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Pédérapages linguistiques

Pédérapages linguistiques

Entre «hétéro-langue» et volapük des pissotières, les homos parleraient-ils un dialecte qui leur est propre? Un étudiant en linguistique lausannois a décortiqué la question.

«How bona to vada your dolly old eke!» De l’avis de chercheurs anglo-saxons, ce type de compliment avait cours dans le milieu homo britannique il y a une quarantaine d’années. Il faisait partie de la langue de sous-culture gaie anglo-américaine des années 50 et 60: le «polari». Produit d’une certaine nostalgie, un dictionnaire en est paru récemment au Royaume-Uni*. Volapük absurde, festif, et customisé pour le ragot, le polari apparaît comme un assemblage foutraque, entre autres d’italien de pacotille («bona», beau ou «vada», voir; «polari» lui-même est une déformation de «parlare»), d’assonances («Fag hag», copine à pédé), de verlan british («eke» ou «ecaf», au lieu de «face»), et encore de yiddish ou d’argot de la marine marchande. Le polari exprime le besoin pour un groupe socialement réprimé de réinventer et de subvertir la langue. Si l’on admet que ce besoin existe partout où des hommes et des femmes tentent de vivre leur homosexualité, cela ferait-il des gais et des lesbiennes les détenteurs d’un patrimoine linguistique qui leur est propre?

Beaucoup mettent en doute la pertinence du polari ou d’argots gais contemporains comme phénomènes linguistiques. Steven Derendinger, l’auteur lausannois d’un mémoire de linguistique touchant à ce sujet, remarque: «Ce qui est en jeu est l’affirmation d’une identité gaie et l’adhésion à un groupe. Mais tous les homos ne se retrouvent pas dans ces expressions, loin s’en faut. On ne peut pas plus parler de langue chez les homos, que dans certaines catégories professionnelles, les médecins par exemple, qui utilisent un jargon hermétique aux non-initiés.» Un fantasme communautaire, la langue gaie?

Homos sur le bout de la langue
Reste qu’il existe une inadéquation entre l’expérience homosexuelle et la langue de tous les jours que certains auteurs n’hésitent pas à désigner furieusement comme «l’hétéro-langue». De fait, comment parler de sexe ou de séduction sans utiliser des mots qui ramènent irrémédiablement à la norme hétérosexuelle? Pour preuve, des mots comme «baiser», «draguer» dans le milieu homo ont un sens plus technique que celui de l’argot courant. Quant aux insultes, elles ont été en partie réappropriées par les milieux homos. Que ce soit pour les vider de leur connotation péjorative, ou pour établir de nouvelles distinctions, et de nouvelles exclusions: «je suis pédé, mais j’aime pas les tapettes».

De Rabelais à Genet, la littérature fournit quelques mots à la réalité gaie. Certains ont été quasiment oubliés («coquillart», un homo actif?), d’autres survivent tant bien que mal: la «folle» (hurlante), la «jaquette» (celle dont on est), les «tasses» (que l’on fait – en fait, les toilettes publiques). Mais ce sont des mots d’origine anglaise, tels que «cruising», «pride», «butch» ou «coming out», qui constituent le gros du lexique gai-lesbien d’aujourd’hui. Dès lors, il est possible que la pauvreté du français à «dire l’homosexualité» pousse des individus ou des petits groupes à se constituer un jargon fait de variations infinies, au gré des modes, des expériences, et de la fantaisie de chacun.

Rendez-vous au couvent des oiseaux
Ainsi, en Suisse romande, on se demandait autrefois «tu crois qu’il/elle est comme ça?» On spéculait sur le fait de savoir si «celui-là fait partie de l’orchestre», ou encore «de la mutuelle». Aujourd’hui, en revanche, on constatera, désabusé, «mais évidemment, lui aussi, c’est une copine». Et si ce n’est pas le cas, on se lamentera, en paraphrasant un comique local, «une si bonne viande!» Quant à l’homo efféminé, hier une «Caroline», il sera étiqueté «coiffeuse d’Annemasse».
Beaucoup de lieux de drague ont leur petit nom. A Genève, on va «boire le thé chez Madame Barton» (au Parc de la Perle du Lac, en hommage à la légataire des terrains). Une envie subite à expédier aux toilettes publiques? «Je dois passer au bureau envoyer un fax»; ou sa variante neuchâteloise, la retraite «au couvent des oiseaux». L’été venu, «la chasse au Speedo» se pratique sur les rives de nos lacs, tandis qu’une visite hebdomadaire au sauna passe pour un «dimanche à la vapeur».

«Tout milieu social produit des besoins, et de là, un vocabulaire spécifique», explique Steven Derendinger. «A cet égard, les milieux gais sont des espaces où l’on rencontre une certaine volubilité, une tendance à jouer avec les mots. Mon hypothèse est que cette aptitude provient de la nécessité à laquelle beaucoup sont exposés très tôt, de détourner le langage à leur profit, et d’inventer des stratégies parfois très complexes pour se dissimuler.»

T’entends comment tu causes?
Il n’y a donc pas de «langue gaie», de même qu’il n’y a pas une expérience dans laquelle tous les homosexuels se reconnaîtraient. Beaucoup d’hommes gais se sentent très bien dans leur masculinité, même s’ils parlent sur un ton suraigu, causent chiffons, ou ajoutent «adorable» à tout bout de phrase. Toutefois, Steven Derendinger remarque qu’il y a chez de nombreux gais une conscience aiguë de parler de manière différente. En effet, sans nécessairement l’admettre, beaucoup perçoivent le risque d’exposer leur identité sexuelle à travers leur façon de parler.

Cela est confirmé par la plupart des témoins cités dans son étude. L’un évoque «l’impression que si tu pars dans des envolées et des volutes sonores, tu es trahi». Un autre explique modifier sa voix au téléphone: «Je ne me conditionne pas du genre “on va être monstre macho”, c’est plutôt que je me concentre pour poser ma voix, ça évite de pousser des ciclées». De même, un ancien vendeur de sex-shop avoue aussi «quand deux ou trois mecs débarquaient un peu bourrés, genre potentiellement fouteurs de merde, je retroussais mes manches, croisais les bras, et prenais une voix grave et masculine “je peux vous aider?” Par contre si c’était des copines, je faisais bonsoir avec une voix toute fluette.»

* «Fantabulosa, a Dictionary of Polari and Gay Slang»,
de Paul Baker; Continuum 2002