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Vieille comme la rue? La prostitution hier et aujourd’hui

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Etats-Unis: la violence anti-gay hante les écoles

Dans les écoles américaines, la violence anti-gay prend des dimensions alarmantes, résultat de la propagande acharnée de la droite chrétienne. Mais une nouvelle organisation prend la défense des homos. Reportage.

Dans le bus, dans les couloirs, en classe, aux toilettes, à la gym, à la cafétéria, sans relâche depuis l’âge de 12 ans, Jamie Nabozny a vécu l’enfer. «Dès que je montais dans le bus, les garçons me traitaient de pédé et me bousculaient. Le conducteur n’a jamais bronché.» Jamie a alors décidé de marcher 8 km tous les matins plutôt que de subir cette humiliation quotidienne. Mais le harcèlement a empiré. Un jour, alors que le prof était hors de la classe, il a été violé fictivement par plusieurs «camarades», pendant que les autres regardaient en riant. «Le directeur n’a même pas voulu me recevoir. Sa secrétaire m’a dit que les garçons étaient ainsi, et que si je continuais à jouer au pédé, je n’avais qu’à assumer les conséquences. Lors de la rentrée suivante, alors que Jamie allait sur ses 15 ans, la violence est encore montée d’un cran. «J’étais devant l’urinoir dans les toilettes. On m’a poussé dedans en me donnant des coups de pied, puis on m’a pissé dessus.» Trempé et humilié, il va à nouveau demander la protection de l’administration de l’école. «Le directeur n’est pas sorti de son bureau, il a juste appelé mon père pour qu’il vienne me chercher.» L’incident suivant l’a envoyé sur un lit d’hôpital. «Dix garçons m’ont jeté à terre, détruit mes affaires, et battu jusqu’à ce que je perde connaissance.» Les hémorragies internes, l’intervention chirurgicale, ainsi que les recommandations de la psychologue de l’établissement l’ont cette fois poussé à quitter l’école. Jamie et ses parents ont alors osé ce que personne n’avait jamais osé auparavant: ils ont attaqué l’école en justice. Précédent historique: après deux ans de procédure, le directeur de l’école et deux de ses assistants ont été reconnus coupables de ne pas assurer la sécurité de leur élève, et condamnés à payer un million de dollars de dommages-intérêts.
Le cas de Jamie n’est malheureusement pas isolé aux Etats-Unis. Selon une étude (*), 19% des jeunes homos sont victimes d’agressions physiques à cause de leur orientation sexuelle. Un collégien américain entend en moyenne des commentaires homophobes («pédé», «tapette», «gouine», etc.) 26 fois par jour. Et dans 97% des cas, les enseignants n’interviennent pas. Ce qui fait qu’un jeune gay sur trois quitte l’école avant d’obtenir son diplôme.

Kelli Peterson, une collégienne de 18 ans de Salt Lake City, dans l’Utah, a voulu remédier à l’isolement et à la violence dont sont victimes les jeunes gays. En 1996, elle décide de fonder une association d’étudiants gays au sein de son école. «Je me sentais si rejetée que j’ai songé au suicide de nombreuses fois. Si j’avais su que l’Histoire était pleine de gens comme moi, si j’avais eu un prof ouvertement gay, si j’avais su que je n’étais pas seule au monde, mes sentiments auraient été différents», avoue la jeune femme. Kelli était loin de penser que les événements allaient si mal tourner: bien que la loi stipule que les élèves ont le droit de créer des associations d’étudiants de toute sorte, la direction de l’école a refusé de donner son feu vert. Des politiciens conservateurs de la puissante église des Mormons ont même porté la question devant le parlement de l’Etat de l’Utah, qui, plutôt que de laisser Kelli et ses amis créer leur association, a opté pour l’inimaginable: l’interdiction de toutes les associations d’étudiants. Ainsi, le club de ski, le club d’échecs, le club mormon et le club biblique ont été bannis de l’école! L’affaire a attiré l’attention des médias nationaux: Kelli a fait la une du New York Times et de toutes les chaînes de télévision. Devenue une figure emblématique de la libération gaie, Kelli a porté plainte contre la direction de son école. L’affaire est pendante, et entretemps, son association se réunit dans un local extérieur à l’école chaque semaine, grâce à l’argent qu’elle a reçu de nombreuses fondations.

Anéanti par la droite chrétienne
Les enseignants gays ne sont pas mieux lotis que les élèves au pays de l’Oncle Sam. Le cas de Gerry Crane, un professeur de musique, en atteste: arrivé en 1993 au lycée de Byron Center, dans le Midwest, Gerry redonne vie à un programme médiocre et produit la première comédie musicale de l’histoire de l’école. Après seulement une année, il est élu meilleur enseignant de l’école par les élèves. En automne 1995, Gerry organise une cérémonie privée pour célébrer son union avec son ami. Des administrateurs du collège ont vent de l’événement. Une véritable chasse aux sorcières débute alors: il reçoit une réprimande officielle pour avoir fait chanter à ses élèves la chanson du film «Pocahontas» de Walt Disney, qui contient des paroles telles que «ne te soucie pas des gens qui ne pensent pas comme toi»; des pamphlets incendiaires le qualifiant de «prof sodomite» sont placés sur les pare-brise des voitures dans les parkings des églises de la ville; une lettre insultante signée par des membres de l’association «Parents pour les Valeurs Traditionnelles» ainsi qu’une cassette vidéo produite par la droite chrétienne qui dépeint les gays et les lesbiennes comme des pervers sont envoyées à tous les parents d’élèves. Des coups de fil anonymes suivent, et la direction de l’école emboîte le pas en affirmant que «des professeurs homosexuels ne constituent pas des modèles adéquats pour les étudiants», avant de proférer des menaces de licenciement. Fortement ébranlé par ces accusations, il décide finalement de quitter son poste en juillet 1996. Quelques mois plus tard, Gerry Crane était terrassé par une crise cardiaque. Il avait 32 ans.

Wendy Weaver, elle, enseignait l’éducation physique depuis 17 ans dans la seule école de Spanish Fork, une bourgade de l’Utah, quand elle a soudainement été licenciée de son poste. Elue coach de l’année en 1994, elle était admirée par tous les élèves et couverte d’éloges par la direction. Il a suffi qu’elle se sépare de son mari, acceptant enfin son homosexualité longtemps refoulée, et qu’elle réponde un jour par l’affirmative à une élève qui lui demande si elle vivait avec une femme. En parallèle, Wendy enseigne la psychologie. La direction de l’école l’a mise en garde par écrit: si elle souhaite continuer à enseigner cette branche, elle «ne peut faire mention de son homosexualité à personne, ni à ses élèves, ni à ses collègues ou à des parents d’élèves, même en dehors des heures de cours». Il n’y a pas de loi anti-discriminatoire dans l’Utah, comme dans 40 Etats sur 50 dans le pays, mais Wendy a porté plainte pour atteinte à la liberté d’expression et à la vie privée.

«C’est du terrorisme»
Fondateur et directeur de GLSEN (prononcer «glissenne»), le Gay, Lesbian and Straight Education Network (*), une organisation déterminée à éradiquer l’homophobie qui règne dans les institutions scolaires, Kevin Jennings ne mâche pas ses mots: «C’est du terrorisme, rien d’autre. La droite conservatrice essaie d’effrayer tous les enseignants gays du pays. Ils ont anéanti Gerry Crane, mais avec notre soutien et celui de ses avocats, Wendy a décidé de relever le défi. A long terme, il ne fait aucun doute que la justice triomphera.» L’extrême-droite américaine, avec à sa tête la Coalition Chrétienne du télé-évangéliste millionnaire Pat Robertson, s’est donnée pour cible favorite les homosexuels, qu’elle accuse de corrompre la jeunesse du pays. Avec une rhétorique qui ne va pas sans rappeler celle du national-socialisme, ces fondamentalistes ont activement participé à la victoire des Républicains au Congrès en 1994. Disposant d’un réseau de télévisions et de radios impressionnant, de centaines de millions de dollars et d’appuis politiques à un très haut niveau (toutes les têtes de file du parti Républicain: Bob Dole, Newt Gingrich, Jesse Helms, Trent Lott, ou encore le procureur «indépendant» Kenneth Starr), la Coalition Chrétienne frappe surtout au niveau local, et s’est petit à petit infiltrée dans les écoles du pays, dont elle contrôle dorénavant plus de la moitié des conseils de direction. A coup de pamphlets, d’intimidation, de menaces et de règlements divers, les Chrétiens conservateurs censurent le matériel jugé «inapproprié», prônent l’abstinence complète en matière sexuelle, veulent introduire la prière obligatoire à l’école primaire, et s’acharnent contre les enseignants gays. Pour contrer ce mouvement aux relents fascistes, Kevin Jennings monte au créneau au début des années 90 et lance GLSEN. D’abord un petit groupe de volontaires qui offre du soutien aux profs gays, GLSEN devient une organisation nationale en 1994, avec son fondateur pour seul employé. Une année plus tard, l’association compte plus de 1’000 membres, une quinzaine de groupes locaux, et deux employés. En 1996, elle recense 3000 membres et 30 antennes dans le pays. Aujourd’hui, GLSEN a franchi le cap des 10’000 membres (dont 30% d’hétérosexuels), et dispose d’un staff de 15 personnes à plein temps, pour un budget d’un million de dollars (100% de fonds privés). Deuxième association activiste gay des Etats-Unis en termes de présence sur le terrain, GLSEN est citée dans les média nationaux de façon hebdomadaire, et est devenue une référence incontournable dans le domaine de l’éducation.

«Je suis un modèle pour les jeunes»
Kirk Bell, professeur d’histoire à Seattle, s’est engagé dans les rangs de GLSEN dès la première heure. «Dès qu’on en vient aux enfants, les gens s’effraient», confie-t-il. «Les parents pensent qu’on va « recruter » leurs enfants, les influencer à « devenir homo », ce qui est complètement absurde. On est gay ou on ne l’est pas. Il s’agit de tout autre chose: de tolérance, d’égalité, de respect, d’honnêteté, de dire la vérité. Les profs gays ont le droit de parler de leur vie privée au même titre que les hétérosexuels, surtout lorsque ce sont les élèves qui posent des questions, et encore plus lorsqu’on sait qu’il y a des enfants et des enseignants gays dans toutes les écoles de la planète. Les jeunes ont le droit de savoir, et nous avons le droit de parler. C’est une question de liberté d’expression, de droit de l’homme, tout simplement.» Kirk est un exemple d’intégration: depuis plusieurs années, collègues, parents et élèves acceptent son homosexualité, et ont compris qu’elle n’influe en rien sur sa capacité à être un bon enseignant. «Le fait que je sois « out » a considérablement changé les mentalités dans mon école. Je suis un modèle pour les jeunes, qui ont pris conscience que tout le monde n’est pas hétérosexuel. Plusieurs garçons et filles ont fait leur coming out depuis. Ils peuvent vivre leur différence dans une atmosphère positive et n’ont plus le sentiment d’être seuls au monde.»

La mobilisation du GLSEN
Nommé au «Century Club» par le magazine Newsweek comme l’une des 100 personnalités américaines à suivre de près dans le siècle à venir, Kevin Jennings est bien déterminé à ce que cette génération soit la dernière à souffrir de l’homophobie.

Pour parvenir à ses fins, le Gay, Lesbian and Straight Education Network déploie son activité au niveau local: la jeune association dispose aujourd’hui de 80 groupes dans presque chaque Etat avec à leur tête des bénévoles formés à son Institut de Leadership, mis sur pied chaque été depuis trois ans. GLSEN développe également des outils concrets que les écoles peuvent utiliser directement: une myriade de publications écrites, ainsi que des vidéos éducatives destinées à la formation des enseignants. Elle a aussi récemment produit le film documentaire «Out of the Past», qui retrace l’histoire de l’homosexualité aux Etats-Unis, afin de donner un sens d’appartenance historique aux jeunes gays (ndlr: Prix du public au Festival de Sundance 1998). Elle distribue également le film «It’s Elementary», qui capture les témoignages d’enfants de 6 à 15 ans, ainsi que les analyses des enseignants autour du thème de l’homosexualité. Documentaire bouleversant, «It’s Elementary» montre sans artifice l’image que les enfants ont des gays et des lesbiennes, leurs préjugés candides, leurs questions et leurs sentiments. Hymne à l’ouverture et au dialogue, ce film souligne la nécessité de briser le silence qui entoure un sujet qui touche la vie de chacun. Enfin, GLSEN a lancé un réseau d’associations d’étudiants gays et hétérosexuels «Gay/Straight Alliances»), qui compte déjà des milliers de membres répartis dans plus de 300 collèges, et a développé une campagne intitulée «Back-to-School», qui encourage les gays à écrire une lettre à leur ancienne école et à raconter leur expérience durant leur scolarité, afin de faire prendre conscience aux directions d’écoles qu’il y a des homos dans chaque établissement scolaire.

GLSEN s’est aussi assurée du soutien de personnalités telles que Susan Sarandon, Greg Louganis, ou Martina Navratilova. L’ancienne numéro un mondial de tennis multiplie les actions afin de sensibiliser la population aux discriminations dont sont victimes les jeunes gays. «L’école n’est-elle pas censée garantir une éducation à tous, quels qu’ils soient, et ce dans un environnement ouvert, sécurisant et encourageant? Mauvaise nouvelle: l’Amérique ne tient pas ses promesses de liberté et d’égalité lorsqu’on est gay. Cela commence à l’école primaire par des insultes, puis cela se transforme en violence physique. Les jeunes sont tabassés, cela les mène parfois jusqu’au suicide, tant ils sont désespérés et se sentent isolés. Les conséquences vont si loin qu’on ne peut plus rester silencieux. Que ce soit au jardin d’enfants ou au collège, au niveau des élèves ou des éducateurs, il faut enseigner le respect de tous.»

(*) Réseau de Gays, Lesbiennes et Hétérosexuels concernés par l’Education