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Jérusalem: Juifs et Arabes sous le même arc-en-ciel

Une pride au Proche-Orient? Mais si, et c’est en Israël que ça se passe. Il y a celle, célèbre, de Tel-Aviv, et celles plus discrètes de Haïfa et de Jérusalem. Cette dernière communauté est peut-être le miroir le plus fidèle de la société israélienne. De ses tensions comme de ses efforts pour les surmonter. Le conflit israélo-palestinien, bien sûr, et celui, plus méconnu, entre laïcs et religieux.

«Ici, ce n’est ni l’Europe ni les pays arabes», prévient Daniel Weishut. Entre mille autres activités, ce psychologue au regard malicieux dirige le service psychosocial de l’Open House, la «maison ouverte» des associations lgbt à Jérusalem. Pas comme en Europe? Daniel a vécu le grand saut lorsqu’il a débarqué de Hollande avec sa famille, voici douze ans. «Au lycée, tout le monde savait que j’étais gay. Ici, mes amis ne voulaient pas être vus avec moi.» Pas comme en Europe non plus, l’ignorance des autres thérapeutes, les thèmes lgbt étant absents de leur formation. C’est pour pallier ce manque que l’Open House a monté une consultation psy spécialisée dans l’identité sexuelle, unique au Proche-Orient. Elle s’adresse autant aux membres de la communauté et à leurs proches qu’aux professionnels. Mais Israël n’est pas non plus l’Arabie saoudite. Des lois progressistes donnent aux partenaires du même sexe les mêmes droits qu’aux époux «légitimes». La société toutefois, empreinte de religion et de conservatisme, où l’armée et la famille occupent une place centrale, ne suit pas toujours.

La communauté lgbt de Jérusalem ne ressemble à aucune autre. D’abord parce qu’on y rencontre Juifs et Arabes, religieux et laïcs. Ensuite, parce qu’elle subit de plein fouet les aléas du conflit israélo-palestinien. Témoin, le report d’une semaine de la Pride de Jérusalem qui devait avoir lieu le 13 juin: deux jours auparavant, un militant gay avait trouvé la mort dans l’explosion d’un bus.

Pas de chars lors du défilé. Surtout ne pas provoquer, dans une ville où afficher ses préférences sexuelles est une provocation. Mais beaucoup de discours et de slogans en faveur de la paix. Les gays et lesbiennes juifs contre l’Occupation du mouvement «Lessive noire» sont venus en force, proclamant «Faites de l’amour votre seule Occupation». Leur style tapageur n’est pas du goût de tout le monde. Un Palestinien me confie: «C’est très bien qu’ils soient visibles, mais on ne pourrait pas travailler avec eux, on doit rester discret.»

Commencer à zéro
Hanin a 25 ans. Elle se définit comme «l’adresse arabe de l’Open House». Arabe israélienne venue d’un village de Galilée, elle a choisi la modernité et la vie en ville. Mais son travail est à mille lieues de celui de ses collègues israéliens: «L’Agoudah, le centre lgbt de Tel-Aviv, existe depuis 25 ans. Dans la communauté arabe, il faut commencer à zéro». D’abord, lutter contre une ignorance totale en matière de sexualité, ce tabou. «Les Arabes israéliens sont plus ouverts. Mais Jérusalem, la Cisjordanie et la bande de Gaza sont des vases clos très conservateurs» explique la jeune femme. Premier acte concret, un flyer en arabe, fruit d’une collaboration entre la section israélienne d’Amnesty International et l’Open House. «Publier ce simple dépliant sur l’identité sexuelle a été toute une aventure», soupire Daniel Weishut, un des partenaires du projet. Mais, grâce à l’entêtement de Hanin et de Daniel, le projet a abouti. «Les lgbt palestiniens vivent une immense souffrance et ignorent leurs droits. Ce dépliant est un premier pas», explique Hanin. Et Daniel de préciser: «On a pesé tous les termes de manière à être le plus respectueux possible de la culture arabe.» Sur le dépliant, des questions simples comme «Qu’est-ce que l’homosexualité? Est-ce une maladie? Peut-on en guérir?» Mais tous deux sont conscients que le seul fait de parler de sexualité peut se révéler choquant.

«La maison ouverte ne doit pas être un vain mot. Nous voulons vraiment qu’elle soit un lieu d’accueil pour toutes et tous, Palestiniennes et Palestiniens, Juifs et Juives religieux», explique Hagai El-Ad, le jeune directeur de l’Open House. Est-ce à dire que toute la communauté lgbt milite dans le camp de la paix? «Certes non», admet Daniel Weishut, «mais c’est quand même un espace de tolérance à part», ajoute Hanin. «En venant ici, les Arabes savent qu’ils y rencontreront des Juifs, et les Juifs savent que la maison est aussi ouverte aux Arabes.» Ce que ne contredira pas Ismail*, un jeune Arabe de Jérusalem-Est qui se fait parfois passer pour un Juif marocain pour draguer. Selon lui, la vie à Jérusalem-Est n’est pas facile, mais il y a pire. Un de ses amis de Cisjordanie a dû fuir après que sa famille l’a vu en photo dans un journal israélien. Là-bas, en effet, impossible d’être ouvertement gay. Autre problème insoluble, les couples mixtes, Juifs-Palestiniens, qui vivent dans la clandestinité en Israël, faute de pouvoir aller vivre ailleurs: les Palestiniens, sans Etat, n’ont ni passeport, ni le droit de s’établir en Israël. Combien sont-ils? Nul ne le sait, si ce n’est que ce genre de situation est extrêmement courante à Jérusalem.

Et les femmes? Hanin sourit tristement: «Dans la société arabe, il y a déjà une inégalité de base, alors imagine dans le domaine sexuel!». Les hommes, plus libres de leurs mouvements, peuvent faire des rencontres hors de chez eux, tandis que les femmes sont plus confinées. Hanin est pourtant en contact avec un groupe de lesbiennes palestiniennes de Cisjordanie. Leur priorité, outre briser leur solitude: amener la société dans laquelle elles vivent à davantage de tolérance.

Communauté casher
Jérusalem est une ville saturée de religion. La communauté lgbt n’y échappe pas. Ici, pas de fêtes délirantes et peu de bars branchés. De nombreuses activités ont un lien avec la religion. Ainsi, le souper de sabbat. La cuisine de la communauté est d’ailleurs casher. Daniel Weishut raconte: «Ça a été un débat homérique au comité, entre ceux qui ne voulaient pas entendre parler de règles religieuses et ceux qui leur répondaient qu’on ne pouvait pas exclure les religieux».

Assis à une table du très hype café «Moment», Noam*, gay et religieux orthodoxe portant kippa, apprécie cette ouverture: «A Tel-Aviv, on n’est pas l’aise. Ici on se sent accepté». Noam a de la chance. Sa famille essaie d’accepter son homosexualité contrairement à l’un de ses meilleurs amis, ultra-orthodoxe, jeté a la rue. Chez ces derniers, explique-t-il, c’est comme chez les Arabes musulmans: le même tabou sur la sexualité, la même stricte séparation des sexes, la même ignorance. Le jeune homme, cependant, a confiance: «Nous devons trouver une solution avec les autorités religieuses. Si elles ne veulent pas accepter notre sexualité, qu’elles nous acceptent au moins en tant que personne!».

Chaque mois, ils sont plus de mille à passer à l’Open House. «Pas à pas, nous œuvrons pour un monde plus ouvert», conclut Hanin.

* prénom fictif