dynamique, par la présence d’entreprises high tech performantes, ont donc tout intérêt à se soucier de leur propre capacité à séduire ce capital humain. Pour attirer des gens créatifs, générer de l’innovation et stimuler la croissance économique, une ville doit mener une politique volontariste afin de posséder ce que Richard Florida appelle les trois T : la technologie, le talent et la tolérance.

Gays, étrangers et artistes
L’économiste et prix Nobel Robert Lucas avait déjà présenté une théorie démontrant que la concentration de personnes à haut niveau d’éducation avait un lien direct sur le développement d’une région. Et celle de Robert Putman stipulait déjà que la croissance économique est le produit de la cohésion sociale. Mais le modèle de Richard Florida, dont certains éléments font encore figure d’hypothèses, insiste davantage encore sur ces liens. Pour le chercheur de Pittsburgh, la croissance économique régionale est essentiellement engendrée par la créativité de gens qui choisissent de vivre dans des endroits à forte diversité culturelle, des lieux tolérants et ouverts à de nouvelles idées. Autant de travailleurs qui baigneront dans une atmosphère propice à l’inventivité. La théorie « consiste à penser que la diversité d’une ville – autrement dit son niveau de tolérance à l’égard d’un large éventail de gens – est la clé de sa capacité à attirer des travailleurs de talent », explique Florida. Et d’émettre l’hypothèse que « les villes à fortes diversité et capacité d’intégration d’une population considérée comme non conventionnelle – les gays, les immigrants, les artistes et ceux que l’on qualifie de bohémiens – sont les plus aptes à nourrir la créativité et l’innovation qui caractérisent l’économie du savoir. »

Pour tester sa théorie, Florida a ainsi retenu trois indices capables de mesurer le niveau de diversité et de tolérance dans les 50 plus grandes villes des Etats-Unis : le nombre d’artistes, de gays et d’étrangers qui y vivent. A partir de ces trois variables, le chercheur a créé un quatrième indice, l' »indice de diversité ». Ces indicateurs ont ensuite été corrélés avec des indices mesurant le développement high tech de ces villes. Pour Florida, nul doute que la théorie est vérifiée. 11 des villes américaines figurant au top 15 des cités à l’économie la plus innovante sont aussi présentes parmi les 15 cités ayant une forte concentration d’habitants gays ou plus exactement de couples gays (le seul indicateur possible, car seules existent les statistiques de personnes de même sexe vivant sous le même toit et sans lien de parenté). Idem pour l’indice « bohème » qui mesure la concentration d’artistes dans une même ville et l’indice d’immigration: là où il y a de la culture, et si possible de la multiculture, il y a du high tech. « Le fait d’avoir une large représentation de gays, d’artistes et d’étrangers dans une population n’entraîne bien sûr pas directement un boum de l’industrie technologique », précise Florida. Ce que l’étude montre, c’est que « les gens engagées dans le high tech sont attirés par des villes qui se distinguent par leur capacité d’intégration, leur ouverture d’esprit et leur créativité culturelle, attributs signalés par la présence d’une population cosmopolite et diverse. Il ne s’agit pas de dire que les jobs high tech suivent les gays, mais simplement que les gays et ces emplois gravitent autour des mêmes endroits. »

Volontarisme culturel
Si le constat peu paraître attendu pour San Francisco ou New York, les économistes les plus sceptiques envers la théorie de Florida reconnaissent qu’elle est pour le moins éclairante quant au développement surprenant de certaines cités. Au Texas, la ville d’Austin, sans grand charme et que rien ne prédestinait à attirer des entreprises phare, en est un exemple. Au lieu de faire sa promotion – comme tant d’autres cités le font – sur les traditionnels piliers de la culture dominante (opéra, musées de renommée mondiale, grande équipe de sport, etc), la mairie d’Austin a préféré investir dans des bars, des clubs et des événements culturels (festivals de film, de musique,…) aux styles bien mélangés. Et les entreprises n’ont eu d’autre choix que d’être associées à cet état d’esprit : pour avoir le droit de s’installer au centre-ville, Vignette, une entreprise high-tech, a ainsi dû verser un million de dollars au Fonds de soutien pour la culture musicale. Depuis, la ville a attiré entreprises et force de travail, et fait figure de cité des plus plaisantes à vivre.

De quoi faire réfléchir toutes les villes qui commencent par couper dans les budgets sociaux et culturels à la moindre difficulté. Car Florida l’assure : même si sa théorie est calquée sur la réalité américaine (où les mobilités géographique et de l’emploi sont très fortes), elle est aussi valable pour les pays de l’Union européenne où bon nombre de villes s’interrogent sur la manière de retenir leur « classe créative »…

Richard Florida, « The Rise of the Creative Class », Basic Book, 2002